PAS DE RUPTURES POSSIBLES AVEC KARIM
Le fils du président-politicien n’a pas sa place parmi les acteurs, qui devraient, s’ils étaient aux affaires, imprimer à notre pays les changements profonds auxquels nous aspirons depuis 58 ans
Dans mes quatre précédentes contributions, j’ai remonté en surface et passé en revue des violations flagrantes de la loi, qui ont gravement entaché les douze longues années de la gouvernance du vieux président-politicien. J’ai tiré les exemples de ce que les contrôleurs de l’Inspection générale d’Etat (IGE) appellent, dans leurs différents rapports, les ‘’cas illustratifs de mal gouvernance financière’’. Ces exemples ne sont que l’infime partie visible de l’immense iceberg composé de dizaines, voire de centaines d’autres, mis en évidence dans les différents rapports de l’IGE, de la Cour des Comptes, comme d’autres organes de contrôle. Quand l’homme responsable de toutes ces forfaitures veut nous imposer son fils comme le ‘’candidat du peuple’’ à la prochaine élection présidentielle, nous avons le devoir d’exprimer publiquement nos réserves, voire notre hostilité par rapport à cette candidature. Non pas que nous détestions le fils chéri, comme le sous-entendent certains de ses inconditionnels mais que, de notre humble point de vue, il n’a pas sa place parmi les acteurs et les actrices qui devraient, s’ils étaient aux affaires, imprimer à notre pays les changements profonds auxquels nous aspirons depuis 58 ans.
Ce garçon ne nous est quand même pas tombé du ciel. Nous l’avons vu à l’œuvre, de son retour de Londres au lendemain du 19 mars 2000, au 25 mars 2012. Pendant ces douze ans, il a occupé les fonctions de conseiller spécial de son père de président, de président du Conseil de Surveillance de l’Agence nationale pour l’Organisation de la Conférence islamique (ANOCI), de ‘’ministre du ciel et de la terre’’. Et, sans la forte mobilisation du 23 juin 2011, il pourrait, peut-être, devenir le quatrième président de la République du Sénégal. C’était en tout cas la ferme volonté de son père. Ce garçon a donc exercé d’importantes responsabilités et traîne de lourdes fautes de gestion qui, à elles seules, suffiraient à l’envoyer en prison, si le successeur de son père était digne de la fonction présidentielle. Malgré tout, ses inconditionnels le présentent comme ‘’blanc comme neige’’ et prétendent que sa gestion n’a jamais fait l’objet d’un quelconque contrôle. Ils racontent tous des histoires, consciemment ou inconsciemment. Je les renvoie à mes deux contributions « Karim Wade, le héros fabriqué ‘’blanc comme neige’’ ! » (‘’WalfQuotidien’’ du 8 juillet 2018), « Mais, qu’a-t-il fait au bénéfice de ce pays, pour mériter tant d’attention ? » (‘’WalfQuotidien’’ et ‘’Dakar-Times’’ du 19 juillet 2018), au livre de l’ancien journaliste d’investigation « Contes et mécomptes de l’Anoci » (Editions Sentinelles, Dakar, août 2009) et, en particulier, au ‘’Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes » de l’IGE, (juillet 2014), qui couvre la période 2004-2009, donc de la date de la création de l’Agence, à celle de sa dissolution.
Les contrôleurs de l’IGE ont mis en évidence, dans la gestion du fils de son père, de nombreux « cas illustratifs de mal gouvernance financière », notamment de graves manquements au fonctionnement de l’Agence qui seuls, suffisaient à se passer de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CRÉI). Pour éviter à ce texte d’être long, je renvoie le lecteur aux pages 119-121 du Rapport de l’IGE. Il se fera une idée de ces graves manquements dont nous retiendrons ici quelques exemples :
- l’absence fréquente d’études d’avant-projet, laquelle a conduit à des modifications qui ont terriblement renchéri le coût des ouvrages ;
- des violations manifestes du Code des Marchés publics, notamment le défaut de mise en concurrence dans la rénovation de l’Hôtel King Fahd Palace (ex-Méridien Président) sur financement du Royaume d’Arabie saoudite, pour un montant de cinq milliards trois cent cinquante-trois millions quatre cent quarante-deux mille huit cent six (5.353.442.806) francs CFA.
Quand le Rapport de l’IGE a été rendu public, cette rénovation à plus de cinq milliards a soulevé un tollé général d’étonnement et d’indignation à King Fahd Palace, où on se demandait légitimement où étaient passés ces fameux milliards. C’est, du moins, l’information digne de foi que j’ai reçue, et qui était dans pratiquement toute la presse d’alors qui s’inspirait du Rapport de l’IGE.
Nous ne passerons pas sous silence l’utilisation (autorisée) par le Conseil de surveillance de l’ANOCI de cartes de crédit bancaires pour le président dudit Conseil (Karim Wade) et le Directeur exécutif (Abdoulaye Baldé). Si M. Baldé n’a pas utilisé sa carte, le fils de son père en a usé et abusé, dans la période qui va du 22 août 2005 au 28 août 2007 pour – c’était le prétexte – honorer un montant total de dépenses de deux cent soixante-quinze millions huit cent huit mille cinq cent soixante-huit (275.808.568) francs CFA. Quelles dépenses le fils de son père a-t-il honorées avec autant d’argent ? Où en étaient les pièces justificatives ? Si elles existaient, les contrôleurs de l’IGE en feraient certainement état ! Ces millions se sont sûrement volatilisés, avec de nombreux autres, à l’instar des vingt-six (26) qui devaient servir à construire des villas présidentielles et dont on ne sait pas ce qu’ils sont devenus.
L’attention des contrôleurs de l’IGE a été aussi retenue par ce fameux bateau-hôtel « MSC MUSICA », loué à cinq milliards neuf cent trois millions six cent treize mille (5.903.613.000) francs CFA. Dans cette perspective, un acompte d’un milliard sept cent soixante et onze millions deux cent mille (1.771.200.000) francs CFA a été payé par la Direction générale de la Société nationale du Port autonome de Dakar (SN/PAD), sans l’aval de son Conseil d’Administration. Or, ce fameux bateau-hôtel loué à ce montant exorbitant pour sept jours, est reparti au bout de seulement quatre. Et, pendant que ce fameux bateau était loué à ce coût-là, des hôtels réquisitionnés à Dakar comme dans la zone de Saly, restaient désespérément vides, ou occupés par des non ayants droit. Le bateau-hôtel grand luxe n’a, lui non plus, reçu aucun hôte de marque. Il satisfaisait plutôt la curiosité des Dakarois.
Ce n’est pas tout : il convient de rappeler aussi que, quand il a été nommé président du Conseil de surveillance de l’ANOCI, le fils de son père a aménagé et équipé ses nouveaux bureaux dans un immeuble tout neuf (Immeuble Tamaro), pour 750 millions de francs CFA. Quand même ! Selon des techniciens du bâtiment que j’ai interrogés, avec un tel montant, on peut construire un immeuble R+4 à 6 étages ou plus, selon la surface du terrain, la nature du sol et d’autres paramètres.
On n’oubliera pas non plus que, pendant onze ans, il ne voyageait pas dans les vols commerciaux, mais bien à bord du jet privé de ce monsieur Abbas Jaber, peut-être de tous les deux. Le Ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Abdoul Mbaye, M. Amadou Kane, a révélé que ses nombreux voyages à bord de ce jet privé nous ont coûté douze (12) milliards de francs CFA[1]. Douze milliards pour faire le tour du monde en onze (11) ans ! C’est à ce même sulfureux Abbas Jaber que la SONACOS a été bradée pour huit milliards de francs qu’il a mis du temps à payer, s’il les a payés d’ailleurs. Dès le lendemain du 25 mars 2012, le jet privé a vite quitté le Sénégal pour être vendu, disait-on, sans qu’aucune enquête n’ait jamais été menée. Pour mesurer la gravité de ce scandale, il faut évoquer les déboires de monsieur Alain Johandet, alors Secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie dans le gouvernement de François Fillon. Le 4 juillet 2010, il a été contraint à la démission pour avoir loué un jet privé pour un voyage dans les Antilles, précisément en Haïti, pour la somme de 116.500 euros, soit un peu plus de 76 millions de francs CFA. Il s’y rendait à une rencontre internationale, pour la reconstruction de l’Île. Un autre, Christian Blanc, lui aussi Secrétaire d’Etat (chargé du Développement du Grand Paris) a été démis de ses fonctions pour avoir acheté des cigares coûteux, réglés à partir de fonds publics. De tels exemples, je pouvais en donner un grand nombre, surtout des Pays scandinaves, mille fois moins graves que les lourds scandales que traîne le fils de son père[2].
Donc, au lendemain du 25 mars 2012, les nouveaux gouvernants n’avaient même pas besoin d’exhumer la CRÉI pour envoyer en prison le fils de son père. Ses seul scandales mis en évidence par le ‘’Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes » de l’IGE de juillet 2014 et nombre d’autres qui l’auraient sans doute été si sa gestion du Ministère du ‘’ciel et de la terre’’ avait fait l’objet de contrôle, suffiraient à disqualifier sa candidature qu’on veut nous imposer. De même, le lourd et peu valorisant bilan moral du candidat sortant devrait bousculer ses tonitruantes et coûteuses réalisations, et lui compliquer sérieusement la réélection. Nous nous emploierons à l’illustrer cette fois dans notre toute dernière contribution de la série, celle que nous venons de conclure étant déjà suffisamment longue.
[1] M. KANE était l’invité de « Grand Jury » de la RFM par Mamoudou Ibra Kane. De même, ce fameux tunnel de Soumbédioune long de 300 mètres et que, techniquement rien ne justifiait, sinon frapper l’imagination des pauvres populations, nous aurait coûté neuf milliards de francs CFA. Notre aussi très coûteux TER vise le même objectif.
[2] Nous vivons dans un pays où aucun scandale ne nous indigne plus, même pas cette accusation gravissime d’implication dans un détournement de 94 milliards de francs CFA. Accusation portée publiquement par le Président de Pasteef contre le Directeur des Domaines, Mamour Diallo, qui s’abrite jusqu’ici dans un silence assourdissant.