MAUVAIS SIGNAL
Notre rapport avec la ponctualité se résume à une expression devenue culte : "l’heure sénégalaise". Comme un cancer, le mal a rongé tous les corps de l’Administration
C’est donc que ça le Forum sur l’Administration publique. Alors qu’on réfléchit sur la manière de rendre le système public plus efficace et efficient, on n’a pas réussi à mettre au placard nos mauvaises habitudes durant un simple week-end. Surtout que ceux qui sont censés conduire son renouveau se sont révélés être de piètres parrains. Les couacs, notés dans l’organisation du Forum, sont une nouvelle manifestation de notre incapacité à faire preuve de rigueur et de discipline.
Notre rapport avec la ponctualité se résume à une expression devenue culte : "l'heure sénégalaise". Comme un cancer, le mal a rongé tous les corps de l’Administration. Allez au Palais de justice de Dakar, le justiciable est convoqué à 8 h.
Mais il va poireauter jusqu’à 10h pour apercevoir l’ombre d’un juge qu’il rétribue au prix de ses impôts. Dans les grands rendez-vous, présidés par les hautes autorités du pays, on ne se soucie guère de la ponctualité. Les mêmes comportements sont dupliqués partout.
Depuis des décennies, on réfléchit sur les mécanismes à mettre en place pour sortir l’Administration de son sommeil, de l’alléger de ses lourdeurs héritées de l’Etat senghorien auquel on tient encore. Pourtant, on sait tous qu’on ne peut plus construire notre développement en le calquant sur ce modèle. S’il était efficace, l’affaire Karim Wade n’aurait jamais arrivé dans une administration correcte. Le mal est un réquisitoire des politiques conduites depuis trente ans, et qui débouchent sur cet avenir sans espoir.
Aujourd’hui, nous avons un problème de système qui est aussi animé par des hommes formatés pour reproduire les mêmes travers. Tant qu’on continuera à entretenir ce régiment sans lui fixer des objectifs clairs et précis assortis de sanctions positives ou négatives et à conserver ce modèle d’administration, on convoquera de nouvelles assises encore et encore pour redéfinir son fonctionnement.
Parfois, l’explosivité du Premier ministre, qui peut avoir des instants de colère légitime, montre que le système a besoin d’être réformé en profondeur sans complaisance. Il faut le faire sans s’encombrer des foucades de quelques hommes qui continuent de se repaître, préservés de toute contrainte.
Christophe Barbier dit : «Les politiques, qui pratiquent plutôt la prose, doivent reconnaître qu’il en est de la rigueur comme de l’amour : la rigueur n’existe pas, elle se décrète et se démontre.» Ce week-end, ce fut un mauvais signal.