REGARDS CROISÉS
En cherchant à capter les émotions pour les instrumentaliser à leur profit, certains leaders politiques ont cru devoir chausser les bottes, déchirer l’eau et prendre des selfies avec des victimes
Macky Sall est au défi. La conjoncture sociopolitique lui sourit très peu en cette période d’incertitudes et de troubles. Les facteurs aggravants s’accumulent. Si le coronavirus fait toujours des ravages, il se révèle toutefois moins virulent mais impacte encore et toujours de larges secteurs actifs. Les pluies diluviennes tombées la semaine dernière n’arrangent pas une situation déjà compliquée. Il s’y ajoute des inondations d’une toute autre ampleur à Dakar et dans les principales villes de l’intérieur.
Alors qu’un vif débat divise la classe politique à propos de la gestion des eaux envahissantes, deux ministres de la République, et pas des moindres, investissent les médias. Dans un mouvement presque synchronisé, ils rompent le silence pour annoncer au monde l’imminence d’une récession économique découlant de la crise sanitaire. L’un, Abdoulaye Daouda Diallo (Finances et Budget) met en cause la pandémie pour justifier, les contreperformances redoutées. L’autre, Amadou Hott (Economie et Coopération), s’appuie sur la même cause pour évoquer des prévisions en berne.
Ensemble, ils pronostiquent également la chute de la production intérieure, une croissance négative à terme et une baisse drastique des recettes fiscales. Ces sorties millimétrées ont-elles valeur d’avertissement sans frais ? Cela dit, l’étroitesse de l’assiette d’imposition ne s’explique plus dès lors qu’il y a la possibilité de l’élargir, d’accroitre l’efficacité de la collecte et de supprimer progressivement les avantages octroyés à des contribuables potentiels. Somme toute, la pression maximale a un coût. Les mêmes contribuables, sollicités ou ponctionnés inlassablement, finissent par manifester une moue de dédain synonyme de rejet de l’inquisition fiscale.
S’il ne paraît pas dépassé par les évènements, ce dont il faut se féliciter, le gouvernement use (sans en abuser) de subtilités de langage pour reconnaître la survenue de réelles difficultés dans un futur proche. Ils entrevoient une révision des perspectives. Un lien d’amitié et de loyauté unit les deux ministres à leur patron qui a pleinement confiance en eux. Le ministre Hott cherche l’argent quand son collègue du Budget garde la caisse avant de le dépenser judicieusement. Seulement ? Non : et efficacement… !
Les trois Mousquetaires le savent. Car le contexte de rareté se prête souvent au soupçon. Or les Ministres des Finances et de l’Economie, imbus de vertus et attachés à la probité, se soucient de l’avenir, de leur avenir en quelque sorte. Autrement dit, de la postérité, clé majeure pour qui veut entamer une carrière politique d’envergure. Soyons clair à cet égard : aucune intention de deviner leurs propres intentions ne nous anime. En revanche l’attentisme qui ronge le pays a besoin d’être secoué. A chacun d’être acteur de sa citoyenneté prouvée. Il faut même plus que de l’incantation pour assurer la cohésion du pays.
En cherchant à capter les émotions pour les instrumentaliser à leur profit, certains leaders politiques ont cru devoir chausser les bottes, déchirer l’eau et prendre des selfies avec des victimes. Mal leur en a pris. Puisque ces populations, excédées par ses effets de démonstrations sans lendemain, renvoient dos à dos ceux qui veulent des décors de légitimation. Point trop n’en faut ! Il ne s’agit pas de s’identifier à ces pauvres habitants des eaux. Plutôt, guettent-ils des solutions durables, quitte à ce qu’ils s’éloignent de ces marécages qui retrouvent de fait leur vraie vocation avec le retour des pluies. Une culture de l’engagement ? Personne ne serait contre.
En allant au charbon, les Ministres Diallo et Hott agissent dans l’intérêt du pays comme en son temps, à plus de vingt ans d’intervalles, un autre duo s’était rendu célèbre : Sakho & Loum investi alors pour redresser les comptes publics, assainir le système financier et re-crédibiliser la parole d’Etat et sa puissance de négociation face aux bailleurs de fonds aujourd’hui nommés partenaires techniques et financiers (PTF) ! Cela faisait beaucoup mais ils y étaient parvenus à la satisfaction du président Abdou Diouf.
Comparaison n’est pas raison. A peu de choses près, le tableau actuel, sous l’ère Macky Sall, présente de frappantes similitudes : aviser et alerter d’abord, puis réaffirmer le cap fixé dans l’agenda 2035 du PSE, privilégier des approches pédagogiques centrées sur l’exemplarité et se remettre au travail avec l’objectif de retrouver les niveaux de performances d’avant Covid-19. Le pouvoir en place ne doit en aucune manière minimiser les reproches de l’opposition qui dénonce les improvisations et l’inaptitude à changer le cours des choses.
Des efforts et de la sueur ? Sûrement oui ! Puisque la déprime rôde à nos portes. Pas de larmes ni du sang tout de même ! Si nous voulons conjurer cette hantise, alors au travail ! Sur les épaules des ministres susnommés repose l’espoir d’une nation abasourdie par la persistance d’un mal encore très mal connu. Néanmoins, les contours de la relance voulue par Macky Sall se dessinent : provoquer un déclic par un esprit de sursaut insufflé par les circonstances du moment. Dès lors pas de repli sur soi. En plus, le réalisme devra habiter toutes les forces vives dans une volonté d’atténuer les pressions, simplement parce que le contexte ne s’y prête pas.
Ce répit -disons cette pause- est à mettre au crédit du bon sens qui doit gouverner désormais tous les acteurs face justement aux menaces qui se précisent : l’exaspération sociale, l’étendue des inondations, le manque de coordination des secours à une plus grande échelle, et les bruits de bottes à nos frontières. Nos bonnes sociétés cherchent des liens et peinent à les trouver. Pourtant, les occasions ou les prétextes n’ont pas manqué : drames, tragédies catastrophes ont rythmé la marche du pays ces vingt dernières années sans pour autant déboucher sur un élan patriotique qui aurait pu souder la nation. Les Sénégalais « de raison » s’étonnent des rendez-vous manqués pour construire cette unité garante de la force dont doit se prévaloir cette même nation pour assurer sa cohésion. Il y a loin de la coupe aux lèvres...