QUAND LA DÉMOCRATIE ET LES DROITS HUMAINS SOUFFRENT
C’est avec une grande consternation que tous les démocrates du Sénégal sont entrain de vivre les épreuves difficiles infligées au droit d’exprimer une opinion contraire pour la sauvegarde de ce qui reste de notre démocratie.
Quand des leaders de notre société, en l’occurrence Dr. Babacar Diop, Guy Marius Sagna et Abdourahmane Sow expriment leur divergence face aux modifications répétées et unilatérales de notre constitution, la moindre des choses dans une démocratie véritable, aurait été de les écouter. Mais quand les manifestations pacifiques se traduisent de manière assez fréquentes par des arrestations manu militari, cela dénote qu’un autre cap est franchi dans le pays. Je commencerai par citer le Dr. Babacar Diop dans son brillant article analytique intitulé « Le retour des dictateurs, « Nous devons préférer la liberté avec ses dangers à la tranquillité de la servitude ».
Dans l’idée fondatrice de son action, il pose ici un débat éminemment puissant qui devrait mener à une introspection au Sénégal, une réflexion dont la finalité serait de savoir le modèle de société que nous voulons au juste. Même si le but affiché par les autorités est de concentrer tous les pouvoirs du Sénégal aux mains d’un seul homme, est-il pour autant légitime de priver de liberté tout individu qui s’opposerait pacifiquement à un tel dessein? Assurément non! Sinon on sortirait de cette philosophie centrale qui fonde toute démocratie respectable: le droit d’exprimer une opinion contraire et de le faire valoir sur la place publique.
Au rythme où les choses évoluent, la crainte est que toutes les voix divergentes soient potentiellement dédiées aux geôles et que seules celles qui favorisent le durcissement du régime soient entendues. Manifestement, avec un tel schéma, on ne serait plus dans les caractéristiques d’une démocratie qui reconnaît la liberté de critiquer le gouvernement, de surveiller ses actions et de proposer des solutions alternatives. C’est au regard de cette tangente à concentrer tous les pouvoirs, doublée de la volonté manifeste de faire taire toutes les voix discordantes qu’il faudrait que le pouvoir actuel revienne aux fondamentaux d’une démocratie.
Le peuple sénégalais ne mérite pas qu’il en soit à ce niveau après toutes ces années de combat pour arriver à une démocratie apaisée. Si les tenants du pouvoir aspirent au dialogue, un des grands préalables serait de poser des actes politiques qui iraient dans le sens de convenir des changements à notre loi fondamentale avec toutes les forces vives de la nation. Un autre geste serait d’arrêter la détention policière tous azimuts et revenir à l’esprit global de la diversification des opinions et du débat. Comme disait Alfred E. Smith, « Tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie ». Il est donc important que les tenants du pouvoir actuel redressent la pente du chemin emprunté pour apaiser le climat social et instaurer une démocratie véritable. Ce préalable passe par la libération immédiate des personnes arrêtées pour avoir exprimé une autre opinion contraire à celle de la concentration des pouvoirs et par l’extension de cet esprit de dépassement aux prisonniers politiques du pays. C’est dans la paix et le foisonnement des idées que nous réussirons à construire notre pays qui nous est si cher.
Ibrahima Gassama. est Spécialiste du développement durable au gouvernement du Québec