PLAIDOYER POUR UNE TRANSITION CIVILE
Une transition civile est une transition politique qui fait suite à un basculement politique consécutif à une élection démocratique où intervient un changement ou une redistribution des rapports de force politique
Une transition civile est une transition politique qui fait suite à un basculement politique consécutif à une élection démocratique où intervient un changement ou une redistribution des rapports de force politique susceptible d’avoir une incidence sur la gouvernance politique, quand ça peut donner lieu à une cohabitation ou à une alternance démocratique.
La transition civile peut également découler d’un basculement géopolitique, comme lors de la chute du mur de Berlin en 1989 qui avait donné l’illusion de l’existence d’un monde unipolaire ou la démocratie libérale et les droits humains étaient les moteurs de l’histoire et des relations internationales. Un véritable changement paradigmatique qui avait également permis l’émergence des conférences nationales souveraines, l’émergence du multipartisme et des premières alternances démocratiques dans les pays africains.
Les évènements du 11 septembre 2001 avaient également créé un nouveau basculement géopolitique qui a déplacé l’agenda international faisant de la question sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme le nouveau moteur des relations internationales.
La transition civile peut également faire suite à un coup d’Etat militaire « réparateur » des dysfonctionnements démocratiques en mettant en place une coalition gouvernementale dirigée par des civils, à la différence des juntes militaires où ce sont les militaires eux-mêmes qui gouvernent le pays.
Aujourd’hui, force est de reconnaitre l’épuisement des marqueurs et des normes politiques, géopolitiques, économiques, sociaux et technologiques (GAFA, AI) qui ont caractérisé les transitions démocratiques en Afrique depuis les années 1990/2000.
Il est temps de notre point de vue avec les symptômes et les marques de dysfonctionnements et de dégradation de la situation politique, économique, sociale et surtout sécuritaire, de réfléchir et de dessiner ensemble un nouvel horizon d’invention et de réinvention de la démocratie, de l’Etat de droit et de l’Etat social pour garantir la durée et la stabilité de notre vivre ensemble.
Il ne serait pas inutile de réexaminer le cas du Sénégal considéré partout comme l’un des laboratoires démocratiques du continent. Au Sénégal, on vit l’illusion d’une absence de discontinuité démocratique de l’indépendance à nos jours. Ce pays est réputé n’avoir jamais connu de coup d’Etat militaire, ni de transition civile, comme agir politique, pensé et théorisé. Ce qui constitue à la fois un miracle autoproclamé mais en même temps un problème parce que tout le monde constate que la démocratie sénégalaise comme la démocratie dans le monde, piétine, tourne en rond et éprouve toutes les peines du monde à progresser et donne l’impression de s’enliser et de plonger dans l’impasse.
La récurrence des violences politiques avec des morts à chaque veille d’élections, les signes inquiétants de radicalisme politique, de polarisation extrême, de colères, de ressentiments profonds que nous avons vécu en mars 2021 (en pleine Covid), les violences et les morts aux législatives 2022, les violences lors de l’installation de la quatorzième législature montre à satiété les symptômes palpables des dysfonctionnements palpables de la douloureuse agonie d’un système démocratique.
Il est bon à partir de ce moment de prévenir les risques d’effondrement que d’autres pays dans la même situation n’ont pas pu faire. Car, la fièvre des tentations populistes semble s’emparer de toute la sous-région de l’Afrique de l’ouest du fait des frustrations, des fractures et inégalités sociales, des exclusions de toutes natures qui viennent tragiquement nous rappeler les inachèvements de la démocratie qui ne peut être confinée aux seules élections et au multipartisme
Il faut ajouter une donnée nouvelle de taille dans le contexte mondial à laquelle nos sociétés n’étaient pas suffisamment préparées : les réseaux sociaux qui élargissent à l’infini l’espace public avec des outils de communication tout à fait nouveau, avec des circuits courts et qui investissent plus dans l’émotion.
Avec les vidéos et les audios des réseaux sociaux, on n’a pas le temps d’approfondir la réflexion ou simplement de raisonner, on transmet un ressenti, on est dans l’éphémère et le passage à l’acte.
Le résultat qu’on peut constater en Afrique de l’ouest aujourd’hui c’est l’influence qu’exerce de plus en plus les gens d’en bas qui pratiquement inversement proportionnel avec celles des intellectuels qui abhorrent souvent les réseaux sociaux, un terreau fertile à l’expression des ressentiments, du populisme politique, du complotisme et des fake news. Cette situation est entrain de bouleverser entièrement la situation géopolitique de la sous-région que les autorités nationales comme sous-régionales ont du mal à contrôler. Surtout quand le jeu d’influence géopolitique est l’affaire de grandes puissances qui s’appuient sur des acteurs locaux. D’où tout l’intérêt que nous avons au Sénégal de jeter un regard lucide, sans complaisance sur les failles et les faiblesses de notre système ensemble et de trouver ensemble les réponses les meilleures et les plus consensuelles.
Quand il nous arrive, nous citoyens sénégalais par un exercice de démocratie directe, de réfléchir collectivement sur un agir politique susceptible de renforcer la démocratie, l’Etat de droit, les droits humains, ou pour dire autrement comment renforcer notre contrat social, notre pacte républicain, démocratique et social, ce sont souvent les élites au pouvoir qui n’y adhèrent pas : c’est le cas des Assises nationales. Parfois, les tentatives de dialogue national sont également boycottées par l’opposition du fait d’une défiance politique profondément ancrée dans notre culture politique.
Ce qui caractérise le modèle démocratique sénégalais c’est le fait que les élites politiques qui arrivent au pouvoir en remplacement d’un chef d’Etat démissionnaire (cas du Président A. Diouf) ou au travers d’une alternance démocratique (cas du Président Wade et Macky Sall) ne saisissent jamais ces opportunités pour susciter une réflexion collective permettant d’évaluer les failles du régime et des institutions démocratiques pour trouver les réponses qui permettent de renforcer les institutions démocratiques, un Etat de droit non partisan et de faire émerger un Etat social.
Je vais tenter rapidement d’évoquer les occasions ratées :
- Le départ de Senghor en 1981 ;
- En 2000 avec l’alternance, c’était un grand moment d’euphorie démocratique qui ouvrait la porte à une transition civile ;
- Enfin en 2012, avec l’arrivée du Président Macky Sall, on avait l’occasion rêvée après une réflexion collective qui avait permis d’accoucher des Assises nationales et une lutte collective qui avait mobilisé toutes les énergies avec le M23 pour empêcher le troisième mandat de Abdoulaye Wade.
En 2000 comme en 2012, nous avons vécu une souveraineté démocratique négative, une souveraineté d’empêchement caractérisée par le dégagisme : en 2000 on vote Wade pour empêcher Diouf ; en 2012 également on vote Macky pour empêcher Wade. On ne vote pas pour choisir mais on exerce un pouvoir d’empeachment.
Faut-il encore tourner en rond et continuer la remontée sans issue de Sisyphe ! se remobiliser pour polémiquer, s’insulter, se battre contre les forces de l’ordre ! continuer à compter nos morts, nos blessés, nos détenus et nos exilés ! faut-il continuer ses efforts inutiles et sans issue dont le coût humain, politique, économique et social est indécidable.
L’horizon 2024 malheureusement semble présenter la même figure dépressive et stérile qui risque d’être dominé comme en 2012 par le débat pour ou contre le troisième mandat.
Un véritable cauchemar dans le contexte où le Sénégal grâce à l’exploitation du pétrole et du gaz pourrait devenir un vrai eldorado qui profiterait à tous les citoyens, si les leaders politiques toutes tendances confondues avec la société civile et les citoyens décident ensemble en toute souveraineté et en toute liberté de changer de logiciel pour créer les conditions d’une paix et d’une stabilité dans la durée.
Le moment historique dans lequel nous sommes où nous n’avons jamais eu une si formidable opportunité pour s’asseoir et dialoguer, changer et sortir d’une situation politique malsaine qui pourrait dans la durée constituer une vraie menace pour notre vivre ensemble.
Il nous faut absolument saisir ce moment historique pour rompre durablement avec la régulation par le rapport de force, par les tensions, les violences politiques et sociales. Il est temps de rompre avec cette forme de souveraineté démocratique négative, qui est la marque de la démocratie d’empêchement, du dégagisme : quand en 2011/2012 on a brandi le slogan « Wade dégage », répéter aujourd’hui : « Macky dégage », signifie qu’on n’a guère avancé, et pour les mêmes raisons. Ce modèle d’alternance sans alternative est une des causes des crises profondes qui secouent violemment sur tous les plans notre sous-région où les institutions nationales, régionales et internationales sont totalement impuissantes et incapables de les réguler.
C’est pour cette raison, que nous proposons de changer de paradigme en passant par l’étape de la transition civile, à un moment historique et inédit de la démocratie sénégalaise où le basculement politique et démocratique intervenu avec les élections législatives et auquel ni l’opposition, ni le pouvoir ne semblait avoir été préparé. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’électorat sénégalais en imposant par leur vote l’égalité des forces politiques à l’assemblée nation ale semble faire cette injonction à la classe politique : trouver l’équilibre qui permet de garantir la paix, la stabilité et la sécurité. Ce n’est pas par hasard d’ailleurs si le fantôme de la cohabitation n’a cessé de planer sur le débat public tout au long du processus électoral. Il faut saisir ce contexte inédit pour procéder aux changements, aux réformes et aux refondations qu’appelle ce moment historique caractérisé par les crises, les malaises et les désaffections démocratiques qui accouchent des coups d’Etat militaires, de nouvelles formes de populisme, de dictature politique.
La transition civile nécessite avant tout un grand débat national pour savoir quel contenu mettre dans ce processus de transformation de notre démocratie, de notre régime politique, de nos institutions politiques, économiques et sociales.
Il s’agit ici de partir des acquis des Assises nationales pour voir comment les renforcer au regard des changements que nous avons connus sur tous les plans depuis lors.
Il ne m’appartient pas à moi de définir et de mettre du contenu dans ce qu’on appelle la transition civile, il appartient aux acteurs politiques, de la société civile et aux citoyens de réfléchir collectivement pour y mettre du sens.
Cette mission historique incombe d’abord au Président Macky Sall dont le bilan en matière de sécurité, de diplomatie, d’infrastructures et même de luttes contre les inégalités sociales peut être honnêtement reconnu. Les reproches concernant les questions démocratiques, ne sont pas abstraites et c’est l’occasion exceptionnelle de les corriger et de placer le Sénégal dans le peloton de tête des plus grandes démocraties et de garantir sa stabilité, sa sécurité et son unité dans la durée.