L'OPPOSITION AUX ABOIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Sur le terrain strictement politique, on constate qu’avec l’éviction de Karim et Khalifa, l’opposition perd deux grosses pointures - Elle n’arrive pas à canaliser ces accès de colère, contre la vie chère, les pénuries d’eau
Il faudra certainement attendre le jugement définitif du procès de Khalifa Sall et Cie pour se faire une idée plus précise sur la configuration de l’opposition et par-delà, celle de la présidentielle de 2019.
Cependant, selon toute vraisemblance, le sort du maire de Dakar, semble scellé. Les violations établies des droits de la défense et l’irrégularité constatée sur les différentes phases de la procédure, amènent à penser que, pour le député-maire prisonnier, la messe est déjà dite. À moins d’un miracle judiciaire, il est difficile d’imaginer que, ce qui a été refusé au cours de l’instruction et des délibérations lui soit accordé, au jugement en appel. Dans le même ordre d’idées, la Cour Suprême, sur le fond, remettrait difficilement en cause les autres jugements précédents. Pas plus d’ailleurs le Conseil constitutionnel n’y décèlerait un quelconque motif d’inconstitutionnalité. Et pour cause...
La Cour de la Justice de la CEDEAO, l’ultime recours de la défense, a vu son arrêté, écarté par le juge d’appel, Demba Kandji, après le rétropédalage du Procureur Général Lansana Diaby Siby. Il n’y aurait peu de chance qu’une nouvelle saisine de la cour communautaire y change quoique ce soit. Y aura-t-il le chaos communautaire que prédisait le procureur Siby, puisque la justice sénégalaise ne s’est pas conformée à l’arrêt de la Cour de Justice. Et que le Sénégal, pays pionnier, dans la stratégie communautaire, n’a pas respecté les conventions qu’il a signées. Khalifa Sall à la présidentielle, ce n’est qu’une hypothèse de principe, pour encore quelque semaines encore. Voilà donc une tête de gondole de l’opposition, qui serait probablement absent de la course.
Il en serait ainsi de Karim Wade, lui aussi hors compétition du fait de sa lourde condamnation par un tribunal spécial, la CREI, dont la légitimité est largement sujette à caution. Les recours envisagés par ses conseils devant la Cour de justice de la CEDEAO risquent de ne pas prospérer. Tant il est vrai que la contrainte par corps constitue un handicap supplémentaire à franchir, s'il ne s’acquitte pas des 138 milliards de dommages infligés par la CREI, en dépit de la sa grâce présidentielle.
Dans un cas comme dans l’autre, ils sont tous les deux victimes du non respect de leurs droits durant la phase des procédures. Toutefois, les charges, qui pèsent sur eux, font nettement apparaître durant leur procès, qu’ils n’ont pas fait preuve d’exemplarité dans leurs gestions respectives. Mais, il en est ainsi du droit et de la justice. Le moindre écart sur les normes (notamment contre les intérêts de la défense) peut entraîner la nullité d’une procédure. Et du coup, les pires délinquants peuvent échapper provisoirement aux rigueurs de la loi, en attendant la reprise de la procédure sur des bases plus conformes aux exigences du droit.
Sur le terrain strictement politique, on constate qu’avec l’éviction de Karim Wade et Khalifa Sall, l’opposition perd deux grosses pointures, qui auraient pu peser à des degrés divers sur l’issue de l’élection. Les deux coalitions les plus représentatives de l’opposition, Mankoo Taxawu Sénégal et Mankoo Waatu Sénégal, ne seront probablement pas parties prenantes à la course pour le Palais présidentiel. Et pourtant, s’il est vrai qu’il reste encore à Khalifa et à Karim, une brindille d’espoir, pour être candidat, rien n’augure que la justice jusqu’ici aveugle sur leurs droits, leur ouvrirait la porte de la piste.
Et pourtant, en dépit de cette lourde hypothèque, ils comptent maintenir ne serait-ce que symboliquement leur intention de croiser le fer avec le président sortant. Par calcul tactique en essayant de maintenir la pression sur la justice, pour éviter de décourager voire démobiliser les partisans et militants ? Cette démarche peut avoir du sens en effet, mais en réalité, elle démembre leurs coalitions respectives, divise l’opposition et affaiblit ses chances de créer les conditions d’un second tour.
Alors qu’ils continuent du bout des lèvres, de soutenir et d’exiger la double candidature de Karim et Khalifa, les principaux leaders des deux Mankoo (Idrissa Seck et Malick Gakou) sont assis sur des braises. Ils comptaient secrètement sur la mise hors course de Karim et khalifa, pour récupérer les suffrages de leurs militants frustrés, et les capitaliser à leurs profits. Voilà que les donnes changent avec la persistance des deux « bannis » pourrait conduire soit à un boycott massif du scrutin, soit à une large dispersion des voix entre plusieurs offres. Les deux états-majors de Karim et Khalifa, n’étant pas décidés à donner des consigne de vote, en faveur de Gakou ou Idrissa Seck. Un vrai coup de massue ! Faute d’alliance électorale que rien ne présage, pour l’heure, on voit mal, comment Malick Gakou et Idrissa Seck, pourraient mettre dans leur escarcelle le poids électoral deux Manko.
L’argument présenté de part et d’autre, indique clairement que les deux coalitions avaient une existence circonscrites aux législatives, faute d’une entente sur une stratégie électorale pour la présidentielle.
La multiplicité des plates-formes d’alliance et autres unités d’actions prouve à satiété que les différentes composantes de l’opposition sont plongées dans le désarroi. L’irruption sur la scène politique de nouveaux profils dits « indépendants» jusqu’ici hors du système partisan gêne leur discours. Elle les fait apparaître comme des politiciens dans le même registre que celui de la majorité, incapables eux-aussi, de porter l’espoir des Sénégalais. Cette stratégie du « tous pourris » affecte non seulement le pouvoir mais l’opposition, notamment ceux de ses dirigeants, déjà aux affaires dans les gouvernements précédents.
Face à la loi sur le parrainage, qui risque de figer le starting-block, nombre de candidats à la course, l’opposition ressent toutes les difficultés à nouer des alliances. Non seulement parce qu’elle est émiettée, mais surtout parce que les rigueurs du parrainage, ont engendré un contexte lourd d’incertitudes, puisque la seule candidature sur qui ne pèse aucune hypothèque est celle du Président sortant. Il s’ajoute que le débauchage des transhumants, affaiblit le camp de l’opposition. Le Président Sall compile dans son « safe room» de gros bonnets du PDS.
Que peuvent apporter ces « brouteurs » au Président candidat ? Récemment, un leader de l’APR disait avec aplomb, préférer l’armée régulière des partisans de la première heure, aux «mercenaires» de la dernière heure. Mais le constat est que les rangs de l’opposition se dégarnissent, et d’autres « gros porteurs » et autres « cargos » de la famille libérale sont annoncés. Impuissants à verrouiller la loi sur le parrainage, incapables de s’organiser pour constituer des pôles et blocs solides et solidaires, sans programmes attractifs, sans solution face à l’hémorragie, sans leader emblématique, l’opposition parcourt par monts et vaux les foyers religieux et les chancelleries étrangères, pour lancer des cris d’orfraie.
Elle parvient tout de même, à mobiliser ses partisans. Mais, elle n’arrive pas à canaliser ces accès de colère, contre la vie chère, les pénuries d’eau, les coupures d’électricité, les déroutages judiciaires. L’opposition sénégalaise est assurément aux abois. Elle scrute le Mali et voit bien qu’un pays traversé par les pires démons de la guerre civile, de la pauvreté et de l’ethnicisme arrive bon an mal an, à organiser une élection présidentielle, sans accrocs majeurs. Au moment où les contentieux politiques, et l’absence d’un vrai dialogue politique menace la quiétude l’élection présidentielle au Sénégal, pays réputé modèle de démocratie.