POUR LILYAN KESTELOOT, IN MEMORIAM
En hommage à ta mémoire, il faudra bien qu’on essaie de rallumer et d’entretenir le feu…
Nous avions rendez-vous ici, où tu devais revenir pour siéger avec moi et d’autres collègues au jury de thèse d’un jeune chercheur ivoirien. Tu n’es pas venue. Et tu ne viendras pas, tu ne viendras plus, même pas pour rejoindre ce caveau que, m’as-tu dit, tu as fait aménager pour ton fils, pour ton défunt époux, notre collègue Fongang, et où tu as prévu ta place. On a préféré te donner une sépulture loin de ceux que tu as choisis pour être les tiens, ta famille la plus nombreuse, celle du cœur et de l’esprit. La sage-femme qui a accouché l’Afrique d’un de ses enfants, appelé Littérature francophone, disparaît avec toi, en toi, Lilyan Kesteloot Fongang.
C’est avec fierté que je constate que j’ai été ton dernier correspondant sur cette terre. Tu m’as confié ton épuisement, et redit ton désarroi. Je t’ai conjurée de tenir bon, de ne pas lâcher la rampe, et de revenir ici, chez toi, où il fait bien plus chaud que là- haut, dans les froidures boréales. « Merci, mon frère. J’essayerai », m’as-tu répondu… Et ce fut l’endormissement, le coma qui devait être sans réveil.
En définitive, tu as eu le départ que tu voulais, puisque tu m’as confié que tu en as voulu à nos très dévoués et efficaces collègues de la faculté des Sciences et de Médecine, tes voisins, qui t’ont assistée et sauvée, lors de la première attaque. Car ils étaient vigilants… Papa Samba Kane, ce jeune journaliste, qui s’est révélé d’abord essayiste, puis romancier et, tout récemment poète, a eu, sans le savoir, l’insigne honneur d’avoir suscité ton ultime enthousiasme de lectrice de poésie, et de mériter ta dernière préface à un recueil de poèmes. (J’ai eu la chance que tu aies spontanément écrit une préface pour mon livre à venir tiré de ma thèse de doctorat du 3e cycle, vieille de quarante ans, que tu as voulu faire éditer, après que tu as dirigé mes recherches ; et tu m’as demandé de te laisser préfacer le livre tiré de ma thèse de doctorat d’État, ce que tu as fait avec une extrême générosité, puisqu’on t’avait, pour je ne sais quelles raisons, écartée du jury).
Amadou Lamine Sall a écrit le poème « Noces célestes pour Léopold Sédar Senghor », quand cet immense poète est allé à Njaniiw. J’aurais voulu être poète pour écrire un « Noces célestes pour Lilyan Kesteloot ». Car j’imagine tes retrouvailles avec ton cher époux Fongang. Mais, bien plus poignantes, me semble-t-il, sont tes retrouvailles avec la grande foule de tes enfants, ceux dont tu n’es certes pas la mère biologique (même si je t’ai affublée de l’appellation – que tu refusais – de « mère porteuse de la Littérature africaine »), mais que tu as litté- ralement mis au monde, je veux dire révélés au monde. Quels enfants aux noms prestigieux ! Les Césaire, Damas, Senghor, Fanon, Rabenananjara, Dadié, Niger, David Diop, et des dizaines d’autres, dont les noms peuplent les pages de ta thèse au nom si révélateur : Les Écrivains noirs de langue française. Naissance d’une littérature. Tu m’as tant de fois parlé de l’une ou l’autre de ces figures dont la plupart me sont mythiques !
Damas, qui a écrit pour toi un poème caché dans un de ses recueils, la grande complicité avec les Césaire (le poète et son épouse), les colères et emportements de Fanon, la grande pondération de Senghor... Certes, ce texte n’est pas d’un chercheur, c’est le témoignage d’un frère, comme tu m’appelais dans ces dernières années, d’un ami. Ton « Xarit benn bakkan », notre frère, collègue et ami Mamadou Bâ, écrira sûrement un texte plus technique. Du reste, un clic dans Google, Wikipedia, Persee, Yahoo et autres sites des réseaux sociaux dira à tous quelle a été ta vie de chercheur, de critique littéraire, de professeur d’histoire litté- raire et de littérature orale (oh ! tes retrouvailles avec notre cher Bassirou Dieng !).
Amade Faye, Abdoulaye Keïta, Ibrahima Wane (et Aminata Wane aussi), Cheikh Sakho, et tant d’autres élèves de tes élèves, diront aussi combien grande tu fus, et généreuse, mais aussi exigeante et rigoureuse… Maintenant que le foyer s’est éteint, que tu avais allumé pour faire la lumière sur «notre» reconquête de «notre» histoire, de « notre identité », de « notre » moi profond, pour la libération et le rapatriement de « notre » pensée (les guillemets, parce qu’avec nous, tu disais inconsciemment nous pour dire : nous, Africains ; dans ta bouche, cela signifiait : Vous, Africains d’origine et moi, Africaine de cœur et de destinée). Que va devenir le groupe de réflexion sur ces sujets importants, où tu avais attiré, chez toi, autour de toi, les Mamoussé Diagne, Abdoulaye Élimane Kane, Ousseynou Kane, Felwine Sarr, Mamadou Bâ et moimême, et où tu cherchais à faire venir quelques autres collègues ?
En hommage à ta mémoire, il faudra bien qu’on essaie de rallumer et d’entretenir le feu… Mais, pourrons-nous reprendre nos déjeuners du mardi, au restaurant de la Maison de l’Université, avec les jeunes collègues : Aliou Diaw, Serigne Sèye, Maïmouna Kane, et quelques autres, à qui tu voulais inoculer le virus de la recherche. ? Tu as toujours et jusqu’au bout refusé les honneurs, les médailles, les grands hommages, que tu as pourtant tous amplement mérités, que maints pays t’ont proposés. À peine astu consenti à un court métrage de vingt et quelques minutes, et à condition que sa projection à la faculté des Lettres soit faite en rapport avec une manifestation scientifique autour d’un thème transversal qui associe les lettres et sciences humaines. De là est parti notre groupe : Xalaat, (de son nom provisoire). Adieu, donc Lilyan, et repose en paix pour l’éternité dans cette terre de France que tu as tant aimée et tant servie, mais « dans le regret du pays noirs » (Senghor). Ton élève, ton collègue, ton ami, ton frère.
Amadou LY Professeur titulaire (er)
FLSH/UCAD de Dakar