L’HISTOIRE SUR COMMANDE
Les commissions ne s’imposent que lorsqu’il s’agit de l’histoire coloniale. Il y a déjà aujourd’hui assez de matière pour savoir que l’armée française a procédé à un nettoyage ethnique avant et après l’indépendance du Cameroun
«Quand je veux enterrer une affaire, je crée une commission ! »
Emmanuel Macron connait bien évidemment cette formule ainsi que son auteur qui fut la personnalité politique française la plus retorse et la plus flamboyante du premier quart du XXe siècle. Mais Georges Clémenceau parlait de la politique locale, alors que Macron lui veut enterrer des affaires bien plus graves qui interrogent le destin de populations entières et leur droit à la justice.
Il a retenu la leçon de Clémenceau, mais il l’applique à l’Histoire. Pour répondre aux revendications des Africains qui estiment qu’il est temps que la France, à l’instar d’autres puissances occidentales, reconnaisse les massacres, les exécutions arbitraires, les dénis de justice… qu’elle a commis pendant la période coloniale, et qui sont inhérents à toute colonisation (dont il avait dit ,dans une autre vie, qu’elle était un « crime contre l’Humanité »), il a inventé un machin qui s’appelle une commission d’historiens.
Ces commissions ont ceci de particulier que c’est l’accusé qui décide de leur composition ainsi que de la qualité et du nombre de leurs membres ,qui fixe le calendrier de travail et le cahier de charge, qui fournit les moyens nécessaires à leur fonctionnement et qu’enfin, c’est à lui qu’elles rendent compte, en priorité, des résultats de leurs travaux. Il y a eu donc une commission sur le génocide des Tutsis, qui a conclu que la France était « responsable mais non coupable » des massacres opérés au Rwanda en 1994, ce qui pourrait être considéré comme une réponse de normand. Il y aura bientôt une commission sur l’élimination physique de résistants camerounais et l’extermination de populations civiles que des historiens avertis estiment à 100.000 individus.
Peut-être y aura-t-il un jour, une commission sur l’écrasement de la rébellion malgache, voire sur le massacre de Thiaroye ou la tuerie de Dimbokro, et, pourquoi pas sur les déportations d’Aline Sitoé Diatta, de Cheikh Hamallah ou de Cheikh Amadou Bamba ou sur l’exécution expéditive de Baydi Katié. Car, on l’aura compris, les commissions ne s’imposent que lorsqu’il s’agit de l’histoire coloniale, puisqu’à ma connaissance, Emmanuel Macron n’en a pas eu besoin pour proclamer que « c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation, et donc la mort, des personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet 1942 à leur domicile » Puisque seule l’ Afrique pose problème, ne serait-il pas plus simple et plus économique que le président Macron, à l’instar des rois de France, se dote d’un historiographe patenté, un Racine ou un Chateaubriand qui serait spécifiquement chargé de fournir aux Africains les réponses qu’ils se posent sur les drames qui ont jalonné la colonisation française ?
Cela éviterait aux autorités françaises de faire des promesses qu’elles ne tiennent jamais, comme celle d’ouvrir toutes les archives à tous les chercheurs, quand on sait que la notion de « secret défense » reste un infranchissable plafond de verre. Mais surtout l’existence d’un historiographe embedded aurait l’avantage d’éviter la décrédibilisation des chercheurs qui refusent de travailler sur commande des politiques, compte tenu du gouffre éthique qui les sépare , ou de travailler sur des sujets qu’ils n’ont pas choisis ou qu’ils estiment suffisamment explorés. Il y a en effet aujourd’hui assez de matière pour savoir que l’assassinat de Ruben Um Niobé est un crime politique ou que l’armée française et ses supplétifs africains ont procédé à un nettoyage ethnique avant et après l’indépendance du Cameroun.
On savait bien que la tournée express qui allait conduire Emmanuel Macron sur plus de 4000 kilomètres d’est en ouest (une fois et demie la distance Paris Moscou !) ne serait pas une visite pénitentielle. Mais on avait la naïveté de croire qu’après son premier mandat au cours duquel il s’était présenté comme plus intelligent que tous et proclamé son ambition de changer les Africains, le président français aurait, pour son second mandat, suivi les conseils de Rumi et conclu qu’avec la sagesse qu’il avait acquise, il n’avait plus qu’un objectif : se changer lui-même.
Hélas, chassez le naturel et il revient toujours au galop et les présidents français, celui-ci comme ses prédécesseurs, ne fixent pas de limites à leur arrogance dès qu’ils foulent le sol africain, du moins celui de leurs anciennes colonies. Alors Macron pontifie, menace, insulte, promet, fait la leçon aux Africains et leur trace la voie à suivre. Il met mal à l’aise son hôte camerounais en tirant à boulets rouges sur un pays avec lequel ce dernier venait de signer un accord, et avec lequel lui-même, si on l’en croit, entretient un dialogue constructif. Malheureusement Biya n’est pas Mandela qui, dans des circonstances semblables, avait répliqué à Clinton : «M. le président, vos ennemis ne sont pas forcément les nôtres ! »
A Yaoundé, Macron passe pratiquement plus de temps avec ses compatriotes, dont le célébrissime Yannick Noah (qu’il est toujours bon d’avoir à coté de soi) qu’avec les 30 millions de Camerounais, et ne s’émeut guère de la potemkinisation de la capitale où des masures ont été démolies sur la route de son cortège pour ne pas obstruer sa vue. Il traite les chefs d’états africains d’hypocrites (c’est significatif qu’aucun de ceux qui étaient visés n’ait réagi, alors que la Russie a riposté de façon cinglante aux accusations portées contre elle !) et dit aux Africains qu’ils n’ont qu’à manger du mil ou du manioc s’ils ne trouvent pas assez de blé ! Il parle de droits de l’homme au président béninois alors qu’il se prépare, pour le lendemain, à serrer longuement et ostensiblement les mains du sulfureux prince héritier saoudien, accusé d’avoir été le commanditaire de l’assassinat et du dépeçage d’un de ses opposants, un journaliste de surcroit et en terre étrangère ! Il extorque au président bissau-guinéen les secrets de ses rencontres avec ses homologues de la sous-région, ce qui met à mal la poursuite de la mission de celui-ci en tant que président de la CEDEAO !
Bref M. Macron a été accueilli par des foules dont la liesse est aussi encadrée que ses commissions, mais il n’est pas sûr qu’il ait travaillé à redorer le blason de la France en Afrique…