L’HIVERNAGE EST-IL DEVENU UN FACTEUR DE DELITEMENT DE NOTRE CADRE DE VIE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le visage qu’offre la banlieue pendant l’hivernage est désespérant. C’est écœurant de voir après soixante ans d’indépendance, cette saleté au cœur des plus vieux quartiers de la capitale

Plouc ! Ploc ! Plof ! Ce n'est pas le cri du dindon ni de la grenouille. Ce sont les coups de pagaie dans certaines rues de la banlieue de Dakar, les maisons englouties et devenues des îles, on y accède par canoë. Les images des inondations défilent en boucle sur les réseaux sociaux. Triste Sénégal, 60 ans d'indépendance, des populations nagent dans l'eau infestée. Les gens souffrent ! L'État doit accepter la réalité dans sa brusque laideur. Certainement, l'assainissement n'a jamais été une priorité pour les différents régimes. Que de sommes importantes ont été investies dans la création d’institutions et d’infrastructures budgétivores et généralement improductives.
Tous ces milliards auraient pu servir à assainir le Sénégal ou de réhabiliter le collecteur de Hann-Fann (long de plus 6 kilomètres et traverse plusieurs quartiers de Dakar) qui menace de ruine sous le poids de l'âge. Certains opposants véreux plutôt que d'apporter ou proposer des solutions, s'enfoncent dans la brèche née de cette situation inconfortable et fort embarrassante pour exister et tirer sur l'ambulance. Pauvre Sénégal ! Il faut que les gouvernants cessent de berner le peuple. Il y a des infrastructures qui ne sont que de la poudre aux yeux et une manière d'appâter l'électorat. Cela est un populisme malsain.
Une banlieue négligée
Le visage qu’offre la banlieue pendant l’hivernage est désespérant : des maisons sous les eaux, des flaques d’eaux partout, des rues d’une vétusté indescriptible, une occupation anarchique des chaussées, une odeur nauséabonde, des commerces et autres ateliers partout, une fréquence permanente de clochards et de mendiants, des moustiques et des insectes présents en toute saison, une nuisance sonore persistante, un éclairage défaillant voire inexistant. Telle est la situation actuelle qui prédomine dans la plupart des quartiers de la banlieue. Ce phénomène cache un problème de santé et de sécurité publique qui nécessite l’intervention de plusieurs acteurs tels que : l’Etat, les collectivités locales, les forces de l’ordre et de secours, les organismes communautaires…
La banlieue est confrontée depuis plusieurs années à cette insalubrité endémique qui enlaidit d’année en année son cadre de vie. Malheureusement, il n’y a pas une volonté sérieuse de la part des autorités locales et de l’Etat pour que les choses se fassent mieux que l’année précédente. C’est à croire que le désordre et l’insalubrité seraient en partie voulus tellement le cadre de vie est agressé.
Dans la banlieue, après la pluie c’est le sale temps, c’est la raison pour laquelle, les populations accueillent la saison des pluies avec appréhension et anxiété, celle-ci, apporterait de la saleté et des déchets plaçant les lieux dans un état hideux. La pluie a cet éclat du diamant de par ses énormes avantages naturels qu’elle produit mais elle a aussi cette cruauté froide, elle met à nu nos insuffisances, nos limites, nos manquements. Partout, ce sont les mêmes problèmes d’évacuation et de drainage des eaux, il suffit que ça pleuve pour voir les défaillances dans la gestion dans ces zones. Les instants qui suivent la pluie offrent un spectacle désolant et triste à ces habitations. L’eau ne circule pas, elle n’a pas de dégagement à cause d’un défaut de canalisation ou de curage. C’est écœurant de voir après soixante ans d’indépendance, cette saleté au cœur des plus vieux quartiers de la capitale. Il faut des plans structurels afin de régler définitivement le problème.
Des initiatives internes encore vaines
Pourtant les populations restent conscientes du danger qui peut résulter du délitement de leur cadre de vie. Elles ont compris que le bien être ne peut être durable tant que les conditions environnementales ne seront pas respectées, elles s’organisent et cherchent des stratégies malgré l’absence et la faiblesse des soutiens. L’initiative pour régler ce problème émane de plusieurs entités : les associations de jeunes et de bonnes volontés. Les habitants sont aussi conscients que c’est une obligation morale de s’engager et de mettre leurs compétences au service de leur localité. Ils ont compris également que promouvoir leur cadre de vie, c’est une mission de salut public, des forums et des séances de discussions sont coordonnées périodiquement en ce sens. Plusieurs journées et d’opération de nettoyage sont organisées pour se débarrasser des ordures qui indisposent la quiétude des habitants mais sans effets conséquents.
L’administration municipale dépassée
Les apories de la politique des différentes équipes locales constituent un handicap majeur. L’autorité municipale reste peu soucieuse du sort des populations, elle se nourrit souvent d’un faux jeu et d’un populisme participatif teinté d’un semblant effort, c’est-à-dire au départ elle s’y met et après leur action s’immobilise. Que simulation et ruse : un véritable ersatz de solution. Même les opérations de saupoudrage visant à désinfecter et à atténuer les piqures de moustiques semblent être abandonnées laissant les populations à elles-mêmes. Les collectivités locales devraient aider à un mieux vivre à ce qu’on sache. Ce qu’on attend d’elles, c’est surtout un programme spécial à titre provisoire évidemment pour certaines zones qui consiste à mettre en place une équipe de nettoiement durant toute la saison des pluies afin de soulager les populations, le temps de régler définitivement l’assainissement. Les quartiers de la banlieue ont généralement une configuration assez spécifique notamment leur position de bassin creux qui favorise le ruissellement des eaux venant des points élevés. Les autorités doivent avoir cette capacité d’anticipation afin d’apporter ou bien de proposer des solutions innovantes mais lorsqu’elles deviennent indifférentes à tout, elles deviennent logiquement coupables de tout et à coup sûr.
Aujourd’hui, le constat est là, les populations de la banlieue notamment celles jouxtant les bassins de rétention vivent le calvaire né des eaux de pluie, l’espace est envahi de dangereux reptiles, de vermines et de tas d’immondices favorisant de fortes odeurs gênantes. L’anarchie reste visible partout : les rues désorganisées, les trottoirs désarticulés, l’air suffocant ! Les ordures rendent difficilement accessibles les entrées et les sorties dans la banlieue. Cette présence de saletés mélangées d’objets de toute nature contraint les populations à vivre dans des conditions de vie insalubres avec une menace grandissante à la santé dans un contexte de pandémie (plusieurs maladies infectieuses notées surtout le paludisme et les infections bactériennes) et à la sécurité (la probabilité de chutes et des glissades est très élevée).
Cela reste sans doute évident, une localité insalubre entraine inexorablement les conditions de l’illégalité, l’ennui et le vice. Les malfaiteurs ont fini de faire dans certaines zones de la banlieue un espace clochardisé. Autrement dit, lorsqu’une cité s’éloigne de l’hygiène, elle devient criminogène si les meilleures stratégies ne sont pas prises, les cas de vols et d’agression se multiplient et le défaut d’éclairage favorise pour beaucoup l’insécurité.
Autre lieu, autre décor (l’exemple du quartier de Bopp)
Le cas de cette localité demeure pour ma part essentiel à cause de son degré de détérioration très avancé surtout au jardin public (chaque hivernage, c’est la saleté dans cet espace). Situé dans la commune de Biscuiterie au cœur du centre-ville de la région de Dakar, Bopp offre de visu l’exemple type de ce qu’on peut définir comme cadre de vie détérioré en état de dégradation. C’est l’un des quartiers les plus malpropres de la commune de Biscuiterie pendant l’hivernage. Pourtant, on prédestinait un avenir merveilleux pour ce paisible quartier mais aujourd’hui tout cela ressemble à un ballon qui se dégonfle. Il serait sans doute très dommage de voir ou laisser se dégrader un aussi important siège construit durant plusieurs décennies. Néanmoins, il faut saluer l’engagement du délégué du quartier, du collectif des habitants de Bopp et de bonnes volontés qui ne ménagent aucun effort pour la propreté de la localité.
Je prends l’exemple du quartier de Bopp parce que je suis résident de cette localité. Par-là, je compatis par cette contribution au sort de toutes les autres localités vivant pareille situation (à Dakar, Rufisque, Keur Massar, Thiaroye, Grand Médine, à la Patte d’Oie, Grand Médine et l’Unité 24, l’unité 3, Golf, Cambérène. A Saint- Louis, notamment les quartiers de Pikine, Goxu Mbacc, Sor Diagne, Sor Daga, Diaminar, Léona, Médina Courses, Hlm, Corniche, Nord entre autres) sont aussi concernées par ces eaux qui les submergent. Entonnons le refrain « Trop, c’est trop ! » Il est temps de revoir la copie et de penser à une politique d’assainissement sérieuse afin d’arrêter la souffrance des populations.
Des pistes de solutions à exploiter
Le programme décennal de lutte contre les inondations (PDLI 2012-2022) est très ambitieux mais doit être évalué de manière sérieuse afin d’améliorer considérablement le cadre de vie des populations sénégalaises. On a tous entendu parler du Programme de Modernisation des Villes (PROMO-VILLES). L’initiative reste noble. Mais il est souhaitable tout d’abord qu’on mette sur table la question de l’assainissement et un programme qui travaillerait davantage sur les attitudes et reflexes des populations en matière de patriotisme et de sens de responsabilité civique, c’est-à-dire remettre la population au centre des problématiques de développement. Qu’on se donne le temps d’une analyse sincère et rigoureuse sans quoi, ce sera un éternellement recommencement. Il s’agit aujourd’hui de maitriser son destin et de refuser le fatalisme. Il s’agit en outre de développer des attitudes pour contrôler les effets néfastes de la pluie, des fonctionnements pour la dominer et des comportements pour la domestiquer. Il faut que les populations puissent être engagées afin qu’elles s’approprient véritablement la réalité de l’émergence. Il s’agit aussi d’impliquer les notables dans la gestion de leur cité pour sensibiliser davantage les populations et les dissuader de certains actes de nature à détruire leur cadre de vie. C’est dans cette dynamique que l’autorité publique doit s’inscrire.
Bientôt la fin de l’hivernage, les populations vont encore oublier le calvaire, l’autorité publique négligera aussi la question de l’assainissement et le cadre de vie poursuivra sa dislocation inexorable.
Que chacun se batte pour une citoyenneté active et pour la promotion de sa localité afin qu’elle soit associée au développement de ce pays.
Oumar Kamara est Professeur aux Cours Privés Limamoulaye