MANŒUVRES ESSENTIELLES
L’obligation d’informer le public et de tenir un débat d’orientation budgétaire n’est pas respectée par le gouvernement et le Parlement. Cette exigence permet aux citoyens de mieux comprendre le cadrage macroéconomique
Lors d’un échange sur un réseau social, un ami parlementaire, membre de Benno bokk yaakaar, à qui je demandais si la session avait démarré, me répond d’une façon espiègle : «Ils sont en train de manœuvrer.» Cette boutade m’a amené à réfléchir sur le travail parlementaire qui est effectué depuis trois ans.
Depuis trois ans donc, le Parlement (et le gouvernement) violent la loi organique n°2011-15 du 8 juillet 2011, relative aux lois de finances. L’article 73 de ladite loi énonce expressément que «les dispositions des articles 56 et 70 de la présente loi organique relatives au débat d’orientation budgétaire, à la transmission trimestrielle au parlement des rapports d’exécution du budget et à la mise à disposition du public de ces rapports, sont applicables à compter de l’année 2012». Mais ces obligations d’informer le public et la tenue d’un débat d’orientation budgétaire ne sont pas respectées par le gouvernement et le Parlement.
Le respect de cette exigence législative de la tenue du débat d’orientation budgétaire permettrait aux citoyens de mieux comprendre le cadrage macroéconomique, c’est-à-dire «le niveau global des recettes attendues», mais aussi de «l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et de la dette des catégories d’organismes publics».
C’est là que devraient se faire les «manœuvres» des parlementaires. Cet exercice républicain nous épargnerait la tenue d’un point de presse sur le projet de budget de 2016, rassemblant un catalogue de projets et programmes.
De cette manière, les parlementaires nous diraient pourquoi ils devraient allouer dans le projet de budget de 2016, la somme de 11,5 milliards de francs Cfa, pour le prolongement de l’autoroute à péage Aibd-Mbour-Thiès alors que le tronçon Patte d’Oie-Pikine-Diamniadio n’a pas de réseau d’éclairage public fonctionnel, entraînant des agressions, des vols et des accidents.
Avant de songer à une rallonge financière, les parlementaires ne devraient-ils pas exiger du gouvernement un audit technique et financier de l’autoroute Dakar-Diamniadio, d’un coût de 380,2 milliards, sans compter les 80 milliards qui ont été directement attribués à l’entreprise Eiffage par le président de la République ?
Pour rappel, le tronçon Malick Sy-Patte-d’Oie-Pikine a été entièrement financé par les Sénégalais. Quant à celui de Pikine-Diamniadio, au nom des Sénégalais, le gouvernement a contracté des dettes : 52,5 milliards à la Banque mondiale, 40 milliards à l’Agence française de développement (Afd) et 33,2 milliards à la Banque africaine de développement (Bad). A cela, il faut ajouter 86,2 milliards puisés du Trésor public.
Au bas mot, 319,2 milliards ont été dépensés alors qu’Eiffage n’a déboursé que 61 milliards. Nous ne serions pas surpris un jour qu’une investigation «révèle» un surcoût des travaux effectués par Eiffage couvrant ces 61 milliards là. Les parlementaires sont-ils du côté du Peuple ou défendent-ils l’intérêt occulte de «grands groupes» ?
S’ils protègent l’intérêt du citoyen, de véritables «manœuvres» s’imposent au nom de la gouvernance vertueuse. De plus, le 25 juin 2015, devant les honorables députés, le Premier ministre avait dit «avoir signé des lettres adressées soit au ministre de la Justice soit aux autres ministres pour s’assurer du suivi des instructions du chef de l’Etat, y compris les instructions relatives au rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) relatif à l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes».
Il avait également déclaré avoir dit au ministre de la Justice de mener des poursuites. En usant des prérogatives que leur confère la loi, des «manœuvres» ne se justifieraient-elles pas pour édifier les Sénégalais sur le rapport 2015 de l’Ige, de celui de 2014 et de ceux de la Cour des comptes.
Dans cette même logique, beaucoup de financements sont annoncés, au bénéfice des femmes, dans le cadre de ce qu’on appelle «Le Réseau des femmes pour l’émergence». Non seulement le ministre en charge de ces «financements» a défié impunément la justice, il est venu le temps que les preuves de ces sommes d’argent soient présentées aux corps de contrôle de l’Etat, aux représentants du Peuple que sont les parlementaires et aux populations. D’où l’intérêt de la publication des rapports trimestriels sur l’exécution du budget mentionnés plus haut.
Par ailleurs, le contrat de concession qui lie l’Etat du Sénégal à la Sonatel prendra fin en 2017. Pour l’heure, les populations subissent des désagréments de cet opérateur de téléphonie (les autres ne nous épargnent pas non plus). N’est-ce pas le moment de «manœuvrer» pour l’élaboration d’un nouveau cahier des charges qui prendra en compte les véritables préoccupations des Sénégalais.
A Keur Ayib ou à Sénoba, localités frontalières avec la Gambie, les populations se connectent au réseau téléphonique du voisin gambien. Il est temps de s’y atteler pour éviter des signatures d’avenants, comme il en a été le cas dans le secteur de l’eau avec la Sde.
Les «manœuvres» des députés ne pourraient-elles pas également porter sur la gestion du 4G et de la «portabilité», dans laquelle l’Artp, appuyée par l’Armp paie des services extérieurs alors que des cadres compétents formés avec l’argent du contribuable peuvent bel et bien faire le travail.
Au finish, n’est-il pas curieux que l’argent public confié à l’Assemblée nationale et en particulier à son président (signataire de la Charte de bonne gouvernance des Assises nationales) ne soit pas soumis au Code des marchés publics ? C’est la même situation qui sévit au Conseil économique, social et environnemental (Cese) en termes d’achat de véhicules, de financement d’activités ou d’organisation de voyages.
La liste étant loin d’être exhaustive, mais ces «manœuvres» là, nous les attendons avec une grande impatience.