LES PARADIS FISCAUX, COMMENT ÇA MARCHE
Si le scandale des Panama Papers choque par son ampleur, cela ne nous surprend guère pour notre part, car il est à la portée de n’importe quel truand, homme d’affaires ou délinquant économique de cacher des sommes colossales dans des paradis fiscaux.
Point n’est besoin d’être ingénieur financier pour ce faire. Ce ne sont d’ailleurs pas Karim Wade ou Mamadou Pouye qui ont fait les montages incriminés. Non, pas du tout. Ils ne sont pas plus malins que le Sénégalais moyen, car quelqu’un qui a eu le même diplôme universitaire la même année que sa sœur cadette ne peut prétendre être un génie de la finance.
Le boulot en réalité est fait par des officines spécialisées. Des cabinets d’avocats se chargent de tout. Les sociétés offshore dont Mamadou Pouye est administrateur (c’est lui qui a signé les documents accordant des pouvoirs de gestion au cabinet panaméen) ont été créées avec l’aide d’un cabinet d’avocats établi à Dubaï et appartenant à une avocate canadienne qui a fait la Une de quelques journaux canadiens depuis l’éclatement de l’affaire. C’est entre cabinets d’avocats implantés dans les pays de résidence et les paradis fiscaux que tout se joue.
Le processus est très simple : Mamadou Pouye, puisque c’est de lui qu’il s’agit dans les documents partiellement révélés (d’autres viendront), contacte le cabinet de Dubaï en disant qu’il veut mettre à l’abri des regards indiscrets (le fisc français ou les enquêteurs sénégalais) une certaine somme d’argent (les virements reçus dans l’affaire de Dubaï port world par exemple).
Le cabinet de Dubaï prend contact avec son homologue panaméen avec lequel il est en relation d’affaires. Le cabinet panaméen, Mossak Fonseca en l’occurrence, dont c’est la spécialité, fait les démarches administratives locales, crée et immatricule la société fictive (par exemple Seaburg ou Latvae inc.) et la domicilie au Panama.
Il ouvre les comptes bancaires panaméens au nom de la société aussi puisque le propriétaire déclaré ou caché de la société créée lui aura fait une lettre (comme celle de Pouye) lui donnant tous pouvoirs d’administrer la société contre petit pourcentage, des sommes ainsi placées dans le paradis fiscal. Et comme au Panama le nom des propriétaires des sociétés qui y sont domiciliées n’est divulgué à personne, le tour est joué.
Les comptes bancaires peuvent recevoir les virements qui partent de Dubaï ou autres pays. Les associés (ils sont plusieurs dont les noms ne sont pas encore divulgués, mais suivez notre regard) reçoivent des cartes bancaires Gold, Platine ou autres, émises au Panama, qui leur permettent de retirer de l’argent dans n’importe quel distributeur automatique de billets du monde (système Visa ou Mastercard) ou de payer des achats pour de gros montants sans aucune possibilité de connaître l’auteur des opérations, puisque la carte bancaire est au nom de la société fictive qui n’a qu’une boîte à lettres dans le cabinet d’avocats panaméen.
Et comme nous vivons dans le monde de l’électronique, les associés qui ont les codes d’accès des comptes bancaires peuvent désormais faire toutes opérations de virements vers n’importe quel compte bancaire au monde. Certains vont jusqu’à superposer les sociétés-écran pour davantage effacer les traces...
Seule une fuite du genre de Wikileaks, Swissleak ou Panama Papers peut permettre de révéler l’existence de ces milliards échappant aux finances des pays concernés.
Dans cette affaire, Mossak Fonseca, le cabinet d’avocats panaméen, n’est d’ailleurs que le deuxième (voire le troisième) cabinet d’avocats dans le pays. Si l’on parle beaucoup du Panama depuis les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (Icij), il faut rappeler que ce cabinet a créé des sociétés-écran dans 21 pays à travers le monde. Ce qui donne une idée de la taille du réseau encore en place et du nombre de pays impliqués, parmi lesquels on retrouve notamment le Luxembourg (après Monaco aussi décidément) où Karim Wade avait, rappelons-le, souscrit un contrat d’assurance vie de plusieurs millions de francs.
Alors, qu’on nous dise que Karim n’a rien à voir avec les sociétés créées par son ami d’enfance Mamadou Pouye est trop facile. Les sociétés créées par ce dernier l’ont été comme par hasard lorsque son ami est devenu ministre de la mer, du ciel et de l’énergie. Que faisait Mamadou Pouye avant ? Qui sont les autres associés désignés dans les schémas des sociétés révélées ?
Pourquoi les sociétés créées par Pouye ont-elles reçu près de 20 milliards de virement pour de prétendus contrats de conseils dont personne au port de Dakar n’a jamais entendu parler ?
Pourquoi cacher des revenus s’ils sont légalement acquis ? Pouye, avant que son ami ne soit ministre, a-t-il déjà fait la preuve de ses qualités de consultant justifiant des paiements de 20 milliards ? En quoi Dubaï port world avait besoin d’être conseillé par Pouye pour s’installer à Dakar ?
Ne sommes-nous pas tout simplement en présence de commissions ou de pots-de-vin payés pour obtenir le juteux marché de l’exploitation du terminal à containers du Port de Dakar pour des dizaines d’années à moindre prix ?
Chacun(e) cherchera ou non les réponses à ces questions, mais nous sommes convaincus, bien avant les preuves apportées par Panama Papers, de la culpabilité de Wade et consorts et on en saura un peu plus dans peu de temps. Wait and see...