MAGAL OU RÉGAL ?
L’œil profane du pèlerin ou du simple curieux qui a été au Grand de Touba pourrait ne retenir de cet évènement religieux que de longs cortèges de mets bien garnis, les aliments à l’excès et à la poubelle, les montagnes de viande, etc.
L’œil profane du pèlerin ou du simple curieux qui a été au Grand de Touba pourrait ne retenir de cet évènement religieux que de longs cortèges de mets bien garnis, les aliments à l’excès et à la poubelle, les montagnes de viande en tout genre, les fruits dans toutes leurs variétés, la boisson à flot… Ce qui fait que, finalement, certains ne perçoivent que le côté festin de ce pèlerinage.
Le Magal ne rime pas seulement avec régal !
Ils sont légions ceux qui pensent que Magal rime avec régal ; ils ont tort ! Ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Et le propre de l’iceberg, c’est que ce qui est immergé est plus important en quantité et en qualité que le pic qui émerge. A dire vrai, le Magal suit trois recommandations fondamentales sous forme de triptyque, les éléments saintement liés les uns aux autres : lire le Coran, lire les khassaïdes(Chants religieux écrits par le fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, à l’honneur de Dieu et du prophète de l’Islam, PSL) et faire des berndël (mot wolof renvoyant à « donner des repas copieux aux gens »). Seulement, le berndëlreste à ce jour l’un des trois anneaux du triptyque le plus connu à cause de l’attention festive des goulus (suivez mon regard du côté des « Cissé, Touré, Mbaye, Sylla, Dramé…, et autres friands devant l’éternel !). Si le berndël est l’une des prescriptions qui retient plus attention, c’est certainement du fait que c’est l’un des éléments ternaires des recommandations de Khadimou Rassoul le plus en vue en fonction des représentations mentales et autres clichés sans doute hyperboliques que renvoient les médias, et certains reportages sensationnels. A titre d’illustration, des troupeaux par milliers et sur des files en kilomètres que le défunt Cheikh Béthio Thioune ( par exemple !) drainaient vers la ville sainte, les repas copieux distribués et la viande en abondance portés à la face du monde - par la magie de la télé et des appareils numériques - font que l’image-écran que l’on retient du Magal est le régal. Mais il n’en est rien !
Que représente le Magal ?
Le Magal signifie littéralement « montrer la grandeur de… » ou plus exactement « magnifier, glorifier ». Sous ce rapport, le Magal est donc une célébration. Et, toute célébration appelle une fête, d’une manière ou d’une autre. C’est, par conséquent, l’occasion d’offrir des banquets à l’honneur des pèlerins. Les talibés qui assurent ces festins populaires ne font que suivre les injonctions de Khadimou Rassoul qui, dans une exhortation restée célèbre et ancrée dans la conscience collective mouride, a invité les fidèles à célébrer, avec faste, ainsi qu’il suit : « Du coq au chameau, je recommande à chacun d’y investir selon ses moyens dans l’action de grâce que je rends à Dieu ». C’est justement pour suivre ses préceptes que les mourides rivalisent d’ardeur, surtout qu’ils sont convaincus que tout ce qu’ils investiront cette année, « Dieu leur permettra d’avoir les moyens d’en faire plus, l’année à venir ». Cette invite à distribuer des plats en tout genre et en abondance est une tradition coranique et une sunnah du Prophète (P.S.L). En témoigne la sourate Al-Insâne (l’homme). Également, une Hadith qui élève l’acte de distribuer des repas au rang de culte. Dans cet hadith, Abdallah Ibn Amr raconte qu’« un homme a demandé au prophète (P.S.L) : quel est le meilleur Islam. Le Prophète a répondu : offrir à manger et tu passes le salam à celui que tu connais comme à celui que tu ne connais pas », (rapporté par Bukhari , Sahih n°6236).
Tous ces mets pour fêter quoi ?
Le Magal célèbre le départ en Exil de Serigne Touba. Mais, pourquoi fêter un exil dans la joie et l’allégresse ? Comment fêter ce qui se présente comme une aventure périlleuse loin des siens, dans une solitude troublante et dans un milieu hostile ? Percer ce mystère permet – nous semble-t-il – de mieux cerner le sens du Magal. Khadimou Rassoul fut condamné à l’exil le 5 septembre 1895 à Saint Louis à la suite des rapports produits par Merlin et Leclerc. Ce qui était recherché à travers cette déportation c’était « qu’il y avait lieu de l’interner jusqu’à ce que l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée » par les talibés, fidèles et autres inconditionnels de plus en plus nombreux, si l’on se fie au rapport du conseil privé. Mais si l’administration coloniale pensait « punir » le Cheikh en l’exilant de force (?!!), elle s’était trompée lourdement en se mettant complètement à côté de la plaque : le fondateur du mouridisme allait à la rencontre des épreuves et autres privations qui, à l’issue, devraient lui permettre d’accéder aux grade et station spirituels les plus élevés dans les récompenses divines. Serigne Touba explique la méprise des français en affirmant : « Le motif de mon départ en exil est la volonté du Seigneur d’élever mon rang, de faire de moi l’intercesseur de mes concitoyens mais aussi de faire de moi le fidèle serviteur du Prophète [PSL] … ». D’où son nom « khadimou Rassoul » qui signifie « serviteur du Prophète » (PSL).
La dialectique du punisseur et du puni
Les français, à leur insu, travaillaient pour la réalisation du dessein et du destin de Serigne Touba, celui de le mettre sur le chemin de l’exil, du lointain et des épreuves qui, à l’issue, lui permettront de cueillir les récompenses de Dieu, alors que les colons pensaient qu’il était leur prisonnier. Le Cheikh utilisait à ses fins, tel un pantin, l’administration coloniale qui pensait qu’elle le détenait à sa merci. Il expliqua ce paradoxe le simple entendement des humains en ces termes : « Ils [les français] pensent que suis captif, mais je ne suis captif que de Dieu. Je suis parti puisque voulant gagner le grade des compagnons du Prophète [PSL]… ». L’Exil était programmé baatine (de manière spirituelle, dans le suprasensible) avant même que l’administration coloniale ne le décrétât dans le zaayir (temporel). C’est au cours d’une entrevue avec le prophète Mouhamed (PSL) dans la mosquée de Daarou khoudoss à Touba au mois de Ramadan de l’an 1312 de l’Hégire correspondant à l’an1888 du calendrier grégorien que le sort s’en était jeté. Le Cheikh évoque ici le pacte issu de cet entretien : « aujourd’hui je signe un pacte avec le Prophète [PSL]. Par le service que je rends, je demande à Dieu d’être fidèle à celui qui mérite mes services. Je fonde mon pacte d’obéissance sur l’imitation du Prophète [PSL], par le Coran et les hadiths et l’unanimité…».
L’Exil constituait alors une mission à accomplir au prix d’actions d’adoration, des épreuves à surmonter et privations à subir dans une solitude (au sens physique) et un solipsisme (au sens spirituel) parfaits et de manière absolue ! Après avoir donné son accord consistant à continuer son œuvre, le Prophète de l’Islam lui édicta ce qui suit : « Cela est chose conclue, je t’apprends que j’accepte ton vœu. Par conséquent, il ne te reste plus qu’à émigrer de cette Ville [Touba] sans délai, car tu es mis en confrontation avec tes ennemis contemporains, … »
L’exil : une maturation spirituelle
A y regarder de plus près, l’Exil avait été institué 7 ans plus tôt pour durer 7 ans( 7 ans, 7 mois, 7 semaines et sept jours pour certains chercheurs alors que pour d’autres, il a duré 7 ans et 9 mois). Mais, au-delà d’un simple éloignement à la soustraction des siens, il constituait une sorte d’épreuves à subir avant de mériter une quelconque récompense. Pour s’en convaincre, il faut remonter à l’exil de son mentor le Prophète Mouhamed [PSL] de La Mecque à Médine. Le Cheikh lui-même fait le rapprochement en écrivant dans ‘Matlabul Fawzayni’ (Quête du bonheur des deux mondes) Ode écrit en 1887, en son vers 7 : « Celui qui a émigré à Médine sur recommandation de son Seigneur il avait en cela sauvegardé sa Religion ». L’exil constitue une étape importante dans le processus de maturation spirituelle des Prophètes. Quasiment tous les Prophètes avaient subi l’Exil, d’une manière ou d’une autre : d’Adam du ciel à terre, Noé avec sa barque pour se sauver du Déluge, Moussa de l’Egypte à Israël pour fuir pharaon, Jésus avec son exil physique dans sa crucifixion qui est en réalité une crucifiction, à Mouhamed pour se sauver des siens, de La Mecque à Médine. Ils font donc légion les serviteurs de Dieu à subir l’Exil qui est une sorte d’épreuve à surmonter et une arme pour combattre l’ennemi. Les paroles de Dieu en sa Sourate An nisa, verset 100, semblent confirmer la puissance de l’Exil : « Quiconque émigre dans le sentier d’Allah trouvera sur terre maints refuges et abondance... ».
Le Magal : une récompense avant l’action
Sans ranger Cheikh Amadou Bamba dans la lignée des Prophètes, il faut constater tout de même que les conséquences de son départ en Exil furent énormes : « C’est en ce 18 safar que je me suis mis au service du Moukhtar », écrit-il. Alors que les serviteurs de Dieu sont rétribués après leurs épreuves, lui avait reçu grâce avant même d’aller affronter les épreuves. Il l’a confirmé en ces termes : ‘’Tout ce que j’ai eu, je l’ai obtenu le 18 safar (…) et je demande à toute la communauté de remercier Allah pour ce dont il m’a gratifié’’. Voilà tout le sens du Magal qui est célébré au départ en 1895 et au nom au retour en 1902. Ce qu’il en dit est plus que révélateur : « Je marchais en compagnie des vertueux compagnons du prophète [PSL] au moment de partir alors que les ennemis me considéraient comme leur prisonnier. ».
Quel rapport entre le Magal et Touba ?
A l’origine, le Magal était célébré à domicile. Pour la petite histoire, c’est Serigne Fallou, le 2e khalif qui succéda au fils ainé en 1945 qui décida, un an après, de convier les fidèles à Touba pour la célébration. C’est en 1920 que le ndiguël (ordre religieux) du Magal fut institué et « Ceux qui étaient à Diourbel le célébraient à Diourbel et il en était de même dans toutes les localités ». Pour ce faire, Serigne Bousso a offert une chèvre à Serigne Bamba. Le Cheikh ordonna à un de ses chambellans de faire le troc avec un mouton. Après avoir immolé le petit ruminant, Serigne Touba le fit diviser en 3 parties dont seul le tiers fut consommé par les habitants de la maison et le reste donné à d’autres.
Touba : le bénéfice tiré de l’exil ?
L’un des bénéfices de l’Exil est « Touba ». Il avait prié Dieu de faire des faveurs à la cité sainte : « Fais de notre enceinte, la cité bénite de Touba, une terre de confiance et de franchise dans laquelle tout ce qui y est intégré d’agréable à DIEU, soit dans la liberté, l’immunité et la sécurité. Donne-moi l’assurance de ta sauvegarde et de ta garantie à ma demeure, la cité bénite de Touba ». A cette invocation, le Seigneur a répondu : « IL y’a deux lieux auxquels j’accorde de l’honorabilité plus qu’ailleurs sur toute la terre, c’est La Mecque et Médine, quant au troisième c’est à toi que je l’ai concédé partout sur les continents ou selon ton choix où tu me demanderas de te l’y adjuger je le ferai ». IL lui avait dit que La Mecque et Médine leur troisième sera la cité Bénite de TOUBA. Le Magal constitue donc l’une des prières exaucées du vénéré guide qui sollicita Dieu dans un de ses poèmes : « Fais affluer tous ce qui est bien-être et bienfait du patrimoine des six côtés de la planète vers ma demeure, la cité bénite de Touba ». Avec l’avènement du Magal, on voit des millions de personnes affluer de tous les continents des fidèles. Et chaque année bat le record de l’année précédente en termes d’affluence et, par conséquent, en termes de régal !