POURQUOI UN PAYS COMME LE SÉNÉGAL DOIT-IL S'ENDETTER ?
À l'ère de la mondialisation où nous sommes, la dette est devenue inhérente à notre propre évolution voire “existence” pour certains
Lors de la conférence de publication de la 5 ème Revue de l’ISPE (Instrument de Soutien à la Politique Économique) sur la situation économique de notre pays à la suite de la mission de contrôle, du 7 au 19 septembre 2017, la délégation du FMI (Fond Monétaire International), après avoir loué le respect des objectifs quantitatifs pour fin juin 2017 et s'être félicitée « de l’engagement des autorités à prendre des mesures pour éliminer les besoins d’emprunt supplémentaires au-delà du déficit budgétaire », a, comme du reste on l'attendait d'elle, relèvé un certain nombre d'inquiétudes sur “l’accroissement de la dette relativement rapide ces dernières années et le service de la dette, c’est-à-dire le ratio des paiements de la dette sur les revenus de l’Etat, est passé de 24% en 2014 à près de 30% pour 2017”.
Attitude, plus que normale pour qui connaît l'influence de la dette sur l'équilibre des comptes publics ainsi que les enjeux économiques qui vont avec, de part et d'autre. Ce qui a été confirmé au cours de la cérémonie de présentation du rapport sur les perspectives régionales en Afrique subsaharienne, tenue à Dakar le 30 Octobre 2017 et devant reposer exclusivement sur l’ajustement budgétaire et la diversification économique.
Depuis, des amateurs aux spécialistes en la matière en passant par les politiques que nous sommes, tout le monde essaie d'y mettre du sien. Même l'ancien président, Maître Abdoulaye WADE, qui, malgré son statut et le lieu inconcevable (Touba), ne s'est pas privé de ses diatribes légendaires d’opposant. D’aucuns vont même jusqu'à “crier au scandale” ; alors que, comme disait le grand spécialiste des finances publiques à l’Institut Montaigne, Charles Nicolas « Un pays, c’est comme une famille ou une entreprise. Quand il ne gagne pas assez pour financer ses dépenses, il emprunte de l’argent ». Juste pour dire qu'à l'ère de la mondialisation où nous sommes, la dette est devenue inhérente à notre propre évolution voire “existence” pour certains. Regardons de près, les choses en face avec nos biens personnels qui sont pour la plupart pour ne pas dire totalement sous emprunts (véhicule, maison, matériels, entreprises etc…).
Pour autant, cela ne fait pas de nous des agonisants, même si, reconnaissons le, cette vie là est souvent menée de débauche. Life goes on !*. D'ailleurs, nul ne pourrait contester qu'une dette n'est jamais mauvaise en soi, surtout, lorsqu’on emprunte pour financer des investissements en infrastructures et dans les services publics, notamment en éducation et dans les autres secteurs vitaux de base. En outre, l’existence d’infrastructures diversifiées et modernes (routes, transports en commun, aéroports, énergie, eau, établissements de santé et d’éducation, réseaux de communication, etc.) constitue assurément l’un des déterminants importants de l’activité économique et favorise parallèlement la cohésion sociale, la santé au sein de la population et une augmentation du capital humain. De surcroît, il est également du rôle de l’État de stimuler l’activité économique, à chaque fois que de besoin, à partir des composantes du Produit Intérieur Brut (PIB) figurant dans la formule suivante :
Produit intérieur brut (PIB) = C + G + I + (X – M) ; (C) signifiant Consommation, G=Dépenses, I=Investissements,X=Exportations et M=Importations.
En guise d'exemple, “lorsqu’un gouvernement désire stimuler l’activité économique, il doit influer à la hausse une ou plusieurs composantes du PIB. Ainsi, il pourra lui-même augmenter ses dépenses (G) et ses investissements (I), ou encore, il pourra agir afin de favoriser une hausse de la consommation (C), de l’investissement privé (I) et des exportations nettes (les exportations moins les importations X - M).”
La seule complexité d'un tel exercice réside dans le fait que la stimulation d’une composante peut en pénaliser une autre ; par exemple, pour financer des investissements publics, le gouvernement doit s’endetter ou au pire augmenter les impôts et taxes ; ce qui vient réduire, de facto, en partie la capacité des ménages de consommer ou des entreprises d’investir. Ainsi, dès lors qu”investir pour un État suppose une projection dans le long terme, un amalgame est habituellement orchestré dans l'esprit de personnes mal intentionnées qui n'hésitent pas à affirmer sans retenue, aucune que, la dette, en elle-même, engendrée par cet investissement représenterait une catastrophe pour les générations futures. Or, selon plusieurs spécialistes des Finances Publiques comme l'économiste Alain Cohen, Enseignant-chercheur à l'université Paris-XI en France, une dette accumulée donne forcément lieu au paiement d'intérêts ; d'où un transfert, de fait de ressources au sein d'une même génération, de l'ensemble des contribuables vers les détenteurs de la dette publique.
Cette logique est souvent considérée par certains comme un lourd fardeau et naturellement une source de revenus pour d'autres. Ainsi, de façon inévitable, les générations suivantes héritent de la même situation et ne sont pas plus lésées que les précédentes. De l'autre côté, si on se limitait à financer une dépense par le déficit qui ne bénéficie qu'à la génération actuelle, cela porterait automatiquement préjudice à la prochaine génération de contribuables. En revanche, le financement par la dette de dépenses, de nature à soutenir la croissance et, par conséquent, le niveau de vie des générations futures, renforcerait l'équité entre générations. Pourvu que cette dite croissance ne soit pas dérisoire, afin d'éviter aux générations futures de perdre la liberté de recourir à une dette supplémentaire et de leur permettre de profiter d'un éventuel surcroît qu’apporteraient ces investissements. Etc...Etc... In fine, “c'est plus la nature des dépenses publiques que la réduction de la dette qui devrait occuper actuellement nos esprits” prodigue l'économiste précité.
Face à une telle situation, le questionnement fondamental qu'il faudrait plutôt se poser est de savoir si la dette, en elle-même devenait la règle d'or pour permettre un pays comme le Sénégal de sortir de l'ornière du sous-développement ? Si oui, comment doit-il s'endetter ? Avant d'en arriver au niveau d'endettement actuel de notre pays, un rappel historique de la dette publique s'avère plus que nécessaire.
Né au Moyen Âge, en Italie, plus précisément à Venise et Gênes, le Système de Crédit Public (avec les dettes publiques des États) permettait, tout au début, aux grandes puissances de s’approprier, sournoisement qu’auparavant, les richesses des colonies avant de subir une internationalisation progressive. La méthode consistait pour les grandes puissances capitalistes Européennes particulièrement, à avoir, vaille que vaille, par un stratagème huilé d’octroiement millimétré de la dette publique extérieure, mainmise totale sur les ressources directes de, non seulement des États dits pauvres, mais aussi des autres États, considérés, à l'époque de moyennes puissances susceptibles de devenir grandes à l'instar de la Chine et de la Russie. On était déjà aux XIXème et début XXème siècles !
C'est ainsi que, les Européens leur obligeaient à négocier le remboursement des dettes en échange de concessions d’enclaves commerciales, de voies de chemins de fer ou encore d’installations portuaires entre autres. Par conséquent, indigné par cette nouvelle méthode de domination, l'éminent économiste pluridisciplinaire Karl MARX, parmi tant d'autres, dénonçait à travers son fameux livre intitulé « Le Capital », à quel point, “la dette publique, le système de crédit international et le pillage colonial des grandes puissances européennes, dès le Moyen âge, sont à l’origine de la naissance du capital industriel.” Poussant de fait, les petits États à s'endetter, de plus en plus, pour être et/ou rester dans l'air du temps. Le “IN”** d'aujourd'hui !
Après, prise de conscience d'une honteuse accumulation primitive des richesses doublée d'une sortie calamiteuse de crise économique, sans précédent, des années 30, les 44 nations dites “Les Alliées” d'antan, décidèrent d'unir leurs forces par l'organisation de la Grande Conférence Internationale de Bretton Woods dans le New Hampshire (États-Unis). Au bout de trois semaines de débats ardus entre les 730 délégués représentant les États, notamment celui opposant le grand économiste de renom, le britannique John Maynard Keynes et son protagoniste américain Harry Dexter White, elles créèrent le 22 juillet 1944 le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale pour dessiner les grandes lignes d'un nouveau modèle de système financier international afin d'être d'une certaine façon, en mesure de contrôler l'économie mondiale à travers l’élaboration de Programmes d’Ajustement Structurel, visant principalement à réduire les budgets publics des États et de garantir le remboursement de la dette, qui leur tient vraiment à coeur. Et, nous voilà à la naissance officielle de ce qu'on peut appeler la Dette Publique Extérieure !
Vu que leur objectif commun était de mettre en place une meilleure organisation monétaire mondiale établie dans un cadre de coopération et de développement économiques permettant de rendre l’économie mondiale chaotique d'alors, plus stable et plus prospère, les deux institutions, bien qu’autonomes commencèrent véritablement à travailler conjointement en 1980. Afin d'assurer une coopération, sans empiètement dans certains domaines clés tel que la réduction de la charge de la dette, un concordat, fut donc signé en 1989 entre elles pour un partage équitable des responsabilités.
C'est dans cette optique que l’Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) et l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) ont été également mises en place pour, selon elles, aider les pays concernés à atteindre leurs objectifs de développement sans retomber dans la spirale du surendettement. Pour ce faire, les services des deux entités élaborent ensemble un Cadre de Viabilité de la Dette (CVD) pour une analyse plus fiable de la dette qui permettrait de financer, en toute sécurité, des projets, aussi bien publics que privés, à destination des pays du tiers monde.
Néanmoins, la crédibilité de ce dit cadre est jusqu'à présent contestée par certains économistes qui pensent qu'en réalité, en empruntant, les pays en voie de développement vont, certes développer leurs infrastructures mais seront contraints d'accroître leurs productions liées aux exportations destinées essentiellement aux grandes puissances. Tout ceci, sous le contrôle des bourses étrangères à des cours préférentiels tout en modernisant davantage, à leurs propres frais, les industries servant de maillons de la chaîne “d'exploitation”. Lorsqu'il s’est agi maintenant de garantir le remboursement comme convenu de leurs créances, le FMI n'a eu à ménager aucun effort pour redorer le blason des pays membres demandeurs, en passe, selon lui d'insolvabilité, par la mise en place en 2005 d'un Instrument de Soutien à la Politique Économique (ISPE), faisant office “gratuitement” de conseiller-financier. Plus de liberté d’action ou plus de restrictions ?
En tout cas, les objectifs fixés dans les ISPE sont souvent issus des programmes antérieurs du FMI et de la Banque mondiale. Dans ces conditions précises, ne sommes-nous pas revenus à la case de départ ? Nous avons tendance à dire OUI puisqu’en fin de compte avec ce système, nous constatons aisément qu'elles continuaient à maintenir les pays en voie de développement dans leur giron occidental, changeant juste de nom (Colonisation, Système de Crédit Public sous forme de troc inter États puis Institution financière internationale) par la suppression du pouvoir de leurs États et par le contrôle strict de leurs économies respectives. La preuve, il est de reconnaissance internationale que “la dette publique ne peut excéder 60 % du PIB, à moins qu'elle ne diminue suffisamment et ne s'approche de la valeur de référence à un rythme satisfaisant” ; et pourtant, le rapport semestriel assez alarmiste du FMI (Fiscal Monitor) du 4 janvier 2017 faisait, comme à l'accoutumée état de l'ampleur de la dette de l’économie mondiale causée par la boulimie tendancielle des grandes puissances avec son montant record astronomique de 152.000 milliards de dollars soit plus du double (2,25) de la richesse mondiale.
À titre d'exemple, la dette publique du Japon, troisième puissance économique du monde pour le PIB nominal et la quatrième pour le PIB à parité de pouvoir d’achat a, selon l’OCDE, atteint son paroxysme à la fin de l’exercice 2016, clos fin mars avec un taux d'endettement frôlant les 250 % de son PIB ; compte non tenu des estimations amusantes de ses propres services financiers qui le fixent à 600 % du PIB d’ici à 2060 ! Ce qui n'a point valu à ce pays d'être inquiété encore moins attaqué par les marchés financiers. En plus, paradoxalement, comme suscité plus haut, il demeure le sixième pays importateur au monde. Waaw ! On dirait que le système était exclusivement conçu pour lui, tellement qu'il donne l'impression de ne recevoir que la “Carotte” sans se soucier du “Bâton”. Idem, pour la plupart des autres grandes puissances économiques mondiales qui sont, au dessus de la barre des 60% en 2016. Ce sont les cas des Etats-Unis (105,8%), de l'Allemagne (71,70 %), du Royaume-Uni (89,4%), de la France (96,5%), du Brésil (89,4%), de l'Italie (132,7%) ou encore du Canada (98,8%), pour ne citer que ceux là. Comme, pour ainsi dire que, “le seuil, en vérité, pour certains pays privilégiés, ne signifie pas grand chose ; c’est juste un accord politique et qu'il n’existerait pas de chiffre magique fixant l’alerte.”
Sauf que, rares sont les pays en voie de développement qui osent, ne serait-ce que présager de dépasser le dit seuil édicté. Ce qui ne surprend guère car pour emprunter sur les marchés, il faut obligatoirement inspirer confiance et comme nous ne sommes pas aussi bien gâtés, nos sorts sont scellés en fonction de nos moyens. Vous me direz de comparer des comparables, pour la bonne et simple raison que, ces puissances sont désormais assez grandes pour se maintenir en développement et continuer à cotiser pour les autres, au regard de leurs PIB respectifs. Qu'à cela ne tienne car en matière de gestion des personnes (physiques et/ou morales), l'exemplarité doit toujours être de rigueur.
Pendant ce temps, un pays comme le Sénégal, avec une dette publique correspondant à 57,3% de son PIB évalué à 13 milliards de dollars en 2016, et qui n’a dépassé ce seuil qu'au sortir d'événements exceptionnels du genre : la période de Programmes d'ajustement structurel ( 1985-1992) suivis de la dévaluation du FCFA en 1994 (85.20 % en 1997) ou encore l'avènement d'un nouveau régime (73,72% en 2000 réduit au fil du temps) ; reçoit habituellement les remontrances de ces dits organismes, si ce ne sont celles d'une frange de son opposition. Pour autant, il a toujours fait partie des bons élèves de la classe pour avoir même, à titre de rappel, été placé, contre son gré en état de faillite durant trois ans successifs, de 1994 à 1996, avec un taux de 0.00 % (manque de confiance et de crédibilité dû à la dévaluation du franc CFA, est passé par là ).
Illustration par graphique.
Certains nous diront que voilà qui est plutôt rassurant puisque nous ne sommes pas les seuls à être au banc des accusés ; alors qu'ils oublient que l'indulgence de ces institutions, quasiment financées par les derniers de la classe, a des préférences pour le fond de celle-ci. Autrement dit, la Banque Mondiale et le FMI ne jouent que leur rôle de “banquiers” qui s'inquiètent principalement pour leurs dûs avec le même procédé à savoir, plus le client est douteux, plus le créancier est exigeant. Du coup, en cas de doute sur le remboursement périodique de ses créances, le FMI instaure une politique d’austérité budgétaire sur l'ensemble des catégories de dépenses publiques des États concernés. Ceci, en parfaite connivence avec la Banque Mondiale qui veille, quant à elle, aussi bien sur la composition que la bonne exécution de ces dernières ; exigeant ainsi à certains Gouvernements (africains en général) de réduire brutalement tous les projets d’investissements notamment ceux concernant les infrastructures économiques et sociales et à d'autres (grandes puissances en particulier) de transférer les coûts des investissements dans les services sociaux de base (santé et éducation) auprès des usagers. Tout ceci, à une seule et unique condition, qu'il n'y ait pas de pays “OUTLAWS”*** à l'instar du Mozambique ou du Congo Brazzaville qui ont eu, par peur certainement d'astreintes, à dissimuler une grande partie de leurs dettes publiques respectives durant les deux dernières années.
Pour le cas du Sénégal, après s'être alarmée du déficit budgétaire estimé à 367 milliards de francs CFA (560 millions d’euros) en 2018, soit 3,5% du PIB, l’institution de Bretton Woods “appelle à réduire encore les exonérations fiscales, notamment celles à faible impact socio-économique, à intégrer les recettes parafiscales au budget et à évaluer tous les nouveaux projets d’investissements financés à l’intérieur du pays”, tout en espérant que “Si ces mesures sont mises en oeuvre en 2018, elles devraient aider à réduire d’ici 10 ans le service de la dette au niveau de 2014."
A la lumière de toute cette instabilité, n'est-il pas temps de songer à la refonte intégrale du système plutôt que de passer à réviser le modèle de calcul du cadre d'évaluation de la viabilité de la dette ? Qui en est à sa quatrième révision, après celles de 2006, 2009 et 2012, sans que vraiment rien soit apporté de significatif.
Dans l'attente de nouvelles orientations, nous militons, à présent pour les 2 propositions suivantes :
L’annulation totale de la dette des pays pauvres afin d'éviter le syndrome de 1995, lorsque les dettes cumulées des États Unis et de L’Europe faisaient plus de 5 fois celle de l’Afrique qui ne représentait que 10% de toutes les dettes existantes au niveau mondial pour 547 millions d'âmes ;
L’expropriation des avoirs, détenus à l’étranger par certains dirigeants pour booster les économies respectives de leurs États ;
Sachant qu'il est loin d'être facile de réduire le montant de la dette d'une grande puissance économique mondiale, plus solvable à tout point de vue, à fortiori celui d'un pays en voie de développement, déjà pris dans l'engrenage des investissements en infrastructures et services publics de base ; devrions-nous pas faire, tant soit peu des économies au sommet de l'État pour financer certains projets de développement ? Aux gouvernants d'en décider !
*La vie continue
**En phase
***Hors la loi