RÉSISTER AUX MONARCHIES LOCALES
S’il est vrai que le conseil municipal est habilité à prendre des décisions dans tous les domaines de compétences transférées, il est tout aussi indéniable que «sont nulles les délibérations prises en violation d'une loi en vigueur»
La longue liste des victimes collatérales de l’Acte 3 de la décentralisation continue de s’allonger. Après le licenciement du médecin-chef de Grand-Dakar, le limogeage du médecin-chef de Hann-Bel Air, le médecin-chef du centre de santé de Ouakam vient de rendre le tablier, poussé dans ses derniers retranchements par les autorités locales.
On peut d’ores et déjà noter, face à l’ostracisme dont ils sont victimes, un début de fuite de cerveaux (spécialistes de haut niveau) vers le secteur privé, ce qui ne fera que réduire l’accessibilité du Sénégalais moyen aux soins spécialisés et handicaper la mise en œuvre de la couverture maladie universelle.
Division autour du Comité de santé
Le dénominateur commun de toutes ces forfaitures perpétrées contre d’honnêtes médecins sénégalais se trouve être la gestion du comité de santé, dont les recettes sont l’objet de toutes les convoitises.
Si au médecin de Grand-Dakar, il était reproché de refuser de licencier des agents du comité de santé, il s’était agi pour le cardiologue syndicaliste de Hann-Bel Air d’accusations de fautes pour une gestion, qui en fait relevait plutôt du bureau du comité de santé. Comble d’arbitraire, le renouvellement du bureau du comité de santé du centre de santé de Ouakam, tenu au mois de septembre dernier, a consacré l’élection de deux proches collaborateurs du premier magistrat de la commune en cause aux postes de Présidente (adjointe au maire) et trésorier (directeur de cabinet du maire).
L’adage ne dit-il pas qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même !
De fait, cette assemblée générale a consacré la mainmise totale des autorités municipales sur le comité de santé censé être un organe de participation communautaire, autonome aussi bien vis-à-vis des autorités de tutelle (administratives et sanitaires) que des élus locaux.
C’est pourquoi, il est difficile de comprendre les tergiversations de certaines personnalités, qui tentent de noyer le poisson en déclarant qu’aucune disposition du décret 92-118 du 17 janvier 1992 n’empêche une adjointe au maire membre du bureau municipal ou un membre du cabinet du maire de siéger dans le bureau du comité de santé.
Confiscation de prérogatives
Cette confiscation de prérogatives de la communauté par les élus locaux est en contradiction flagrante avec un des fondements de l’Acte 3 qui promeut la participation citoyenne, en l’élevant au rang de principe au côté de celui de la libre administration.
À titre d’illustration, l’article 83 du code des collectivités locales stipule que des citoyens ou des représentants d’associations d’un quartier ou d’un village peuvent se constituer en un conseil consultatif, qui peut faire des propositions sur tout dossier intéressant le quartier ou le village.
C’est dans cette optique que s’inscrivait la création des comités de santé, vers la fin des années 70. En plus d’assurer une participation effective des populations à l’effort de santé, elle s’inscrivait dans le cadre de la politique globale de développement instituée par la loi n° 72-02 du 1er février 1972 portant réforme de l’administration territoriale et locale.
Dans le domaine de la santé, la participation communautaire s’était traduite par l’adoption par le gouvernement du Sénégal, de la stratégie des soins de santé primaires préconisée par l’Organisation mondiale de santé (OMS) et initiée en 1978 à Alma-Ata. Cette stratégie des soins de santé primaires, plus actuelle que jamais, vise avant tout à responsabiliser les individus et les communautés en leur octroyant le droit de participer à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui leur sont destinés. Elle repose sur des principes tels que l’équité pour une meilleure accessibilité des services de santé aux indigents et la prise en compte des déterminants sociaux de la santé (revenus, alimentation, habitat, hygiène et assainissement…), d’où la nécessité d’une approche multisectorielle, en mettant davantage l’accent sur les programmes préventifs.
Les recettes de toutes les convoitises
Depuis le début du transfert de la compétence Santé et Action sociale aux collectivités locales en 1996, les rivalités entre autorités municipales et bureaux de comités de santé ont considérablement gêné la matérialisation du transfert de la compétence Santé, empêchant la mise en place en place effective des comités de gestion. Rechignant à mettre les budgets transférés à la disposition des districts sanitaires et des établissements publics de santé, les élus locaux ont toujours nourri des ambitions de contrôle des bureaux des comités de santé et des recettes issues de la participation financière des populations à l’effort de santé.
Au milieu des années 2000, le maire de la ville de Dakar avait purement et simplement supprimé les comités de santé de certaines structures municipales de Dakar, par la publication d’un règlement intérieur en porte-à-faux avec le décret présidentiel 92-118 ayant trait aux comités de santé. C’est ainsi que certaines structures sanitaires, surtout celles créées après 1996, ont pu être dirigées par des médecins-directeurs à la tête de comités de gestion d’organisation et d’administration (COGOA), dont les populations étaient exclues. Ces comités ont été déclarés illégaux, dès après la défaite du PDS à Dakar, lors des locales de 2009.
Encadrer les pouvoirs locaux
Selon l’article 12 du décret n° 96-1132 du 27 décembre 1996 portant application de la loi de transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales en matière d'aménagement du territoire, la commune assure la gestion des centres et postes de santé urbains. À ce titre, le maire préside un comité de gestion comprenant un représentant de la commune, le président et le trésorier du comité de santé et le responsable de la structure de santé. Si ces anciens textes devaient continuer à s’appliquer, cela voudrait dire, en clair, que le médecin-chef du centre de santé de Ouakam, lors des réunions du comité de gestion, sera "bien entouré" par le maire, son adjointe et son directeur de cabinet.
Il y a visiblement un conflit d’intérêts patent entre des élus locaux tenus de matérialiser les délibérations du Conseil municipal et des membres du bureau de comités de santé soumis à la réglementation régissant les associations (articles 813 à 822 du code des obligations civiles et commerciales), disposant de ses propres organes que sont l’Assemblée Générale et le bureau.
Même s’il est vrai que le conseil municipal est habilité à prendre des décisions dans tous les domaines de compétences transférées aux communes par la loi, il est tout aussi indéniable que selon l’article 90 du code des collectivités locales, «sont nulles de plein droit les délibérations prises en violation d'une loi ou de la réglementation en vigueur».
Les autorités administratives doivent pleinement jouer le rôle de contrôle et de régulation vis-à-vis de pouvoirs locaux qui donnent parfois l’impression d’être moins encadrés que le pouvoir exécutif central. C’est le lieu d’espérer que le gouvernement sénégalais- particulièrement le ministre de la Santé et de l’Action sociale ainsi que son collègue en charge de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales- qui a brillé par sa passivité devant les mesures arbitraires dont certains médecins ont été victimes, usera de son influence pour empêcher le sabotage programmé de la mise en œuvre des programmes de santé publique et de la stratégie des soins de santé primaires.
Quant aux travailleurs en général et ceux municipaux- professionnels de la Santé ou non-, ils doivent dépasser les corporatismes étroits, faire preuve de solidarité agissante et faire face à ces innombrables «monarchies émergentes», que constituent les nouvelles communes de plein exercice !
Références :
- Décret n° 92-118 MSPAS, fixant les obligations particulières auxquelles sont soumis les Comités de santé et portant statuts-types desdits comités
- DECRET n° 96-1132 du 27 décembre 1996 portant application de la loi de transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales en matière d'aménagement du territoire.
- Loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des Collectivités locales
- Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales
- Ville de Dakar : évaluation de la gestion des finances publiques municipales rapport PEFA sur les performances 30 janvier 2009