NOUS AVONS HONTE, MONSIEUR LE PRÉSIDENT
EXCLUSIF SENEPLUS - Quelle gloriole les Sénégalais pourraient-ils tirer de la préférence que le Tubaab éprouverait à leur égard, en comparaison de leurs autres frères africains ? Monsieur le président, arrêtez vos bourdes : le vase est plein !
Nous avons honte pour notre président de la République. Lui qui, à l’occasion du lancement du tome 1 de ses « Convictions républicaines », et pour magnifier ‘les relations particulières entre la France et le Sénégal’ (la première sensée avoir toujours fait montre de ‘respect’ envers le second), vient de nous sortir l’énormité suivante : « … Ils (les Français) nous ont colonisés… et ils ont toujours respecté les Sénégalais, parce que le régiment des Tirailleurs Sénégalais étaient dans les casernes, ils avaient droit à des desserts pendant que d’autres Africains n’en avaient pas… » !
Bien entendu, les internautes s’en sont donnés à cœur joie à travers la Toile. Mais plus sérieusement, il nous semble que les Sénégalais ont toutes les raisons de se poser un certain nombre de questions, relativement à la manière de penser du Chef de l’Etat qui n’en est pas à sa première bourde, loin s’en faut !
La première question, à notre sens, porte sur la vérité historique de l’assertion présidentielle. Le président Macky Sall devrait tout de même savoir que le terme générique ‘Tirailleurs Sénégalais’ désignait quasiment tous les ressortissants africains originaires des ex-colonies françaises qui étaient enrôlés sous le drapeau français pour défendre ‘La Métropole’ ou la ‘Mère-Patrie’, et cela, sans distinction d’origine territoriale. Entendons-nous bien : il n’était guère fait de différence entre les originaires des différents territoires : du Dahomey, du Soudan, du Togo, ou du Sénégal... Par contre, il y avait bien une distinction, voire une ségrégation coloniale qui était faite parmi les colonisés (selon l’adage bien pratiqué du ‘diviser pour mieux régner’) entre d’une part, les ressortissants des ‘Quatre Communes’ (Saint-Louis, Rufisque, Gorée et Dakar) qui avaient la qualité de citoyens français, et d’autre part, tous les autres Africains (de tous les autres territoires concernés et… du reste du Sénégal). Dès lors, comment pouvait-on, dans les distributions de desserts, distinguer les ‘privilégiés Sénégalais’ des autres ressortissants de l’ex-Afrique Occidentale Française ? Cette question devra trouver réponse pertinente pour accréditer le discours présidentiel. Autrement, on bute (déjà) sur une contre-vérité historique.
Ce qui est cependant avéré, c’est que les citoyens des Quatre Communes bénéficiaient bien évidemment de traitements de faveur aux détriments de leurs congénères. Mais comme nous le fit remarquer malicieusement un ami : les grands-parents du président Sall, originaires du Futa, au même titre du reste que ceux de votre serviteur, natifs du Siin, dans le Jaxaaw, ou encore ses grands-beaux-parents de la verte Casamance… ne seraient ‘malheureusement’ pas comptés parmi ces privilégiés, nonobstant leur ‘sénégalite’ avérée.
Tout ceci montre bien, au regard des faits historiques, l’impertinence de la distinction supposée faite, entre les ‘Autres Africains’ d’une part, et les ‘Sénégalais’ d’autre part, lesquels auraient été particulièrement « respectés » par les Français.
Mais, au-delà de cette impertinence historique, la gravité du propos présidentiel est à chercher, nous semble t-il, dans le sens caché des mots. Car, en raisonnant par l’absurde et à supposer même la véracité historique des faits rapportés, quelle gloriole les Sénégalais pourraient-ils tirer de la préférence que le Tubaab éprouverait à leur égard, en comparaison de leurs autres frères africains ? Leurs frères de sang, de rang et de condition ? Une telle attitude ne conforterait-elle pas la thèse de ‘la traîtrise’ des ‘collabos’ sénégalais envers leurs frères africains ? Il est vrai que l’histoire de l’Humanité est jalonnée de faits d’armes et de crimes barbares ; et parmi les peuples soumis, il se trouvait toujours de petites gens qui croyaient tirer leur épingle du jeu en tournant le dos à leur communauté, pour servir l’envahisseur. Ces ‘collabos’ subsistent encore malheureusement dans nos sociétés modernes, postcoloniales : le dos courbé, l’œil fourbe, rivés sur le rempart de leurs intérêts égoïstes, rampant et léchant les bottes de la Force étrangère. Et il est indéniable que l’Afrique, dans un passé récent, a eu ses Bokassa, Idi Amin Dada et autres Eyadema… Cette race que l’on croyait à jamais ensevelie dans les abysses de l’Histoire, aurait-elle le don de la régénérescence éternelle en Afrique, et en particulier au Sénégal ?
Mais encore, en dehors de toute contingence historique, on peut se poser cette question fort simple : par quel process mental, le colonisé (l’ex-colonisé ?), au lieu de haïr sa condition de sous-homme dans laquelle il est assujetti, au lieu de maudire et combattre le Responsable de cet acte ignoble, ce crime contre l’Humanité, comment donc le colonisé se met-il en position de revendiquer et de disputer la ‘considération’ et le ‘respect’ du colon ? La colonisation, une histoire ancienne ? Certainement pas !... sinon, que ferait-on alors de ces éternels colonisés à la mentalité serve, et qui, pour notre grand malheur, gouvernent parfois – et comme des Seigneurs, s’il vous plaît ! - nos micro-Etats africains ?
Le président Sall était décidément bien mal inspiré ce soir-là, quand il se mit, non pas à dénoncer ou tout au moins à déplorer les conséquences monstrueuses de la colonisation sur le Devenir, le Destin du continent africain, mais plutôt à se frapper la poitrine pour… de minables desserts !
On comprend alors toute la gêne du philosophe-Conseiller de Son Excellence, Monsieur El-hadj Hamidou Kassé (qui, à l’occasion d’une interview, avait tant de peine à fixer la caméra, et donc son interlocuteur virtuel) quand il entreprit de défendre… l’indéfendable ! « C’était de la boutade… ». Ni plus, ni moins !
Google, accessible à tout un chacun, nous donne la définition du terme (‘boutade’) :
« propos destinés à faire rire, à amuser »,
« propos ou acte visant à se moquer »,
« chose peu sérieuse, dérisoire ».
Le président Sall, cherchait-il à faire rire son auditoire ? Se moquait-il de ses « amis » Français ou… des Tirailleurs Sénégalais ? De qui se moque t-on ? Le président était tellement sérieux qu’il a jugé opportun d’appeler à sa rescousse l’éminent historien Iba Der Thiam, présent dans la salle de conférence. Mais quelle était donc la posture de cet historien émérite, que l’on pourrait considérer comme un des plus grands spécialistes de la question des Tirailleurs Sénégalais ? Et celle de cet autre éminent intellectuel, le philosophe non moins émérite Mamoussé Diagne, président du Comité scientifique érigé pour l’occasion, assis juste à côté du président ?
Une bourde présidentielle de plus ? Certainement. Mais de grâce, Monsieur le président, arrêtez vos bourdes : le vase est plein ! Et, avec tout le respect que nous devons à votre personne et à votre rang, sachez-le : cette fois ci, vous nous avez fait honte, à nous tous, Sénégalais… et à « tous les autres Africains » !