NOS AMIS DICTATEURS SORTIS DES URNES
Le meilleur mode de gouvernement porte un nom bien connu sous tous les cieux : la démocratie - Il s’agit d’instaurer un contrat social qui repose sur un minimum de confiance, en autorisant des débats internes et en renforçant les institutions
Depuis plusieurs décennies, certains dirigeants s’accrochent à leur fauteuil grâce à des manipulations constitutionnelles ou électorales, quand ce n’est pas par la répression.
Depuis plusieurs décennies, la démocratie libérale s’est installée dans de nombreux pays d’Afrique. Pour autant, certains dirigeants s’accrochent à leur fauteuil grâce à des manipulations constitutionnelles ou électorales, quand ce n’est pas par la répression. Ces « présidents à vie », la plupart francophones, peuvent souvent compter sur la bienveillance ou le silence embarrassé de la France…
Énième mandat ou énième putsch ? Le sujet relève du brigandage politique, comme le montre le référendum constitutionnel du 25 octobre 2015 au Congo-Brazzaville, émaillé d’incidents et boycotté par l’opposition. Au pouvoir depuis 1979 – avec une interruption entre 1992 et 1997 –, le président Denis Sassou Nguesso a voulu prolonger son règne. Obtenu au forceps, ce tripatouillage constitutionnel, qui s’apparente à un coup d’État, lui a permis de briguer un troisième mandat et d’être réélu le 20 mars 2016, dès le premier tour (plus de 60% des voix), au terme d’un scrutin contesté.
Pourtant, les solutions simples ne manquent pas : que les règles soient respectées, et la paix civile pourra prévaloir. Que l’on tienne au contraire les Constitutions pour des chemises à coudre et recoudre en fonction de la taille et de l’ego du président en exercice, et ce sont des pays entiers qui glisseront vers le chaos. Tout se passe comme si le discours de La Baule (1), les conférences nationales souveraines des années 1990 et les alternances démocratiques n’avaient rien apporté dans certains pays. Entre les indépendances et la fin de la guerre froide, les présidents exerçaient très souvent leur mandat à vie. Aujourd’hui encore, nous sommes confrontés aux mêmes pratiques.
Avancées et scléroses
Cependant, les progrès de la démocratie à travers l’Afrique, on l’oublie souvent, sont plus significatifs que les échecs ou les reculs. Des élections à peu près normales se tiennent du Cap-Vert à l’Afrique du Sud. Mais de mauvaises habitudes persistent, avec des régimes régressifs qui risquent d’en inciter d’autres à glisser sur la même pente. Comme on le dit en Guinée, «une mauvaise graine dans la bouche peut gâter toute la poignée d’arachides ». Au Cameroun, le régime de M. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, incarne une sclérose qui n’augure rien de bon (2). Au Gabon, M. Ali Bongo a été reconduit au pouvoir après un scrutin visiblement truqué en 2016 (3). Le Burkina Faso, au contraire, fournit un motif d’espoir remarquable, avec le soulèvement populaire contre toute modification de la Constitution, en octobre 2014, puis la lutte victorieuse contre le coup d’État du général Gilbert Diendéré, en septembre 2015. Au Sénégal, les rouages démocratiques paraissent bien huilés, avec des alternances qui se produisent sans remise en cause de l’unité nationale depuis l’an 2000. En février 2019, si la réélection, dès le premier tour, du président Macky Sall, a fait grincer des dents, elle fut acceptée par tous les candidats.
De même, les institutions du Bénin, premier à organiser une conférence nationale souveraine en 1990, semblent stables. Ce pays est aussi le seul à avoir réussi l’exploit de «recycler » son dictateur. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1972, Mathieu Kérékou s’était incliné en 1991 face au verdict des urnes, pour mieux revenir cinq ans plus tard. Les entraves mises au dépot des listes d’opposition pour les législatives du 28 avril 2019 et la répression de la contestation constituent une nouveauté au Bénin. La tradition a beau être statique et rétrograde, elle peut aussi servir de garde-fou : au Sénégal ou au Bénin, où les chefs traditionnels sont écoutés, aucun massacre n’est à déplorer dans les stades quand l’opposition se rassemble, ce qui n’est pas le cas en Guinée, où Ahmed Sékou Touré a cassé toutes les structures des chefferies traditionnelles dès l’indépendance, en 1958. Les Guinéens sont en quelque sorte deux fois barbares, parce qu’ils n’ont ni tradition ni modernité dans leurs institutions. L’Afrique repose encore sur des sociétés rurales et peu instruites, où l’instrumentalisation politique de l’ethnie peut avoir des effets dévastateurs. Pour autant, on observe un effort surhumain pour créer une « société civile » capable d’agir comme un contrepouvoir, sur des bases non ethniques. Au Burundi, ce n’est qu’après le coup d’État manqué contre lui, en mai 2015, que le président Pierre Nkurunziza a tribalisé son discours afin de se maintenir en place. En 2010, il en a été de même en Guinée, où le parti du président Alpha Condé a accusé les Peuls d’avoir distribué de l’eau empoisonnée dans un meeting politique – une manipulation pure et simple pour diviser l’électorat. En octobre 2015, M. Condé a décidé de se faire réélire dès le premier tour. Les truquages ont été couverts par les ambassades occidentales et les observateurs de l’Union européenne. Dans les pays d’Afrique anglophones, il paraît impensable d’accuser le Royaume-Uni de peser d’un poids quelconque dans une élection. Paternalisme, copinage, petits projets concoctés entre amis : la « Françafrique », mariage de deux fléaux, réunit toutes les tares de la France et de l’Afrique. Comment faire avancer la démocratie dans des pays sous tutelle, qui subissent la double ou triple injonction des institutions financières internationales, des Nations unies et des anciennes puissances coloniales ? En zone francophone, les interventions extérieures restent permanentes, malgré toutes les ruptures avec les pratiques du passé solennellement annoncées à Paris. La France tient encore à être très présente en Afrique.
Le plus gênant, c’est que ses relations avec ses ex-colonies ont été dévoyées dès le départ, après les indépendances. Elles se jouent sur un registre personnel, entre amis, et non entre États soucieux du bien commun. En 2004, M. Jacques Chirac avait ainsi fait libérer le chef de la police congolaise, arrêté en France pour «crimes contre l’humanité », sur un simple appel de son ami Sassou Nguesso. L’ex-chef de l’État français Nicolas Sarkozy est quant à lui un proche du président ivoirien Alassane Ouattara. Aux bons soins des parrains français Des coteries existent dans une mafia de Blancs et de Noirs qui ne travaillent que pour eux-mêmes. Ces cartels ruinent aussi la France, même si la presse hexagonale ne s’y intéresse pas. Aux velléités de recolonisation qui persistent à Paris, l’Afrique n’a d’autre réponse que la corruption de ses élites avides de pouvoir. Les sites français d’information sur l’Afrique se multiplient, sans pour autant couvrir avec sérieux les élections, les scandales ou les luttes d’influence. Qui a remarqué que les résultats de la présidentielle d’octobre 2015 en Côte d’Ivoire n’étaient pas crédibles ? M. Ouattara a été réélu dès le premier tour avec 83,6 % des voix. Un score à la soviétique...
La France ne manque pas de militants, d’intellectuels et de journalistes. Il est urgent que des reportages honnêtes soient publiés sur la corruption, sur la manière dont se déroulent les scrutins, ou sur l’influence qu’acquièrent les fils de président, comme on l’a vu au Togo, au Gabon et au Sénégal, mais aussi au Mali et en Guinée. Ils semblent tellement sûrs de leurs parrains qu’ils peuvent tout se permettre. «C’est seulement après l’élection de François Hollande que j’ai commencé à dormir tranquille », aurait confié le président Condé lors d’un meeting à Paris le 1er juillet 2012 (Conakrytime.com, 2 juillet 2012). En octobre 2015, l’alors président français félicitait publiquement son poulain guinéen pour sa réélection avant même l’annonce des résultats officiels.
Renforcer les institutions
L’argument de la stabilité des régimes, invoqué par les chancelleries occidentales, se révèle contre-productif dans la mesure où, à terme, il mène tout droit à la crise. La stabilité des institutions est certes recommandable, mais en Afrique, faute d’États dignes de ce nom, c’est l’homme du jour qui fait l’institution. «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes », plaidait en juillet 2015 le président des États-Unis Barack Obama devant l’Union africaine. Son homologue burkinabé Blaise Compaoré lui avait répondu avec un peu trop d’assurance, trois mois avant d’être chassé de son palais : « Il n’y a pas d’institutions fortes s’il n’y a pas d’hommes forts. » Qu’untel arrive au pouvoir, et tout le monde se courbe : la Cour suprême, l’armée, la gendarmerie, etc. La sacro-sainte «stabilité » a été invoquée en 1978 par Paris pour justifier l’opération « Léopard», une intervention militaire au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) qui visait à libérer des otages européens aux mains de rebelles opposés à Joseph-Désiré Mobutu. Dans les faits, la France était venue au secours d’un allié. Mais lorsque Mobutu est tombé, en 1997, après trente-deux ans au pouvoir, tout le Congo est tombé avec lui. Le monde moderne évolue plus vite que nos anciens systèmes, qui reposent sur des archaïsmes postcoloniaux. Le meilleur mode de gouvernement porte un nom bien connu sous tous les cieux : la démocratie. Il faut construire des systèmes politiques à la fois forts et souples, comme les architectures conçues pour résister aux séismes. L’objectif n’a rien de révolutionnaire. Il s’agit d’instaurer un contrat social qui repose sur un minimum de confiance, en autorisant des débats internes et en renforçant les institutions.