RATER LE PROCHAIN TRAIN ÉLECTORAL PEUT COÛTER TROP CHER
Le risque est de faire un mauvais précédent. Qu’adviendrait-il si on en arrivait à une situation de devoir reporter la tenue des élections législatives ou même d’une élection présidentielle ?
Les élections locales au Sénégal devaient se tenir initialement en juin 2019. Elles avaient été reportées de six mois, pour devoir être organisées au plus tard en décembre 2019 et reportées une deuxième fois pour la date du 28 mars 2021, parce que le constat était fait de l’impossibilité organisationnelle de respecter les échéances. Le gouvernement vient à nouveau de proposer leur tenue pour au plus tard en mars 2022.
Entre manœuvres, surenchères et faits accomplis
Au lendemain de la présidentielle de février 2019, de nombreuses questions ou obstacles s’étaient posés, car il fallait, dans le cadre de l’évaluation du processus électoral, procéder à des réformes du Code électoral en fixant les modalités de candidature et de participation aux élections locales. En effet, fallait-il maintenir ou réaménager, en vue des élections locales, le système de parrainage citoyen des candidatures qui s’était révélé comme un filtre trop étanche durant l’élection présidentielle ? L’opposition politique, comme les organisations citoyennes, n’entendait pas aller à des élections locales avec un système de parrainage quelconque.
D’ailleurs, le gouvernement semblait réaliser qu’un tel système constituerait une grave entrave à la pluralité des listes et surtout à une participation citoyenne à la gestion des conseils locaux. La réforme semblait s’imposer de fait, encore qu’il faudrait s’accorder sur les modalités. Dans le même temps, l’opposition doutait du fichier électoral et exigeait son audit et l’évaluation transparente du processus électoral que des partis considéraient comme étant une machine pour fraudes. C’est ainsi que des partenaires du Sénégal, avec l’Union européenne en tête de file, s’étaient proposés de financer les opérations d’audit du fichier électoral.
En outre, dans l’objectif entre autres, d’accorder les violons de la classe politique quant au processus électoral, le président Macky Sall mit en place, le 28 mai 2019, une commission du Dialogue national. Un délai de trois mois avait été imparti à cette commission, présidée par Famara Ibrahima Sagna, pour déposer ses conclusions. La première conséquence aura été de suspendre le calendrier électoral.
Le gouvernement prit alors la mesure de reporter les élections locales pour un délai de six mois. On sait comment les travaux des différentes commissions du Dialogue national ont traîné en longueur, nécessitant le rallongement du délai imparti à l’équipe de Famara Ibrahima Sagna. A l’expiration du délai du report des élections locales, le gouvernement a été obligé de recourir au vote, le 19 novembre 2019, d’une loi pour fixer à nouveau leur date à mars 2021 et les mandats des conseils municipaux se trouvèrent prolongés. On pouvait penser que cette fois serait la bonne d’autant que le Sénégal n’avait pas habitué son monde à ne pas respecter le calendrier des rendez-vous électoraux. Cela faisait quelque part désordre pour ne pas dire une certaine forme de recul démocratique. Des organisations politiques et citoyennes piaffaient d’impatience de pouvoir s’octroyer des sièges dans les conseils locaux et force est de dire que le gouvernement n’avait pas toujours la réponse aisée devant les accusations de manipulations du calendrier électoral.
Pourtant, tout portait à croire que la coalition politique au pouvoir ne devrait pas avoir trop de difficultés à remporter la majorité des Conseils locaux. La conduite des travaux du Dialogue national était délicate. Les positions divergentes et tranchées des protagonistes n’aidaient pas à aboutir à des conclusions définitives. Il y a eu de la surenchère, de part et d’autre, et l’idée agitée par des plénipotentiaires représentant le camp du président Sall de nommer par décret les maires ou administrateurs de certaines grandes communes comme Dakar se révéla être un grand facteur de blocage. Les protagonistes du Dialogue national tiraient à hue et à dia. Les restrictions dans la vie publique, qui seront imposées par la situation d’urgence sanitaire provoquée par la pandémie du Covid-19, rendront aléatoire, pour ne pas dire impossible, toute poursuite des travaux du Dialogue national.
La sous-commission du Dialogue politique, dirigée par l’ancien ministre de l’Intérieur, le Général Mamadou Niang, qui avait le plus focalisé les intérêts des acteurs politiques, aura à accuser le plus de retard. A l’occasion d’un bilan d’étape le 9 septembre 2020, clôturant la première phase de ses travaux, la commission du Général Niang rendra compte du fruit de ses pourparlers. Ainsi, 23 points de discussions ont pu faire l’objet de consensus, dont notamment la question nodale de l’élection du maire et du président de Conseil départemental au suffrage universel direct. Ce candidat devrait être la tête de liste majoritaire. Le consensus avait permis de fixer l’harmonisation du pourcentage de la répartition des sièges des élections départementales, du principe de financement des partis politiques…
Cependant, il y a eu deux points de désaccord, dont la question du cumul de la fonction du chef de l’Etat et chef de parti, et le statut du chef de l’opposition. Aussi, cinq autres questions restaient en suspens. Fallait-il alors mettre en œuvre immédiatement les points d’accord ou fallait-il attendre de terminer tout le processus de discussion ? Les avis ont divergé et résultat des courses (?), les modifications ou réformes juridiques nécessaires à la tenue des élections n’ont encore pu être réalisées.
En dépit de l’aggravation de la situation sanitaire, la commission du Général Niang reprit les travaux en août 2020. Le président de la commission finira par malheureusement être emporté par la pandémie du Covid-19, le 28 décembre 2020. Le président de la République nomma, le 29 janvier 2021, le Professeur de Droit public, Babacar Kanté, à la tête de la Commission politique du Dialogue national, en remplacement du Général Mamadou Niang. Le Pr Kanté a aussitôt fait redémarrer les travaux. Mais on constate naturellement que l’échéance d’organiser les élections locales qui devaient se tenir hier, dimanche 28 mars 2021, n’a pu être respectée, au grand dam des bonnes règles et pratiques républicaines.
Le président Famara Ibrahima Sagna, qui dirige la grande commission du Dialogue national, a fini, lui, par se rendre pratiquement injoignable pour ses collaborateurs. Est-ce une bouderie ? Certains médias le disent. Une situation de fait accompli ? Ou devrait-on considérer qu’à l’impossible nul n’est tenu ? Il n’en demeure pas moins que ce troisième report à mars 2022, des élections locales, constitue indubitablement une tache noire pour la gouvernance du Président Sall. Aussi, continuer de gérer les questions électorales avec désinvolture serait jouer avec des allumettes.
Mauvais précédent
On dira que ce n’est pas la première fois que des élections locales arrivent à être reportées au Sénégal. Ce fut le cas sous les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, mais jamais des élections n’ont été reportées trois fois de suite. Cela pose la question de la légitimité des conseils municipaux. Le renouvellement des mandats échus est une exigence fondamentale dans un système démocratique. Du reste, à la faveur des différents reports, le président Macky Sall a engagé des dynamiques d’alliances politiques qui pourraient notamment conforter son hégémonie politique dans la plupart des collectivités locales du pays. Le ralliement de Idrissa Seck et certains de ses alliés politiques lors de la présidentielle 2019, où il était arrivé deuxième avec plus de 22% des suffrages, devrait conforter la coalition au pouvoir. Au demeurant, le risque est grave de faire un mauvais précédent. Qu’adviendrait-il si par exemple on en arrivait à une situation de devoir reporter la tenue des élections législatives ou même d’une élection présidentielle ? Cela ne saurait être acceptable pour une démocratie comme celle du Sénégal. Le cas échéant, les conséquences pourraient être dramatiques. C’est justement là où il faudrait faire attention, car tout semble révéler que le gouvernement serait en train de manœuvrer encore.
En effet, la proposition de reporter les élections à mars 2022 peut être perçue comme une manœuvre cousue de fil blanc, quand on sait que le mandat des députés arrivera à expiration le 30 juillet 2022. Le gouvernement prendra-t-il le risque d’organiser deux élections nationales en trois mois d’intervalle ? En tout cas, on nous a déjà habitués à la complainte des acteurs gouvernementaux que le pays ne saurait être en campagne électorale permanente, et que le pays passe tout son temps à préparer des élections et à être dans des débats politiques parfois stériles, au lieu de se consacrer aux actions de développement. Autrement dit, la question qui peut déjà être légitime est de se demander ce qu’il adviendrait des élections législatives de 2022. Va-t-on vers un éventuel report pour les coupler avec la présidentielle de 2024 ?
Les enjeux politiques et démocratiques d’un report d’élections législatives sont plus importants que ceux d’élections locales. Encore qu’on a déjà fini de se résigner que les élections locales n’ont pas été tenues à date, la sagesse devrait alors commander de programmer les élections locales en même temps que celles législatives. Pendant qu’on y est, ne faudrait-il pas se mettre au réalisme de faire coïncider les élections locales aux élections législatives de 2022 ? De toute façon, il semble difficile d’envisager que les députés de la présente législature arrivent à accepter de réduire leur mandat pour renouveler l’Assemblée nationale en mars 2022 au lieu de l’échéance calendaire de juillet 2022. Il n’en demeure pas moins que l’opposition ne devrait pas se plaindre de ses propres turpitudes. De par ses exigences de réforme d’un fichier électoral constitué en 2016, mais aussi des désaccords internes à propos du statut du chef de l’opposition, ainsi que la nécessité d’inscrire sur les listes électorales les primo votants, l’organisation des élections à la date échue était devenue quasi-impossible. La Direction générale des Election a indiqué que, techniquement, il faudrait pas moins de 11 mois pour réaliser tous les travaux nécessaires à une nouvelle élection.
Post scriptum - Je supporterai «d’entendre mes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots»
Notre chronique de la semaine dernière intitulée, «Le prix de l’honneur d’un ‘’fils de Casamance’’, nommé Ousmane Sonko», a suscité diverses réactions. Ils ont été fort nombreux, les lecteurs qui ont apprécié la justesse et la vérité des faits allégués et qui ont considéré que la sauvegarde de l’idéal républicain est au prix du courage de poser le débat avec objectivité et sans faux-fuyants sur des principes substantiels de la démocratie et de l’état de droit. Ces lecteurs peuvent être assurés que les exigences démocratiques et la défense des principes et valeurs de la République resteront mon credo. La diversité, l’enthousiasme et la chaleur des soutiens que j’ai reçus m’ont davantage persuadé que la grande majorité de mes compatriotes est dévouée à la même cause. En revanche, ils ont aussi été nombreux, des lecteurs qui ont cherché à surfer sur une certaine vague d’indignation pour tenter d’occulter les vraies questions. En effet, il arrive que certains préfèrent regarder le doigt qui montre la lune ou préfèreraient tuer le messager plutôt que d’entendre le message. Il existe aussi des personnes qui n’aimeraient pas voir l’image de fausseté et d’hypocrisie que leur renvoie un miroir de faits placés devant eux. Comme il existe toujours des personnes qui, pour occulter les vraies questions, cherchent à allumer des contre-feux ou pour certains, n’arrivant à se mesurer à l’un de leurs pairs, ou pour régler on ne sait quels vieux comptes, chercheraient à lancer la meute avec une malhonnêteté déconcertante, au prix de fouler aux pieds les règles et principes les plus élémentaires qui guident leur métier. Ces personnes peuvent être assurées qu’elles souffriront la franchise et la résolution ferme de Madiambal Diagne de rester droit dans ses bottes et de continuer à poser les vraies questions. Je lis souvent ces paroles de Rudyard Kipling qui disent : «Si tu peux supporter d’entendre tes paroles/ Travesties par des gueux pour exciter des sots/ Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles/ Sans mentir toi-même d’un mot/ (…) tu seras un homme mon fils.».