POURQUOI LE SÉNÉGAL NE SORTIRA PAS DU SOUS-DÉVELOPPEMENT
Dans notre pays, 50% des retombées de la croissance et du progrès vont à l’étranger à travers les firmes étrangères qui dominent les secteurs les plus productifs de l’économie - Je pense que le PSE est un « pétard mouillé » de plus qui est voué à l’échec
Les Sénégalais viennent de renouveler le contrat du Président Macky Sall à la tête de la magistrature suprême pour guider et mettre en œuvre les actions de développement et d’émergence économique du pays les cinq années à venir (Avril 2019- Avril 2024). Je ne reviendrai pas sur les péripéties qui ont marqué les élections présidentielles qui s’inscrivent dans les pages les plus sombres de l’histoire politico-démocratique du Sénégal. Le sort en est jeté quels qu’eurent été l’organisation tendancieuse et l’achat massif des consciences pour des votes à la « mouton de Panurge » dans certaines contrées les plus pauvres et démunies du pays (Matam, Podor, Kolda, Fatick, Kaolack, etc.). J’en avais déjà parlé dans un article précèdent (https://www.ferloo.com/achat-de-consciences-et-democratie-au-senegal-quelle-voie-prendre/).
Maintenant que la page de l’élection est tournée, je voulais aborder ici les aspects liés au programme du candidat gagnant (le PSE) et sa capacité à améliorer le développement du pays et le bien-être des sénégalais comme promis dans les années à venir, face à la réalité du terrain et au système immuable déjà en place. L’hypothèse de développement du PSE se lit comme suit : Si « une transformation structurelle de l’économie à travers la consolidation des moteurs de la croissance et le développement de nouveaux secteurs créateurs de richesses, d’emplois, d’inclusion sociale et à forte capacité d’exportation et d’attraction d’investissements » est assurée, et qu’ « une amélioration significative des conditions de vie des populations, une lutte plus soutenue contre les inégalités sociales tout en préservant la base de ressources et en favorisant l’émergence de territoires viables » sont promues, ainsi que « le renforcement de la sécurité, de la stabilité et de la gouvernance, de la protection des droits et libertés et de la consolidation de l’État de droit afin de créer les meilleures conditions d’une paix sociale et de favoriser le plein épanouissement des potentialités » est garantie, alors, le Sénégal va s’inscrire définitivement dans une phase de croissance forte à moyen- et long- termes, atteindre les objectifs de développement durables (ODD) et assurer son émergence économique pleine.
Nous comprenons bien ainsi que l’hypothèse de développement du PSE s’inscrit en droite ligne sur l’atteinte de l’émergence économique et la réalisation des ODD. C’est beau, c’est parfait et cela respecte effectivement les conditions de développement telles que définies par A. Sen (Prix Nobel en Economie) : « Le développement exige la suppression des principales sources de non-liberté : la pauvreté et la tyrannie, des perspectives économiques médiocres ainsi que le dénuement social systématique, la négligence des équipements publics ainsi que l’intolérance ou la suractivité des États répressifs ». La principale question est de savoir si les conditions d’application de l’hypothèse de développement du PSE sont en place si les actions planifiées seront mises en œuvre (il paraît que le financement serait déjà bouclé – GC à Paris) et la croissance forte et durable serait atteinte à partir de 2019-2020 ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord regarder quelles actions le gouvernement a prises pour régler les facteurs de risques identifiés dans le PSE qui sont :
« Les principaux facteurs de risques pour la réussite du PSE concernent l’instabilité institutionnelle, les résistances aux changements, la faible appropriation, la faible mobilisation des ressources budgétaires, l’absence des ressources humaines requises pour conduire les réformes et les projets, les retards dans la mise en œuvre des réformes sur l’environnement des affaires et la modernisation de l’Administration publique, les dépenses sociales imprévues, les aléas climatiques (inondations, sécheresse), la capacité d’absorption limitée des ressources ainsi qu’un suivi-évaluation insuffisant. »
Je ne dispose pas pour le moment de rapports du Gouvernement sur ces aspects ou de données pour en débattre. Nous attendons toujours un rapport technique et financier clair de mise en œuvre de la phase-1 du PSE que le Premier Ministre est encore incapable de produire préférant jouer avec sa batterie de conseillers technico-politiciens sur les rythmes africains de musique à deux cordes (pertes et profits) et d’oralités joviales (publicités non fondées).
Ici, je discuterai plutôt d’un aspect extrêmement important, historico-contextuel et systémique qui n’a pas été abordé dans le PSE de manière sérieuse et objective : Où va la croissance du Sénégal, faible ou forte ? Est-ce qu’une croissance forte à très-forte (2 chiffres) au Sénégal dans les années à venir permettra automatiquement et forcement d’atteindre l’émergence et les ODD selon la clef actuelle de distribution des retombées de progrès et de la croissance ? Je dirais simplement que la clef de répartition de la croissance au Sénégal, qu’elle soit faible ou forte, suit une loi de distribution100-10 ainsi éclatée [D(50+24+9+7+6+4)%=100%]. A cause de cela, les conditions d’application et de succès de l’hypothèse de développement du PSE ne sont pas réunies, et l’émergence économique même dans le cas optimiste où elle adviendrait ne pourrait jamais être pour le service des populations, ainsi les ODD ne seront jamais atteints au Sénégal si c’est ce PSE qu’on applique aveuglement.
Dans notre pays, 50% des retombées de la croissance et du progrès vont à l’étranger à travers les firmes étrangères qui dominent les secteurs les plus productifs de l’économie (télécommunication, bâtiments et infrastructures, industries et transformation, extraction, énergie et eau, etc.), et les institutions financières internationales qui assurent le financement de l’économie nationale et prennent les intérêts et services sur la dette (BM, FMI, BAD, etc.). Donc quelle que soit la croissance et le progrès, 50% des retombées vont droit à l’étranger et ne sont pas réinvestis au service de l’emploi et des conditions de vie des populations y compris l’éducation et la santé. On comprend parfaitement là, la complaisance de certaines puissances étrangères et institutions internationales face au non-respect de la démocratie, des droits humains les plus élémentaires, de l’équité genre et de l’inclusion des jeunes, etc. Tant que les 50% de part sont assurés par les gouvernements en place, alors les autres aspects sont purement factuels, dérisoires et n’ont pas d’importance majeure au niveau « macro-économique » qui les concerne, sous réserve que la paix et la sécurité ne soient pas menacées.
Les gouvernements et institutions en place engloutissent au moins 24% des retombées de la croissance et du progrès dans notre pays. Cela se fait à travers la mal-gouvernance, la corruption, la gestion népotique et clientéliste des ressources publiques, les postes ministériels pléthoriques, l’existence d’agences inutiles et budgétivores, la nomination pléthorique de conseillers politiciens, l’entretien du train de vie énorme d’un Président-Roi et de toute sa cour, le financement des partis politiques au pouvoir via les ressources publiques, etc. Toutes dépenses, la plupart exécutées dans l’absence des règles préétablies les plus élémentaires, qui engloutissent 24% des retombées de la croissance et du progrès. Les gouvernements successifs sont de plus en plus chers à entretenir et la corruption ainsi que la mal-gouvernance se sont définitivement installées dans nos mœurs institutionnelles.
Il faut le dire, la clientèle confrérico-maraboutique et religieuse en général absorbe au moins 9% des retombées de la croissance et du progrès. Au lieu de promouvoir la vulgarisation, la recherche, l’éducation et la formation sur les connaissances énormes produites par les guides religieux exceptionnels que nous avons et ainsi créer de véritables institutions confrériques piliers de la société, ce qui aurait pu aider à mieux nous préparer à l’émergence, nous avons opté pour le financement direct, sans leur demande, de personnes, de familles, leur construisant même des villas à la charge de l’Etat (ce qui devrait être le rôle des talibés que nous sommes), le financement de milliers de cérémonies religieuses dans toutes les régions du pays à travers toute l’année presque chaque jour, avec les ressources publiques et la mobilisation de l’Etat pour leur entretien et politisation. Ces 9% des retombées de la croissance et du progrès, cette substitution de l’Etat aux talibés que nous sommes, par l’utilisation directe des ressources publiques pour entretenir les confréries et les leaders religieux, vise à les utiliser comme des boucliers pour garantir que la tension sociale n’explosera pas même si on appauvrit les populations en envoyant 50% des retombées à l’étranger et 24% dans la mal-gouvernance. C’est comme qui dirait « le salaire » pour maintenir la population aux ordres avec des messages comme : « la vie n’est rien, pensez plutôt au paradis », « croyez en Dieu, c’est lui qui donne à qui Il veut et quand Il veut, et Il l’a même déjà fait depuis longtemps », « restez calmes, Dieu n’aime pas le bruit », etc.
Il y a une classe inqualifiable au Sénégal qui s’est créée d’elle-même, et cela est l’expression simple et claire de notre capacité « entrepreneuriale » sénégalaise à créer de la richesse à partir de rien. Cela me rappelle l’histoire du sénégalais qui avait vendu des lunettes sans verres à un africain du centre en lui disant que c’est des verres de type nouveau qui sont « intouchables et incassables ». Cette classe est composée de politiciens professionnels, experts dans la transhumance, de groupes de media ou autres acteurs de la communication (traditionnelle et moderne) experts dans les tromperies et l’envoûtement du roi au palais présidentiel et sa cour par des discours de soutiens quelquefois qui frisent le « griotisme » négatif par opposition à notre tradition de griots responsables, dignes et patriotes. Cette classe immonde, par des stratagèmes multiples et des tactiques politiciennes inqualifiables, maintient le pouvoir en otage et soutire 7% des retombées de la croissance et du progrès sans aucun effort à la construction nationale, rien que par des discours et des textes vides. Les messages les plus favoris qu’ils distillent incluent : « les nouveaux ne feront pas mieux que le gouvernement en place qui travaille comme le veut le Président », « laissez le Président travailler tranquillement », « le Président est le plus noble et intelligent des sénégalais, laissez-le tranquille », « la Première Dame s’habille très bien et aide beaucoup les Sénégalais, elle est même plus adorable que le Président », etc.
Alors c’est en ce moment seulement à la fin du partage du gâteau (90% sont déjà partis) que le secteur privé national accède à 6% seulement des retombées de la croissance et du progrès au Sénégal. Un secteur privé national qui peine à trouver sa place dans le PSE, et qui est abandonné par le Gouvernement qui le traite même d’incapable et d’incompétent, alors qu’il devrait l’appuyer comme le font tous les Etats qui se respectent. Avec seulement 6% des bénéfices de croissance et de progrès économiques, le secteur privé national ne pourra jamais jouer son rôle de fer de lance de notre économie et d’acteur principal de l’émergence tant souhaitée. Avec cette part infime, le secteur privé national ne pourra jamais créer des champions nationaux dans les secteurs les plus productifs (télécommunication, bâtiments et infrastructures, industries et transformation, extraction, énergie et eau, etc.).
Enfin, seulement 4% des retombées de la croissance et du progrès vont vers les populations et ménages à travers de meilleures politiques de santé, d’éducation et formation, le bien-être, etc. Seulement 10% (6-4) vont effectivement dans l’économie domestique (secteur privé national, population et ménage). C’est la loi tragique de distribution 100-10 évoquée plus haut. Comment le PSE pourrait-il permettre l’atteinte des ODD dans ces conditions ? La population sénégalaise est le parent pauvre de ce système 100-10 préétabli, dont le PSE ne permet pas d’inverser la tendance, en tout cas dans son état actuel. Ainsi, le PSE est piégé d’avance et est voué à l’échec sauf exception en prenant des mesures draconiennes et de réformes politiques, économiques et institutionnelles majeures. Je ne crois pas que le régime actuel en a le courage et la capacité. Voilà pourquoi je pense à juste titre que le PSE est un « pétard mouillé » de plus qui est voué à l’échec face à la loi 100-10. J’aimerai bien recevoir des avis opposés qui me convaincraient du contraire.