LES TRISTES RÉALITÉS DU BILAN DE MACKY
À son image, sa politique n’est ni transparente, ni sobre, ni vertueuse - Nous devrons tout mettre en œuvre pour nous opposer à sa réélection qui serait une catastrophe nationale
‘’Karim Wade après Abdoulaye Wade et Macky Sall ! Serions-nous à ce point maudits ?’’. Tel est le titre de la contribution que j’ai fait publier à ‘’Walfadjri’’ du 10 et à ‘’Enquête’’ du 12 mars 2018. Dans mes quatre dernières contributions dont la première a été publiée le 21 novembre 2018, j’ai passé en revue quelques scandales, parmi de bien nombreux autres, de la longue gouvernance de Wade père et de Wade fils. Le 28 novembre 2018, le fils et ancien ‘’Ministre du ciel et de la terre’’ a lancé, de Doha, un ‘’Appel à la Nation’’ (laquelle ?). Dans cet enregistrement par audio, il fait sévèrement le procès de la gouvernance de son ex-frère et appelle à un vaste rassemblement autour de sa grande coalition ‘’ Karim Président 2019’’. Dans cet appel, le ‘’candidat du peuple’’ dénonce « la gouvernance clanique, les atteintes aux libertés, la politisation de la justice, la dégradation de l’économie, le délabrement des services publics, l’appauvrissement de la population (…) »[1]. Notre ‘’candidat du peuple’’ poursuit sa critique sévère en ces termes : « La situation désastreuse de notre pays exige une vaste réunification de toutes les forces politiques et sociales qui adhèrent au combat pour l’élimination de la mauvaise gouvernance et de la pauvreté, la restauration de la démocratie, le respect de l’équilibre des institutions, notamment le respect de l’indépendance de la justice. »
On lit de nombreuses autres critiques dans le fameux ’’Appel à la Nation’’ de Doha, critiques qui en étonneront certainement plus d’un. Dans tous les cas, son auteur comme la cible ne savent pas ce que bonne gouvernance signifie. Ils ont été, tous les deux, nourris au lait de la mal gouvernance respectivement pendant douze et huit ans. Cet appel de Karim Wade est donc un signe manifeste d’irrespect à l’endroit du peuple sénégalais. Lui et son père ont fait leur temps, un temps noir de l’histoire du pays. Leur page doit donc être tournée, définitivement. Les faire revenir au pouvoir serait pour nous comme une sorte de malédiction, comme le serait d’ailleurs la réélection du président-politicien. Les sept ans de gouvernance qu’il va boucler dans deux mois, ne devraient pas, en tout cas, nous y inciter. Il est vrai qu’il est en train de remuer ciel et terre pour se faire réélire dès le premier tour le 24 février 2019. Nous devrons tout mettre en œuvre pour nous opposer à sa réélection qui serait une catastrophe nationale, la continuité dans la mauvaise gestion, le népotisme, la politique politicienne et folklorique, le piétinement de nos valeurs, etc. Ce scénario-catastrophe ne devrait pas être possible d’ailleurs, malgré le bilan qu’il porte toujours en bandoulière. Ce bilan n’est pas seulement matériel et physique, il est aussi moral. Le premier est contestable sur bien des points, le second catastrophique.
Arrêtons-nous d’abord sur le premier ! Le président-politicien, son clan, sa radio et sa télévision nous pompent l’air au quotidien avec leurs tonitruantes infrastructures, des infrastructures fortement surfacturées, plus de prestige que de développement. Avant de les passer en revue, il faut rappeler que, le 25 mars 2012, nous l’avons confortablement élu, sur la base d’engagements formels et souvent solennels, à imprimer dans la gouvernance du pays les ruptures profondes que nous attendons depuis 58 ans. Nous mettons ensuite, chaque année, un budget à sa disposition. Quoi de plus naturel donc qu’il construise des infrastructures ? Il est navrant d’entendre certains compatriotes répéter à l’envi qu’il a donné un forage, un centre de santé, un lycée à telle ou telle localité. Il ne donne rien, il est dans son rôle quand il réalise des infrastructures. Il ne donne rien, il prend plutôt. Ses réalisations sont coûteuses et manquent souvent de pertinence. Le seul exemple de ce Train Express régional (TER) suffit à l’illustrer. Conçu seulement pour frapper les imaginations à moins d’un mois de l’élection présidentielle, ce train va nous coûter les yeux de la tête. Plus de mille milliards sûrement, peut-être bien plus avec cette lettre qui circule et qui serait adressée à son Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan. Autant de milliards pour 34 kilomètres puisqu’on ne parle plus de Diamniadio-AIBD ! Ce TER vient avec 30 ou 40 ans de retard. Son tracé pose beaucoup de problèmes et de désagréments. Il éventre notre forêt de Mbao, déplace des populations qui vivent ensemble depuis 60 à 70 ans, voire plus. Si ce projet politicien et électoraliste avait été soumis au référendum, il aurait sûrement été rejeté par une écrasante majorité. On n’a pas besoin d’être un technicien ou un génie pour comprendre que ces milliards auraient pu servir plus utilement le pays, surtout le pays profond. Ils pourraient en particulier financer ce vieux projet de train reliant Dakar-Ziguinchor ou réhabiliter nos anciens chemins de fer abandonnés, à l’époque, sur injonction de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). J’ai tenté d’illustrer, dans mes contributions antérieures, comment l’un ou l’autre scénario pourrait être bien plus utile pour nos populations.
Je ne m’attarderai pas sur l’autoroute ‘’Ila Touba’’ qui coûte aussi très cher, trop cher comparé aux autres qui sont construites en Afrique : 416 milliards pour 112 km à travers un terrain sablonneux. Deux cents (200) y suffiraient, bien moins selon de nombreux techniciens interrogés, surtout qu’elle n’avait aucun caractère urgent, pour le moment en tout cas. La route Thiès-Touba via Khombole, Bambey, Diourbel pourrait être élargie en deux voies matériellement séparées. Les villes de Thiénaba, Khombole et Bambey seraient contournées, Diourbel l’étant déjà. Ce projet n’aurait pas coûté plus de 200 milliards et les 216 autres seraient dépensés plus utilement ailleurs, à Touba comme dans d’autres localités du pays qui en ont tant besoin. J’ai fait plusieurs propositions dans ce sens, dans mes écrits comme dans mes interventions, plus rares, sur les plateaux de télévision et devant les micros de radios.
Nous pourrions donner d’autres exemples de réalisations dont nombre de compatriotes doutent de la pertinence et s’indignent des coûts exorbitants. Parmi elles, on peut citer pêle-mêle : 1) les 6,5 millions cartes d’identité biométriques les plus chères du continent et dont personne – sauf peut-être le Ministre de l’Intérieur et certains de ces directeurs – ne sait si elles sont toutes éditées ; 2) les 50 000 lampadaires solaires acquis par le président-politicien à plus de 57 milliards (plus d’un million de francs CFA l'unité), auprès du Groupe ‘’Fonroche Eclairage’’, au détriment de nombre d’autres industriels notamment asiatiques, américains et européens, dont les offres seraient pourtant beaucoup plus intéressantes pour notre pays. En outre, un journal français, ‘’Les Echos’’, précise que c’est l’entreprise '’Eiffage’’ – encore elle – qui va se charger de l'installation des lampadaires[2] ; 3) la réhabilitation du Building administratif dont le coût initial déclaré de 17 milliards aurait fait un grand bond, avec les multiples avenants – devenus une pratique courante avec la gouvernance en cours – jusqu’à atteindre les 30 milliards, peut-être plus ; 4) le Centre international de Conférences Abdou Diouf (CICAD) qui nous aurait coûté, lui aussi, plus de 50 milliards !
Nous aurions pu citer bien d’autres exemples d’infrastructures fortement surfacturées et dont la pertinence est loin d’être prouvée. On en trouve en grand nombre développées dans nos contributions comme dans celles d’autres compatriotes. Le tonitruant bilan du président-politicien est donc loin d’être aussi élogieux qu’on nous le présente. Il l’est encore moins si on en considère l’aspect moral. C’est lui-même, notre président-politicien, qui déclarait qu’une gouvernance ne se limitait pas à construire des infrastructures. Elle doit aussi prendre en compte la promotion de nos valeurs. Or, de ce dernier point de vue, son bilan est une catastrophe et on peut s’en faire déjà une idée en lisant ma contribution qui a pour titre : « Monsieur le Président de la République, où trouvez-vous la force de regarder encore vos compatriotes les yeux dans les yeux ? »[3]. Oui, je me suis posé légitimement la question, quand il reniait, au quotidien et sans état d’âme, tous les engagements qu’il avait pris avant le 25 mars 2012 et qui lui valurent, pour l’essentiel, 65% de nos suffrages. Le reniement qui nous a le plus indignés, c’est celui de son engagement à réduire le mandat présidentiel de sept à cinq ans et à se l’appliquer. Il l’a plusieurs fois réitéré, intra et extra muros, même sur les perrons de l’Elysée devant un président Sarkozy admiratif. Pourtant, on connaît la triste suite : un wax waxeet, le plus insoutenable de sa gouvernance, car il y en a bien d’autres. Des wax waxeet, Papa Alé Niang nous en donne des exemples dans pratiquement toutes ses excellentes chroniques. Il nous revient en particulier cette déclaration que, s’il n’avait pas mis le coude sur des dossiers, nombreux seraient ceux qui iraient en prison. Devant le tollé général soulevé par un tel aveu de la bouche d’un président de la République, il se rétracte sans état d’âme et s’enfonce davantage en précisant qu’il n’a mis le coude que sur un dossier, celui du FESMAN, pour ne pas envoyer en prison la sœur après le frère (Sindiély après Karim Wade). Je laisse le soin au lecteur de caractériser un tel président, ce président qui s’illustre dans un autre engagement public sans lendemain : celui qu’il ne prendrait jamais un décret pour confier des responsabilités nationales à son omniprésent frère. Quelque temps après, il signe un décret pour le nommer à la tête de l’une des plus stratégiques directions générales, celle de la Caisse de dépôt et de Consignation.
Nous n’oublierons pas cet autre engagement sans lendemain, celui à mettre en œuvre, une fois élu, une politique ‘’sobre, transparente et vertueuse’’. Une politique sobre ! Sobre avec le nombre impressionnant de ministres d’Etat, de ministres, de ministres-conseillers, d’ambassadeurs itinérants, de chargés de missions, etc., qu’il nomme à tout bout de champ ! Sobre avec les gigantesques caravanes de voitures grand luxe et avides de carburant qui le suivent à travers ses innombrables déplacements politiciens et folkloriques dans les quatre coins du Sénégal ! Sa politique sobre, ce sont aussi ses nombreux voyages à l’extérieur à bord d’un avion plein, plein de ses proches collaborateurs, de ses ministres et conseillers divers, sans compter les membres du couple présidentiel, les amis, les ‘’communicateurs traditionnels’’, etc. Elle se mesure également, cette sobriété, dans les innombrables grandes nuits de jouissance au cours desquelles ses ministres, directeurs généraux et autres PCA rivalisent d’ardeur à distribuer des millions de francs CFA à leur soit disant griots.
Sa politique transparente ! Ce qualificatif sonne faux dans tous ses actes de gouvernance : dans l’attribution des marchés publics, où le gré à gré est devenu une exception ; dans l’étouffement des organes de contrôle qui ne publient pratiquement plus de rapports ou, même s’ils sont produits, sont écrasés sous le poids de son coude, surtout s’ils mettent en cause la gestion de ses proches. On n’oubliera pas les nombreux dossiers de l’OFNAC et de la CENTIF qui dorment d’un long sommeil sur la table du procureur de la République, peut-être à l’exception notable de celui de kumba amul ndey Ababacar Khalifa Sall, traité avec une diligence inhabituelle.
Nous ne nous attarderons sûrement pas sur ce fameux slogan ‘’La patrie avant le parti’’. Même les plus indifférents de nos compatriotes savent ce que c’est devenu. La lutte sans concession contre la corruption qu’il nous promettait connaît le même sort, entretenue qu’elle est au niveau le plus élevé de l’Etat. Pendant ses sept années de gouvernance opaque, ce président-politicien a grillé 56 milliards (au moins) de fonds politiques. Il distribue, au quotidien, des millions de francs CFA, au palais de la République comme lors de ses nombreux déplacements. Il a légitimé la détestable transhumance et achète sans état d’âme et au grand jour des consciences.
Plus qu’une contribution, c’est un livre, un gros livre qu’il faudrait pour passer en revue tous les reniements de ses engagements. Cet homme qui préside aux destinées de notre pauvre pays depuis le 2 avril 2012 fait tout le contraire de ce qu’il nous avait promis. A son image, sa politique n’est ni transparente, ni sobre, ni vertueuse. Son parti, omniprésent, écrase la patrie. Avec lui, la corruption, les détournements de deniers publics et autres forfaitures vivent leurs plus beaux jours. S’y ajoute que la loi est loin d’être la même pour tous, au contraire de l’engagement ferme qu’il avait pris dans ce sens. Il est foncièrement partisan et, naturellement, injuste. Ce qui est surtout insoutenable pour un président de la République, pour un kilifa, sa parole ne vaut plus un kopeck. ‘’Waxi Macky de du ma ci dóor sa ma doom’’, entend-on souvent dire dans le pays. Comment pouvons-nous donc envisager, un seul instant, de réélire cet homme, même si son bilan matériel était convaincant, ce qui est loin d’être le cas ? Ne nous a-t-il pas suffisamment trompés, suffisamment déçus ? N’en avons-nous pas assez avec cet odieux système de gouvernement qui nous maintient encore parmi les 25 pays les plus pauvres et les plus endettés du monde ? Réélire le président-politicien, avec son bilan moral dérisoire, c’est reconduire ce système pendant encore cinq ans. Sommes-nous prêts à nous y aventurer le 24 février 2019 ? Il appartient à chacun et à chacune d’entre nous de répondre objectivement à cette question, et d’en tirer la conséquence idoine.
[1] Pendant toute la gouvernance de son père, mes livres étaient interdits de vente au Sénégal. Ils ne franchissaient pas le cordon douanier et politicien de l’Aéroport international de Dakar Yoff. Les librairies me tournaient le dos quand je leur proposais ceux édités au Sénégal.
[2] Seneweb, 26 février 2018.
[3] Sud quotidien et WalfQuotidien du 17 juin 2016.