RÉHABILITER NOTRE INDUSTRIE HUILIÈRE, UNE NÉCESSITE ABSOLUE !
Plutôt que de moderniser nos huileries et transformer nous-mêmes nos graines d’arachide, on choisit la solution de facilité consistant à implorer le monde entier de bien vouloir acheter nos graines - Triste
Pas très glorieux, le spectacle de ce président de la République, le nôtre, en train de supplier ses hôtes de bien vouloir acheter nos graines d’arachide ! Grâce à une excellente politique agricole mise en œuvre par le ministre de l’Agriculture, M. Abdoulaye Seck, combinée à une bonne pluviométrie, le Sénégal a réalisé durant le dernier hivernage une production record de 1.400.000 tonnes d’arachide. Hélas, autant l’amont — c’est-à-dire la préparation de la campagne agricole avec mise en place de semences, d’engrais, de matériels agricoles— a été une réussite, autant la commercialisation, l’aval, donc, a été laissée à l’appréciation du marché. Pour ne pas dire qu’il n’y a pas eu de préparation particulière. Il est vrai que même dans ses espoirs les plus fous, le gouvernement ne s’attendait pas à une récolte aussi abondante !
Du coup, on s’est affolé face à toutes ces graines dont on ne sait pas quoi faire. Plus gros acheteur de la place, la Sonacos n’a prévu d’acquérir que 250.000 tonnes tandis que tous les autres huiliers réunis (Copeol, Complexe agro-industriel de Touba, Novasen etc.) ne peuvent prendre que 100.000 tonnes environ. Si, les autres années, le surplus était raflé par les Chinois, qui achetaient à des prix supérieurs à celui fixé par le gouvernement, il se trouve que cette année, hélas, les Chinois eux-mêmes ont battu des records de production chez eux. Et n’ont donc pas besoin de nos arachides. Le gouvernement a eu beau supprimer la taxe à l’exportation sur cette graine, rien n’y a fait. Les arachides restent entre les mains des paysans et risquent de pourrir. L’inquiétude et la colère montent donc dans le monde rural. A moins d’un an d’une élection présidentielle de tous les dangers et dont l’issue pourrait se jouer dans nos campagnes, les villes étant traditionnellement rebelles, il y a donc urgence à réagir et à prévenir le feu qui menace. D’où les appels désespérés du président de la République à tous les hôtes qui passent afin qu’ils veuillent bien nous rendre le service consistant à acheter notre arachide. Comme un camelot ou un bateleur de foire, le président s’époumone donc à tout-va sur le mode : « Kaay leen Jëndë sunu gerté gi way ngir Yallah ! » Triste.
Un grand bond en… arrière !
C’est triste parce que, plus de 60 ans après nos indépendances, on en est encore à l’antique division internationale du travail qui voulait — et qui veut — que les pays du Sud en général, et d’Afrique en particulier, exportent leurs matières premières pour importer des produits finis. Ce plutôt que de les transformer sur place pour créer de la valeur ajoutée. Cette impuissance du président de la République est d’autant plus triste et pitoyable que, s’agissant en particulier de l’arachide, le Sénégal, plutôt que de progresser, a effectué un grand bond en arrière…et non pas le grand bond en avant que l’ancien maoïste Macky Sall connaissait bien. En effet, le Sénégal avait développé une vraie industrie des huileries. Une industrie performante, compétitive avec des savoirs et une expertise parmi les plus pointus du monde. En réalité, d’ailleurs, l’industrie huilière du Sénégal date de la colonisation. Les huileries Lesieur, Petersen et autres étaient bien connues et leurs produits avaient conquis le monde entier. Au milieu des années 70, ces huileries, alors aux mains des Français, avaient été nationalisées sous le président Senghor tandis qu’Abdou Diouf était Premier ministre. Au cours d’un entretien qu’il m’accorda dans les années 90, l’ancien ministre des Finances, M. Babacar Bâ, m’avait dit que, parmi tous les actes qu’il avait posés à ce poste, il y en avait deux dont il était le plus fier. Il s’agissait des nationalisations réussies des officines de pharmacie — à l’époque, elles étaient toutes tenues par des Français ! — et des huileries. Au cours de ces années-là, il y avait une structure chargée de la commercialisation de l’huile d’arachide à l’international. Les collaborateurs du président Abdou Diouf — parmi lesquels feu Pierre Babacar Kama, Abdoulaye Diop et Assane Masson Diop — ont demandé au patronat (français) des huiliers, que leur soit permis de s’occuper de cette commercialisation à l’international. Etant convaincus que ces prétentieux de Sénégalais allaient se casser la gueule, les Français ont accepté. Eh bien, au terme de la campagne, nos compatriotes s’en étaient tellement bien sortis que les huiliers leur ont proposé de reprendre leurs industries ! C’est dans ces conditions que les huileries ont été rachetées par l’Etat. Lequel, non content de développer l’existant, a monté l’huilerie de la SEIB (Société électronique et industrielle du Baol), qui représentait à l’époque la technologie la plus moderne que l’on puisse trouver au monde. Avec des capitaines d’industrie comme Abdoulaye Diop, Yaya Kane et même Fallou Dièye, l’actuel conseiller en agriculture du Premier ministre, l’industrie huilière sénégalaise connut un développement sans précédent. C’est bien simple d’ailleurs : elle fut à ce point performante que, pendant des années, elle occupa la première place au classement annuel des industries sénégalaises qu’effectuait chaque année la revue « Africa International » de Joël Decupper. Mieux, il y a même eu des années où c’est la Sonacos qui renflouait le Trésor public ! En ces temps bénis, il arrivait à ce fleuron national de triturer jusqu’à un million de tonnes d’arachide par année sur une production dont le pic atteignit… 1.400.000 tonnes ! Tiens, comme celle de cette année… La Sonacos était à ce point riche qu’elle investissait à tout-va, prenant des participations dans toutes sortes de sociétés. On en est loin…
Reconstituer notre industrie huilière
Pour dire que le Sénégal avait dépassé le stade où un pays du Tiers monde exporte de la matière première pour importer des produits finis. Or, voilà que, plus de 40 ans plus tard, le Sénégal, au lieu d’avancer, recule grave ! Plutôt que de produire et d’exporter de l’huile d’arachide, il vend ses graines au tout-venant et importe à tour de bras toutes sortes d’huiles végétales aux qualités douteuses. Notre pays est envahi d’huiles de soja, d’olive et, surtout, de palme ! Il produit certes des quantités infinitésimales d’huile d’arachide — la qualité supérieure — qui sont exportées soi-disant pour gagner des devises. Et plutôt que de moderniser nos huileries et transformer nous-mêmes nos graines d’arachide, on choisit la solution de facilité consistant à implorer le monde entier de bien vouloir acheter nos graines. On nous dira que nos huileries sont vieilles, les réhabiliter coûterait les yeux de la tête etc. Certes, mais l’arachide est notre premier produit agricole d’exportation, c’est lui qui fait vivre les 3/4 de nos paysans. A la lumière du succès des ventes d’actions effectuées dans notre pays ces dernières années, et à défaut de trouver un très bon repreneur, il devrait bien être possible de lever, par le biais de l’actionnariat populaire, de quoi reconstituer notre industrie huilière. Car les Chinois à qui nous voulons vendre nos graines ont bien la leur, non ?
Il suffit d’être entreprenant, d’oser, de travailler plutôt que d’être adepte de la facilité, de la main tendue, du « sarakh ngir Yallah ». Macky Sall, président né après l’indépendance, ne devrait pas faire moins en ce domaine de l’industrialisation de notre pays que le président Senghor qui construisit la Société africaine de raffinage (SAR), là aussi une véritable industrie avec de brillants ingénieurs et techniciens et des savoirs éprouvés. Sur ce plan, heureusement qu’il s’est opposé à la fermeture de ce fleuron national que voulait la multinationale française Total. Il ne devrait pas non plus faire moins que le président Abdou Diouf qui, entre autres, construisit de toutes pièces les Industries Chimiques du Sénégal (ICS), l’une de nos plus grosse entreprises même si elles sont passées entre les mains des Indiens, hélas.
A sa décharge, à son crédit devrais-je dire, il a renationalisé la Sonacos qu’avait fini de couler le négociant franco-sénégalo-libanais Abbass Jaber et c’est sous son régime que les ICS, à l’article de la faillite il y a une dizaine d’années, ont renoué avec les bénéfices. Il ne lui reste plus qu’à réussir le miracle de faire renaître notre industrie huilière…