«MA MERE A TOUJOURS ETE UN VRAI MODELE POUR MOI»
Le capitaine de l’équipe de France de basket, d’origine sénégalaise, Boris Diaw, rend hommage à sa mère
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, programmée tous les 8 mars, le capitaine de l’équipe de France de basket, d’origine sénégalaise Boris Diaw-Riffiod – qui évolue cette saison en Pro A à Levallois – a tenu à rendre un hommage appuyé à sa mère, Elisabeth Riffiod. Elle-même basketteuse de très haut niveau, elle a élevé seule ses deux fils, Martin et Boris, tout en enseignant la sociologie et le basket-ball à Bordeaux.
Boris quand on vous a demandé quelle était la femme qui vous avait le plus marqué dans votre vie, vous n’avez pas eu la moindre hésitation bien sûr…
Non aucune ! C’est ma mère bien sûr qui a été la plus grande présence féminine dans ma vie et dès le plus jeune âge, puisque c’est elle qui m’a élevé. Mon père habitait au Sénégal et ne venait nous rendre visite qu’une fois par an. Du coup, ma mère a assumé le rôle des deux parents et elle a pris une place importante pour moi et à deux titres. Non seulement en tant que mère bien sûr, comme tout le monde, mais également comme modèle. C’était une personne qui était reconnue pour ce qu’elle avait fait durant sa carrière. Je ne m’en rendais pas forcément compte au début - pourquoi les gens venaient la voir, la reconnaissaient, lui disaient bravo pour sa carrière – puisque moi je ne l’ai pas vue cette carrière [Boris est né en 1982, Elisabeth a mis un terme à sa carrière sportive en 1980 ; ndlr]. Et puis ensuite, en me renseignant un peu sur ce qu’elle avait fait en équipe nationale et en club, je me suis rendu compte de ce qu’elle avait atteint dans sa carrière, notamment dans les années 1970 où elle a réussi de beaux exploits. Son équipe, le CUC (Clermont Université Club ; ndlr) régnait sur le basket féminin en France [une série de 222 matchs sans défaite entre 1968 et 1977 ; ndlr]. En fait, je n’en ai vraiment pris conscience qu’en voyant son nom dans un livre des records que j’avais feuilleté vers l’âge de six ou sept ans et que j’ai vu qu’elle avait le record de sélections en équipe nationale. Là, c’est devenu plus tangible ! Le livre des records, c’est ce qu’on lisait quand on était gamins. Je trouvais ça très très impressionnant à l’époque.
Mais au-delà de l’aspect sportif, il y a aussi et surtout l’aspect humain
Absolument. Elle a toujours fait preuve d’exemplarité dans sa carrière. Toujours au service de l’équipe. Mais aussi, au-delà de ça, elle a toujours été très impliquée socialement. Elle a fait des études de sociologie. Quand j’étais gamin, elle était prof à la fois de socio et de basket à la fac de Bordeaux. Elle s’est toujours impliquée aussi dans différentes associations et a toujours donné de son temps. Elle a été un vrai modèle pour moi.
C’est d’autant plus remarquable que, pour elle, rien n’a été facile au départ…
Oui elle est venue au sport très très tard. Elle a commencé le basket vers l’âge de 19 ans car elle avait des problèmes de santé, des problèmes sanguins pour être précis, qui ont fait qu’elle s’y est mise tard. Et du coup, cela a été une ascension assez fulgurante pour elle. Après, le basket lui a permis de pas mal s’ouvrir aux choses. Jouer des coupes d’Europe, faire des championnats du monde lui a permis de voyager. Je me souviens l’avoir entendue nous raconter ses voyages à Séoul, d’avoir été à la Grande Muraille de Chine grâce au basket. C’était fantastique pour quelqu’un comme elle, élevée dans un milieu modeste, à la campagne, en Franche-Comté. Elle a pu aller aux quatre coins du monde et notamment grâce au basket. Je pense que c’est ce qui lui a donné cette dimension sociale qui a toujours été la sienne.
Ce n’est pas pour être indiscret mais pour recontextulaiser la situation, vous aviez quel âge votre frère et vous quand vos parents se sont séparés ?
Moi je ne les ai jamais connus ensemble. Mon frère a trois ans de plus que moi. Lui les a un peu connus ensemble. Moi, c’était à la naissance. Donc, à mon niveau, il n’y a jamais eu de cassure. C’est la façon dont on vivait. Il n’y a jamais eu aucun malaise vis à vis de ça puisque c’était la norme pour moi.
Vous n’avez pas eu le sentiment de vivre une enfance particulière du fait d’être élevé par une mère à la fois célibataire, universitaire et ancienne sportive de haut niveau, ce qui est quand même assez singulier ?
Oui c’est vrai que c’est assez singulier. Après, l’aspect « ancienne sportive de haut niveau », je ne le voyais que lorsque j’allais sur les terrains de basket. Alors c’est vrai, quand on s’inscrivait en poussins, en minimes, dans tous les clubs de basket, c’était un peu particulier parce qu’elle était connue de la fédération et dans les différentes ligues. Mais sinon, ce n’était pas quelque chose qui était palpable pour moi. Moi, la façon dont je la voyais, c’était cette mère qui élevait à bout de bras ses deux enfants et qui faisait beaucoup de sacrifices dans sa vie. Elle avait deux jobs : prof universitaire et prof de basket si bien que, sans rouler sur l’or, nous n’avons jamais manqué de rien. Elle faisait beaucoup d’heures supplémentaires que ce soit à la fac ou avant. Elle a toujours beaucoup travaillé. C’est quelque chose que j’ai toujours respecté également. Même à l’époque, où je suis arrivé en NBA (en 2003 ; ndlr), elle faisait facilement trois fois plus d’heures que le minimum demandé à la fac
Elle a eu une influence sur votre choix de jouer au basket pour vous et votre frère Martin ?
Oui et non. On a avait les gènes quand même, d’autant qu’elle continuait à jouer pour ses loisirs, une fois sa carrière terminée. Elle a arrêté très tard car elle a toujours pris du plaisir à jouer. Mais elle ne voulait pas non plus nous pousser à faire du basket. J’ai essayé plein d’autres sports parce qu’elle ne voulait pas que l’on se focalise sur le basket. Mais après, j’y suis quand même revenu naturellement.
Elle réussissait à suivre votre carrière américaine, elle a dû en devenir insomniaque non ?
Oui, je sais qu’elle regardait, notamment sur internet avant qu’existe le League Pass NBA [un abonnement qui permet de voir les matchs de son choix à la télévision ; ndlr]. Elle suivait les matchs en live avec le play-by-play [action par action ; ndlr] qui s’affichait dactylographié à l’écran. C’était « machin qui passe le ballon à machin qui prend le rebond et qui marque » (rire). Je sais qu’elle suivait les matchs comme ça à 3 heures du matin sur son ordinateur, oui !
Elle a fait partie d’une sacrée aventure, celle des « Demoiselles de Clermont ». C’était assez énorme à l’époque. Vous avez eu conscience de ce que cela représentait dans la France de cette époque-là, une époque où les stars françaises du sport n’étaient pas si nombreuses ?
J’en ai conscience maintenant parce qu’on me l’a raconté. Je sais que leurs matchs étaient télévisés, davantage que ceux des garçons à l’époque. Elles étaient très suivies. Et ce qu’elles ont fait au niveau européen était fantastique (5 finales de Coupes des champions, ajoutés à 13 titres de championnes de France ; ndlr).
Et à l’époque, son adversaire directe dans les affrontements contre les Soviétiques du Daugava Riga s’appelait Ouliana Semenova. Une sorte de Shaquille O’Neal en fille pour le gabarit…
Exactement. On peut dire ça oui [Elisabeth Riffiod mesurait 1,87 m et Ouliana Semenova 2,13 m …].
A ce sujet, nous croyons savoir que, jusqu’à un certain âge vous jouiez des un-contre-un face à votre mère. Ça s’est arrêté à partir du moment où vous avez commencé à prendre le dessus ?
Non même pas ! Je n’ai pas eu le temps de la battre ! Elle a arrêté d’elle-même (rire). Du coup, je n’ai jamais gagné contre elle, en fait (rire).
Il reste quand même une compétition entre vous : le nombre de sélections en équipe de France. Elle est toujours devant ?
Pour l’instant oui. Il me reste encore quatre sélections avant de pouvoir la dépasser [Elisabeth Riffiod a porté le maillot de l’équipe de France à 247 reprises entre 1967 et 1980, Boris comptait pour sa part 244 sélections le 9 février dernier lorsqu’il nous accordé cet entretien. Il en est désormais à 246 depuis les victoire des Bleus contre la Belgique et la Russie, il y a deux semaines ; ndlr]. Je ne suis plus très loin mais elle a toujours le record pour le moment.
Désormais, votre mère vous aide beaucoup pour votre fondation, qui s’appelle Babac’ards.
Oui, elle y a mis sa patte dès la création, notamment sur le sujet de l’équité hommes/femmes. On organise des camps de basket pour les garçons et pour les filles, mais on a toujours voulu qu’il y ait autant de filles que de garçons. C’est une chose à laquelle ma mère a attaché beaucoup d’importance. Aujourd’hui, notre principal partenariat avec l’association, c’est une école de basket pour les filles au Sénégal, à Thiès. C’est une école qui existait déjà. Mais quand on a fait nos camps de basket, on a fait le tour de plusieurs écoles de basket à travers le Sénégal. Et on a en repéré une qui travaillait particulièrement bien, celle de Thiès. Ils avaient une équipe de garçons très bien formés et dont on sentait qu’ils avaient le potentiel pour partir vers des lycées, voire des universités aux États-Unis ou bien d’aller en Europe pour devenir professionnels. Mais il n’y avait pas encore de section filles. L’idée de ce partenariat, c’était de leur de leur donner un « boost » et les aider à créer, et à supporter financièrement, cette section filles. On s’était bien rendu compte qu’il y avait une disparité dans ce qui été fait au niveau du basket entre les garçons et les filles.
Pour conclure, c’est important pour vous cette Journée internationale des femmes qui se tient tous les ans, en particulier dans le contexte actuel ?
Oui effectivement, surtout dans le contexte de ces derniers mois. On voit des choses qui sont en train de bouger. Tant mieux. C’est quelque chose qui est important. C’est important d’utiliser cette journée-là pour faire des actions même si, à mon avis, la Journée des femmes devrait avoir lieu tous les jours.