NOIRS DE FRANCE, SORTIR DE LA DOUBLE ASSIGNATION
Rokhaya Diallo vilipendée par la droite, Tanguy David accusé de trahir sa « communauté »… Et si les Noirs pouvaient enfin s’exprimer sans être en permanence renvoyés à leurs origines et à leur confession religieuse ?
Qu’est-il permis à un Noir de penser dans la France actuelle ? La question peut paraître naïve, inopportune, voire risible. Pourtant, en ces temps de procès colonial et de décolonialisme conquérant, elle s’impose pour les personnalités – surtout celles en vue – sommées, dans une assignation double, de ne pas décevoir les attentes militantes projetées sur elles et de porter, de façon monochrome et revendicative, le combat de l’émancipation.
Dernier temps fort de cette frénésie, l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Dans son cortège, elle a emporté, sans répit, le lancinant débat sur ces honneurs français dont les récipiendaires deviennent forcément suspects aux yeux des leurs, tant ils sont dépossédés de toute souveraineté et perçus à travers des grilles de l’ordre de la réification du fait colonial.
Conception carcérale de l’identité
La séquence a cristallisé les prises de paroles d’égéries du combat antiraciste en France, qui se sont presque unanimement désolées d’un acte purement cosmétique servant à masquer le maigre bilan sur le front de la lutte contre les inégalités raciales dans le pays, pour le dire rapidement. Si le fond d’un tel débat est important, sa systématicité questionne. Peu importe les contextes, les cas, ce type d’accusation tombe toujours comme un couperet qui répand dans le débat l’odeur malodorante de la suspicion.
La prévalence de ce genre de réflexe tend à enfermer les Noirs dans une conception carcérale de l’identité, où toute singularité, liberté, différence sont requalifiées d’acte de félonie envers la « communauté ». Communauté que l’on peine à définir tant les logiques qui la traversent sont diverses, voire contradictoires.
« Bonne parole nègre »
Longtemps, l’assignation a été le fait d’un renvoi aux origines et affiliations ethniques ou religieuses. Une injonction à l’assimilation, à faire allégeance. Portées par une France institutionnelle et diluée dans le sens commun par atavisme et inconséquence politique, cette catégorisation reprenait tous les codes de l’ethnologie coloniale. Véhicule d’un racisme et de sa survivance, on figeait – et on fige toujours – les Noirs dans un récit qui les exclue, au mépris de leur trajectoire intrinsèque et des récits historiques individuels insolubles dans un ensemble communautaire.