MORTAL KOMBAT
Tous ceux qui en appellent à Macky Sall pour qu’il trouve une solution à l’invalidation des listes de Benno et Yewwi veulent saborder la République dont l’âme est la loi
Ok pour un Mortal Kombat. Mais pour un Mortal Kombat d’idées. Le Mortal Kombat que l’opposition est en train de mener a été déjà mené et gagné par l’opposant Wade entre 1983 (quand on a voté sans isoloir et sans carte d’identité) et 2000, date de la première alternance. Wade a gagné ce Mortal Kombat après 26 ans de lutte que résume notre Code électoral. La deuxième alternance présidentielle de 2012, la Ville de Dakar, devenue un bastion imprenable de l’opposition aussi bien sous Wade que sous Macky Sall, et les victoires successives de Sonko à Ziguinchor prouvent la fiabilité de notre système électoral et donc l’anachronisme du Mortal Kombat qui oppose actuellement majorité et opposition. Le seul Mortal Kombat qui vaille aujourd’hui est comment faire pour que dans notre vieille démocratie, les rapports de Droit remplacent les rapports de force.
En réalité, depuis l’alternance de 2000, depuis que l’alternance est devenue la respiration naturelle de notre système politique, le Droit devient plus le «moteur actif» des règles du jeu politique en lieu et place de la violence et des furies comme dans la démocratie pré-alternance, de 1960 à 2000. Même pour la dernière marche du 17 juin 2022, l’opposition, parallèlement à ses discours de matamore, a saisi la Cour suprême pour faire annuler la décision du Préfet. C’est pourquoi le Mortal Kombat de rue est devenu un anachronisme pour notre démocratie, parce que depuis 2000, nous assistons de plus en plus à une juridicisation des conflits électoraux et politiques. Cette juridicisation des conflits électoraux et politiques, qui est la seule façon de mettre fin à ce que le Doyen Vedel appelle «l’insoutenable autonomie» du politique qui a toujours pris en otage notre pays.
Cette juridicisation du politique qui fait du Conseil constitutionnel l’arbitre du jeu politique en lieu de place des rapports de force dans la rue. Cette juridicisation qui a vu le Conseil constitutionnel repêcher la liste de Yewwi à Dakar et invalider sa liste nationale et celle des suppléants de Benno. Pour la liste de Yewwi, il me paraît difficile pour le Conseil de la valider après que cette coalition a reconnu son erreur. Maintenant, si par la pression politique, religieuse ou sociale, on demande qu’on revienne sur une décision du Conseil constitutionnel, ce ne serait pas seulement la fin de l’Etat de Droit mais la fin de l’Etat tout court. C’est quand même inquiétant que des intellectuels et universitaires poussent à l’exploration de cette solution en faisant appel au président de la République, qui est loin d’être le gardien de la Constitution mais lui est soumis.
Dans le livre de Dominique Rousseau, Contentieux du Droit constitutionnel, on peutlire à la page 790 : «En 2010, le président de la République, François Hollande, et le Premier ministre se disent à nouveau prêts à prendre un risque d’inconstitutionnalité en soumettant au Parlement un projet de loi interdisantle port du voile intégral dans toutl’espace public.En 2005, dans un rappel à l’ordre immédiat, exceptionnel et cassant par sa brièveté, le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, avait répliqué que le respect de laConstitution n’est pas un risque mais un devoir. Un devoir au demeurant inscrit, pour le président de la République, à l’article 5 de la Constitution». La même chose est valable pour le président de la République du Sénégal qui, faut-il le rappeler encore, n’est pas François 1er, à qui il suffisait de dire «tel est mon bon plaisir» pour que cela devienne loi. Tous ceux qui en appellent à Macky Sall pour qu’il trouve une solution à l’invalidation des listes de Benno et Yewwi veulent saborder la République dont l’âme est la loi.
Ce que conforte, aux Etats-Unis, tout un courant de pensée dirigé par Gordon Wood, qui «privilégie une interprétation démontrant le caractère aristocratique de la Constitution, celleci instituant une division tripartite des organes, prémunirait essentiellement contre la démocratie et ses excès. La révolution américaine serait d’une certaine façon une révolution trahie par la Constitution». Au contraire, après la révolution, la démocratie américaine a pu survivre grâce à la Constitution qui, dans le cadre de la République, en a fixé les règles, traçant ainsi une frontière entre la démocratie et la République. Vendredi dernier, c’était la République qui s’est manifestée pour rappeler que dans un Etat de Droit, le pouvoir est soumis au Droit, mais aussi l’opposition.
Le Pr Bathily a raison en disant qu’au-delà des alternances devenues routines, il nous faut des alternatives. L’alternative commence par des débats d’idées qui n’ont jamais eu lieu dans notre démocratie. C’est pourquoi nous avons besoin d’un mortal kombat pour un débat d’idées. Mortal Kombat d’idées sur comment gagner la paix en Casamance, après que l’Armée a gagné la guerre. Mortal Kombat d’idées pour ressusciter l’école publique. Mortal Kombat d’idées sur le terrorisme à nos portes. Mortal kombat d’idées sur comment transformer l’exception démocratique en exception économique avec le pétrole et le gaz. Autant de thèmes de débat pour les Législatives si notre pays n’était pas otage d’un Mortal Kombat anachronique.