QUAND LA DÉMON-CRATIE INVESTIT LE PARLEMENT
Dieu créa la Vertu et le diable, le vice. A la lumière du Verbe, Iblis opposa les ténèbres de la violence. Pour la gestion des affaires communautaires, la sainteté nous a enseigné la concertation, tandis que le satanisme a privilégié le conflit avec ses germes d’affrontement.
Ces vérités sont celles que certains esprits, cherchant à confronter les scènes les plus banales de la vie avec les Ecritures, voudraient plaquer sur les récents évènements de l’Assemblée nationale qui seraient à leurs yeux l’œuvre de Lucifer. Si dans son Contrat social, Jean Jacques Rousseau établit un lien de l’éducation morale avec la politique, en ce qui concerne le parlement sénégalais, nous sommes sur un terrain politique, dans un système laïc où il est exclu de vouloir imposer un idéal de perfection morale ou un fatalisme absoluteur.
Au demeurant, la raison et le libre arbitre engagent la responsabilité individuelle ou collective. Ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale relève d’une tension entretenue par des politiciens en perdition, sous l’emprise de passions malsaines.
Après leur théâtre d’ombres suivi de spectacles de ring, les députés catcheurs n’ont pas besoin d’une prothèse auditive pour entendre la clameur populaire. Ils ont profané le temple, là où bat le cœur de la Nation et se mesurent les pulsions du Peuple.
Outre les accusateurs du Malin, des exégètes qui s’avisent de banaliser la forfaiture invoquent des «précédents» dans les chroniques du Pouvoir législatif sénégalais, en se contentant de l’œilleton du passé. Quant à nous, nous avons choisi de revisiter ce passé avec un «charme d’impartialité qui fait la chasteté de l’histoire», selon le mot de Fustel de Coulanges. Alors suivons notre témoignage : Dans les années 50, un jour à l’Assemblée territoriale, c’est un conseiller du bas-Sénégal (devenu plus tard député Pds qui déplaça la chaise sur laquelle Senghor allait s’asseoir. Cela fit trébucher le leader du Bloc Démocratique Sénégalais (Bds) qui déclara, fair-play : «L’essentiel est de ne pas tomber et de savoir se remettre en équilibre.»
En 1962 à Dakar, au tumultueux bureau politique de l’Ups qui précéda les évènements de décembre de la même année, il n y a pas eu de bataille rangée mais un échange de gros mots entre les deux camps : Diaiste et Senghoriste. Même si cette affaire de bicéphalisme a eu ensuite un impact sur les institutions républicaines, avec la suppression du régime parlementaire, c’était une péripétie interne d’une formation politique.
C’est aussi le cas dans les années 80, au bureau politique du Parti socialiste, qui vit Moustapha Niasse lever la main sur Djibo Ka. Si les réunions des instances respectives de l’Ups et du Ps se sont tenues à la place Tacher (ancien nom de la place Soweto) cela était le fait anormal du parti au pouvoir qui avait l’autorité d’un Etat. L’institution parlementaire n’était point concernée par ces querelles intestines de préséance.
Rappelons simplement en ce qui concerne le Ps, qu’à l’époque où Niasse s’en prenait à Djibo Ka, ils étaient tous deux ministres du gouvernement de Diouf, avec le portefeuille des Affaires étrangères pour le premier et celui de la Communication pour le second.
S’agissant de la séance plénière de l’Assemblée nationale présidée par Maître Lamine Guèye pour l’examen du projet de loi portant Code de la famille, promu par le Gouvernement de Senghor, j’en ai été témoin oculaire et auriculaire.
En effet, en ma qualité de Grand reporter, j’ai d’un bout à l’autre couvert les débats pour la Radio diffusion nationale, alors seule réalité de nos ondes. J’affirme que ce jour-là, la rapière est restée dans son fourreau et qu’aucune injure n’a été proférée par un élu contre un autre. Le seul propos «irrévérencieux» a été celui d’un député à l’endroit d’un collègue plus âgé non favorable au projet : «Mon cher collègue, vous êtes célibataire. Le Code de la Famille ne devrait pas vous intéresser outre mesure».
Cette sortie n’a pas été partagée par la majorité des membres de l’institution pourtant monocolore avec la seule Ups.
En ce qui concerne l’actuelle législature, les Sénégalais pensaient avoir élu des législateurs, mais ils ont découvert parmi eux des gladiateurs.
Mesdames, Messieurs les députés, rappelez-vous ce que l’on répète souvent à nos mômes à la culture de cour de récréation : «jeu de mains, jeu de vilains».
Artifice de pulsions sadiques, le pugilat n’est qu’un avatar du règne animal. L’homme a quitté le royaume de la bête dès qu’il a senti que la Loi avait remplacé ses muscles et son coutelas. Pourquoi donc certains continuent de se conduire en «citoyens» de la jungle ? Les moulinets d’insolence comme les biceps, n’ont pas leur place dans le débat démocratique. Il faut mettre fin à la violence de la rhétorique politique et aux anathèmes. Certains comportements de politiciens dans l’espace public sont inadmissibles.
Dans ce cadre, face aux dérives constatées chez des parlementaires, il convient de réformer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale dans le sens de la sanction ferme contre l’indiscipline caractérisée. Le texte devrait aussi lever toute équivoque pouvant conduire à la confusion, à l’impasse, au vide juridique, à la provocation ou à la possibilité d’un autoritarisme personnel à divers niveaux de la direction de l’Institution. Nous pensons également qu’une commission d’éthique avec de réels pouvoirs devrait exister au sein du Parlement.
D’autres réformes s’imposent qui devraient permettre à l’élu de se consacrer à sa mission loin des pressions, quelle qu’en soit la nature. L’heure de s’adapter aux grandes mutations a sonné. La marche du temps se poursuivant inexorablement, les canards boiteux sont laissés en rade que des béquilles ne pourraient entraîner.
En effet, «quand l’homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue qui ne ressemble pas à une jambe» 1.
Sur nos jambes, soyons debout pour cheminer avec la caravane de l’histoire.