MÉDIAS D’ÉTAT, PATRIMOINE PUBLIC !
Le renforcement de la démocratie que prétend promouvoir le projet de nouvelle Constitution serait incomplet sans la reconnaissance, qu’à l’opposé de la Communication politique, la Communication publique doit être au service de l’intérêt général
«L’homme malade » de notre démocratie, c’est incontestablement nos médias d’état. En plus de cinquante ans d’émancipation politique, les Sénégalais ont, entre autres conquêtes, réussi à imposer la reconnaissance de tous les courants politiques, le respect des libertés y compris celles de la presse et de l’expression populaire, une relative transparence des élections.
En revanche, même si leur ministère de tutelle a changé de nom, passant de ministère de l’Information à ministère de la Communication, nos journaux, radios et télévision qui relèvent de l’Etat s’obstinent encore à ne diffuser que ce qui peut contribuer à donner une bonne image du Pouvoir en place, quel qu’il soit.
Reste à savoir si un pays qui passe son temps entre séminaires et audiences solennelles donne bien l’image d’une nation au travail !
Bien sûr peu de démocraties, y compris les plus avancées, peuvent se vanter d’avoir des médias d’Etat totalement indépendants du pouvoir. La France n’a accompli de vrais progrès dans ce domaine, que récemment. La création d’une instance de régulation dotée de pouvoirs importants et qui nomme notamment les directeurs de chaines, n’a pas fait taire les critiques qui reprochent à cette institution, d’être elle-même nommée par le pouvoir et non élue.
A contrario en Allemagne, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a convoqué devant ses instances, une télévision qui avait manqué à ce devoir. En Afrique du Sud, une des prières mesures prises par Nelson Mandela nouvellement élu à la Présidence, a été d’accorder une pleine autonomie aux médias financés par l’Etat.
Au Sénégal, gouvernants et responsables des médias trainent encore les pieds. On se souvient des mots d’un ministre chargé de la Communication justifiant l’absence de couverture du retour triomphal de Wade, le 27 octobre 1999. Le pape du Sopi n’en avait pas fait la demande ! Aujourd’hui on n’est pas loin de ces dérives et nous observons souvent dans tous les organes du service public, un excès de zèle, qui probablement doit mettre mal à l’aise l’autorité elle -même. On remarquera au passage cette incongruité que, depuis peu, notre pays a cette spécificité, d’avoir un élu politique à la tête de sa télévision nationale.
Toutes ces contradictions reposent sur le statut même des médias d’Etat dans la plupart de nos pays. Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) a soumis à l’autorité, un ensemble de textes devant servir de cadre normatif à la gouvernance du secteur de l’audiovisuel plus conforme aux exigences d’équilibre. Notre pays se voyant en avant-garde de la démocratie, les autorités devraient prêter plus d’attention à ces propositions du Régulateur.
Le renforcement de la démocratie que prétend promouvoir le projet de nouvelle Constitution serait incomplet ou inopérant sans la reconnaissance de la liberté et du pluralisme des médias déjà acquise, mais aussi sans la reconnaissance, qu’à l’opposé de la Communication politique, la Communication publique doit être au service de l’intérêt général.
Une exigence qui repose sur plusieurs fondements
Le premier et le plus évident de ces fondements est que les médias d’Etat sont, comme leur nom l’indique, financés par les deniers publics. Cela leur donne des ressources fixes, non négligeables en situation de pénurie, et cela les met à l’abri des pressions de groupes financiers privés qui, par le moyen de la publicité, dictent leurs lois aux médias privés. Chaque citoyen a donc le droit de s’y exprimer, car la liberté d’expression doit d’abord profiter aux citoyens.
Par ailleurs, et c’est le deuxième fondement, les médias d’Etat sont généralement les seuls capables d’atteindre tous les secteurs de la population. Ce sont les seuls susceptibles de réparer l’injustice créée par une couverture nationale inégale ou tronquée. Le respect de la pluralité n’est donc pas seulement une nécessité, c’est aussi une mesure de justice.
Les médias d’Etat ont une vocation d’objectivité et d’excellence qui est loin d’être satisfaite dans notre pays. On peut citer à titre d’exemple, la télévision qui, sans être le média le plus répandu et le plus accessible, est certainement le plus symbolique.
Une enquête effectuée en 2014 a montré que malgré les moyens humains et financiers dont elle dispose et malgré sa longue expérience, la télévision nationale est, en taux d’audience, battue dans les cinq régions les plus peuplées du pays où elle n’arrive qu’au deuxième voire au troisième rang derrière des télévisions privées. Ce n’est pas spécifique au Sénégal, mais dans les démocraties du Nord, cela s’explique souvent par le fait que les télévisions privées ont aussi plus de moyens que leurs homologues d’Etat .
Le vrai danger est ailleurs. La télévision nationale sénégalaise a la particularité de mobiliser près des deux tiers de son public, autour de son journal télévisé de 20 heures . C’est dire aussi que, compte tenu de son audience pendant cette tranche, elle exerce une lourde responsabilité et que si, par manque d’objectivité ou par saturation d’informations ennuyeuses, son journal perdait en crédibilité, c’est tout son auditoire qui déserterait ses antennes !
Dans les moments graves, pendant lesquels les passions sont exacerbées au point de mettre la démocratie en péril, le rôle des médias d’Etat n’est pas de suivre les politiques dans leurs penchant ; c’est de les éduquer au respect du bien public.
Au vu de ce qui se passe depuis quelques jours dans notre presse d’Etat tous supports confondus, on n’est pas encore sur cette voie !