A PROPOS DE L’ÉCONOMIE ET DES ARMES EN AFRIQUE
L’analyse de la « géoéconomie » mondiale actuelle donne le tournis. Dans les années 2000, nos esprits friands de rationalité avaient retenu que l’économie du monde se répartissait en trois types de pays
L’analyse de la « géoéconomie » mondiale actuelle donne le tournis. Dans les années 2000, nos esprits friands de rationalité avaient retenu que l’économie du monde se répartissait en trois types de pays : - Les pays développés (USA, Europe), - Les pays émergents dont les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et, en bout de file, - Les pays sous-développés ou pauvres. Aujourd’hui, le classement est moins clair parce que parasité par des considérations de critères plus parlants. La Russie est un pays émergent mais a assez de puissance pour soutenir la concurrence des pays développés en matière de « guerre des étoiles » (ou de course aux armements), et fait partie des « gendarmes du monde » alors que des pays européens comme l’Allemagne en sont exclus. L’Arabie saoudite ne fait pas partie des pays émergents mais possède un portefeuille d’actifs financiers souscrits dans les marchés financiers développés. La Chine est un pays émergent mais est considérée comme la première économie mondiale.
De surcroît, elle est le premier créancier étatique de la première puissance mondiale, à savoir les USA. On ne parle de la Corée du Nord que parce qu’elle possède un arsenal d’environ 20 à 30 armes nucléaires, alors que la Corée du Sud, sous parapluie américain, est la 11ème économie mondiale et le 7ème exportateur mondial. Le Nigéria, classé comme pays émergent, est la première économie africaine devant l’Egypte et l’Afrique du Sud. Devant une telle confusion économico-politique, il appert que ce qui surdétermine le tout c’est la capacité des Etats à défendre leurs intérêts et à assurer leur sécurité. Les attaques terroristes au Mali, au Niger, au Burkina et au Nigeria, pour ne citer que les plus récurrentes, ont fini de convaincre qu’il ne saurait y avoir de développement économique sans armée aux capacités de dissuasion indiscutables.
L’esclavage, le partage de l’Afrique à la conférence de Berlin et la colonisation dite civilisatrice qui s’en suivit ont trouvé une Afrique incapable de se défendre, faute d’un armement équivalent à celui des assaillants. La conférence de Berlin s’est tenue le 26 février 1885 avec, à sa table, les représentants de 14 pays coloniaux d’Europe, avec comme principal objet le règlement pacifique des litiges relatifs aux conquêtes coloniales en Afrique. Elle ne réalise pas un partage de l’Afrique, mais organise l’accès de ces puissances aux pays riverains des bassins du Congo comprenant le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la République du Congo, la Guinée équatoriale et le Gabon, et du bassin du Niger, soient le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Guinée, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Les tracés des frontières de l’Afrique auront déjà pour l’essentiel fait l’objet d’accords bilatéraux spécifiques entre ces puissances. C’est dire que le souci était de fixer les règles de l’exploitation pacifique des ressources africaines. L’incroyable stock de richesses du sol et du sous-sol dont sont crédités aujourd’hui ces pays nous renseigne sur l’esprit de prédation qui a prévalu à l’époque.
Cette conférence de conciliation entre ces pays coloniaux nous renvoie ainsi l’image de « bandits qui se chamaillent lors du partage du butin » après un braquage. L’Afrique est immensément riche. En plus du pétrole, le Nigeria dispose d’une abondance de matières premières et de ressources naturelles contribuant à la richesse de la région. Il s’agit notamment du charbon, du calcaire, du zinc, du plomb, de l’étain, du gaz naturel, du niobium et du minerai de fer. L’Afrique de l’Ouest est passée première région minière aurifère, devant l’Afrique du sud. Outre l’or, la sous-région fournit 10 % du manganèse, 8 % de la bauxite et 7 % de l’uranium mondial. L’Afrique de l’Ouest détient le tiers des réserves de pétrole et de gaz du continent. L’Afrique est riche en ressources naturelles et représente 30 % des réserves mondiales en pétrole, en gaz et en minéraux.
La Guinée possède la plus grande réserve du monde de bauxite, estimée à 40 milliards de tonnes, et plus de 20 milliards de tonnes de minerai de fer sans compter du diamant et de l’uranium. Longtemps considéré comme le parent pauvre, le Sénégal abonde de ressources gazières, pétrolières, d’or, de zircon, de phosphates etc. Lister les richesses du sous-sol africain serait fastidieux ! Devant la profusion de découvertes en ressources minières, et ayant en mémoire les guerres coloniales aujourd’hui caractérisées de « crimes contre l’humanité », certains ont alerté sur le danger lié à la « malédiction du gaz et du pétrole». En réalité, celle-ci n’existe que parce que les moyens de défense de l’Afrique sont inexistants. Faudrait-il donc en conclure que les armes priment sur l’économie ?
Armer l’Afrique à l’instar de ce qui se fait dans le monde
Des pays comme la Russie semblent en faire un crédo dans la mesure où, selon eux, les indicateurs économiques occidentaux ne sont pas considérés comme les plus pertinents en matière de rapports de force. Les guerres menées contre l’Irak, la Syrie, la Libye, même si des problèmes de droits de l’homme et de gouvernance existaient dans ces pays, avaient également comme préoccupation, si ce n’est la principale d’ailleurs, l’exploitation du pétrole. La présence de Wagner au Mali ne saurait être étrangère au souci de la Russie de compétir en Afrique malgré son passé non colonial. Faudrait-il armer l’Afrique à l’instar de ce qui se fait dans le monde ? Aller jusque-là ne reviendrait-il pas à entretenir un nouvel « équilibre de la terreur » à l’échelle planétaire, ou alors à des guerres locales généralisées ?
La tendance mondiale étant de plus en plus à l’armement de nations, nous plaidons pour un armement dissuasif, et non offensif. En réalité, l’idéal serait d’encourager le désarmement. Pourquoi ne pas mondialiser l’armée ? On tente de le faire via l’ONU et ses casques bleus, mais cette organisation n’arrive pas à évoluer librement, du fait de sa dépendance financière aux contributions des Etats. Bien sûr que cela relève de l’utopie de « désarmer », comme le prônèrent les hippies des années 70. Mais à y regarder de près, à l’ère de la mondialisation, les entreprises mènent bien leurs activités sur la base de critères de compétitivité et non d’appartenance à un pays donné. Celles qui ont des filiales dans le monde sont opportunément appelées « multinationales » d’ailleurs.
On assiste à des délocalisations d’entreprises hors de leurs pays d’origine vers des pays où les niveaux de salaires sont plus bas, ou à la fiscalité plus avenante. Concernant les pays d’Afrique, le temps est venu de redéfinir les politiques économiques, sachant que la jeunesse, écrasante majorité de la population, ayant de plus payé un lourd tribut (naufrages en mer, refoulement à des frontières ouvertes sur le désert) du fait de politiques stériles de non- industrialisation, pourrait se radicaliser de la pire des manières dans un futur proche.
Les solutions pérennes ne sauraient s’élaborer dans le cadre de micro-Etats réputés non viables, ce qui enjoint de remettre sur les rails les grandes options économiques proposées dans le cadre du NEPAD, et actuellement dans l’agenda 2023. Ces solutions ne sauraient être mises en oeuvre sans la mutualisation des capacités de défense de nos pays contre les agressions auxquelles ils font face avec des moyens rudimentaires. Pour cela, les mentalités doivent évoluer. La multitude de drapeaux nationaux, signe de repli sur soi-même et génératrice de compétitions sans enjeu réel, devrait céder la place au drapeau unique d’une Afrique relevant du « Rising Africa » que le monde entier nous prédit, sans que nous nous attelions nous-mêmes à en créer les conditions ?
La population africaine va avoisiner 2 milliards d’individus en 2050, c’est-à-dire dans 30 ans seulement. La responsabilité de nourrir et de donner des emplois aux générations futures dans le cadre d’une économie structurellement transformée incombe aux dirigeants actuels, société civile incluse. La Chine doit constituer pour l’Afrique un exemple, et éclairer le chemin. Nous nous souvenons à ce sujet des « prédictions » de l’homme politique français Alain Peyrefitte qui, dans son essai « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », avançait que, compte tenu de la taille et la croissance de sa population, la Chine finirait inexorablement par s’imposer au reste du monde, une fois la technologie industrielle maîtrisée.
L’Histoire lui aura donné raison.