MASSACRE DE THIAROYE : NOUS NE DEVONS PAS OUBLIER
En voulant me remémorer de quelques détails de cette ignominieuse histoire, j’ai dû regarder hier le film « Camp de Thiaroye » d’Ousmane Sembène. Les sentiments de frustration et de trahison sont les seules leçons que j’ai retenues de cet épisode ...
Le massacre de Thiaroye peut être considéré sans exagération comme la page la plus sombre de l’histoire du Sénégal. De la discrimination à l’extermination, s’il faut appeler un chat un chat, les tirailleurs victimes de l’ingratitude de la France de l’époque ont subi tout simplement une vraie déshumanisation. Et cela, il ne faut pas l’oublier.
En voulant me remémorer de quelques détails de cette ignominieuse histoire, j’ai dû regarder hier le film « Camp de Thiaroye » d’Ousmane Sembène. Les sentiments de frustration et de trahison sont les seules leçons que j’ai retenues de cet épisode du 1er décembre 1944 à Thiaroye. J’étais plus que stupéfait et meurtri par tant de haine, tant d’inhumanité de la part de gens qui devaient pourtant de la gratitude et des remerciements pour de bons et loyaux services qui leur sont rendus. Dans ce film, oui, l’injustice subie par les anciens combattants met au grand jour le caractère narcissique de la France d’alors (peut-être d’aujourd’hui aussi) qui tient toujours la dragée haute à ses sujets. Dans ce camp de Thiaroye, la vérité semble être enfouie dans les plus grandes profondeurs avec les corps de ces vaillants soldats dont le nombre reste inconnu et leur rôle dans cette affaire camouflé sinon falsifié. Mais l’on n’a pas le droit d’oublier.
On n’a pas le droit d’oublier cette scène d’horreur qui opposait la lâcheté au courage, la violence aux revendications pacifiques, la discrimination à la justice et justesse des actes. En effet, la justesse des revendications des tirailleurs qui allaient des primes de démobilisation aux indemnités en passant par les rappels du solde de guerre comme les soldats français n’était nullement à démontrer. A travail égal, traitement salarial égal. Et tout comme les français les tirailleurs sénégalais ont essuyé les tirs de l’ennemi et s’en sont sortis blessés ou infirmes pour les plus chanceux. D’autres ont tout simplement perdu la vie. Alors si pour avoir réclamer ce qui leur revenait de droit, le camp de Thiaroye a été bombardé, la postérité que nous sommes n’a pas le droit d’oublier.
Pourtant, le 1er Décembre passé, la République a semblé oublier ce chapitre certes sombre de notre histoire mais plein d’enseignements. Aucune manifestation n’a été tenue pour se rappeler cet épisode si malheureux. A la place, la majorité présidentielle a préféré investir son candidat à grande pompe dans le mythique Dakar Aréna. Eh bien, l’explication semble tirée par les cheveux quand un certain Hamidou Kassé justifie le choix du 1er décembre par le fait qu’il représente la date de naissance du parti. En vérité cette coïncidence ne devrait pas empêcher que le massacre de Thiaroye soit célébré puisque le président lui-même met la patrie (évènement de Thiaroye) avant le parti (investiture à Diamniado). Quand un peuple ne célèbre pas ses héros comme il se doit, la jeunesse sera toujours en déperdition et en quête perpétuelle de repères.
Au moment où nos autorités mettent beaucoup d’énergie pour la restitution des œuvres d’art africain, chose promise par Emmanuel Macron, il devient absolument incompréhensible qu’une telle journée soit snobée, boudée, minimisée en quelque sorte. Solliciter la restitution d’œuvre à mille lieues d’ici et ne pas se recueillir par devoir de mémoire devant la tombe des tirailleurs chez soi, quel paradoxe ! Non seulement les autres pays fêtent leurs héros, mais aussi des musées sont érigés et des journées de portes ouvertes organisées pour que les faits historiques ne tombent pas dans l’oubli. En France, on fête l’Armistice chaque 11 Novembre et de manière solennelle ; aux Etats-Unis aussi la même journée est commémorée sous le vocable de « Veterans Day » pour ne donner que ces exemples. C’est vrai qu’au Sénégal, le 23 Août est choisi comme journée des tirailleurs depuis 2004. Mais la réalité est que cette journée n’existe que de nom comparée à l’Armistice par exemple. J’en veux pour preuve de la solennité de l’Armistice le fait que le président Abdoulaye Wade ait été le premier chef d’Etat africain à être invité à Verdun pour participer à ces festivités en 2003.
Au-delà de l’indemnisation des tirailleurs que les associations des droits de l’homme continuent d’exiger et la facilitation de l’octroi de la nationalité aux anciens combattants (mesure annoncée par l’ancien président François Hollande), nos autorités doivent aller plus loin pour rendre justice aux tirailleurs. Rien de ce que la France fera ne pourra changer ou réécrire ce chapitre peu glorieux. Mais l’Etat sénégalais a le devoir, puisqu’il en a les moyens, de corriger les erreurs contenues dans ce chapitre et relatives au nombre de tués notamment. La France ne parle jamais des fosses communes dans ses rapports alors que ses historiens le confirment. Et nos autorités ne doivent pas se contenter de relater le simple fait que du dessert était servi aux tirailleurs sénégalais pour justifier un bon traitement qui n’existait nullement. Elles doivent plutôt bâtir un musée digne de ce nom en l’honneur de ces vaillants soldats afin que leur histoire ne tombe pas dans l’oubli. Contrairement aux autres pays qui ont obtenu leur indépendance au prix du sang, le Sénégal n’a pas combattu pour gagner son autonomie. Ce qui fait que les seuls héros dont il dispose et qui vaillent d’être célébrés restent ces tirailleurs. Voilà pourquoi le geste très inspiré de l’activiste Bentalleb qui a rebaptisé la « place du Général de Gaulle » « place Thiaroye 44 », 1er Décembre passé, est hautement appréciable. Cela montre tout simplement que, même si la majorité n’accorde pas grand intérêt à cette question, nous ne devons pas oublier !
Par Ababacar GAYE