REVUE DES PROCESSUS COMMUNICATIONNELS ENGAGÉS DANS LA SENSIBILISATION AU COVID-19
Lorsque les concepts sont mobilisés ou reproduits sans prise de distance, cela induit des approches malencontreusement éloignées de leur finalité
Deux dimensions nous semblent peu mobilisées dans les efforts de sensibilisation et de communication. Il s’agit de l’engagement communautaire et du partenariat local.
Mobilisation des acteurs locaux
Par engagement communautaire, il faut entendre la mobilisation et l’implication des organisations à la base. En particulier, les organisations de jeunesse, les ASC, les volontaires formalisés et les (potentiels) bénévoles résidant dans les communautés. Nous parlons de bénévoles potentiels car nous nous interrogeons à propos des milliers d’étudiant(e)s qui ont été encouragé(e)s à retourner auprès des leurs sans questionnement, sans perspective autre que d’attendre la prochaine décision. N’avons-nous pas besoin de leurs contributions multiformes pour accompagner et rendre accessible les messages envisagés par les experts et les décideurs ? Certains étudiants et étudiantes sont dans les laboratoires pour expérimenter des outils et autres équipements aux fins de participer à la dimension sanitaire ou sociale de la pandémie. Mais un grand nombre attend, lit et échange des messages audio et/ou vidéo, le commentaire fusant et entrant en compétition avec les autres diffuseurs d’informations rarement vérifiées. Le ministère de la santé est aussi le département de l’action sociale. Pourquoi ne pas créer les conditions de mobilisation de ces milliers de jeunes, là où ils sont, pour contribuer aussi aux efforts à réaliser au niveau local et communautaire ? Quitte à mettre en place un dispositif de reconnaissance et de valorisation au niveau institutionnel et pour leur CV et parcours de formation et de développement personnel.
Concernant le partenariat local, il ne s’agit pas simplement de répondre à l’appel des autorités déconcentrées. La formalisation des processus a l’avantage de limiter le caractère spontané, informel et non suivi des manifestations d’intérêt, certains pouvant être simplement à finalité médiatique. En établissant un partenariat local dans le contexte du Covid-19, plusieurs catégories d’acteurs peuvent ainsi être activés, avec un suivi des interactions et des responsabilités.
- Les autorités déconcentrés jouent pleinement un rôle de coordination et de prise de décision. Surtout qu’elles ont une délégation de pouvoir encore plus marquée depuis la Loi d’habilitation n° 2020-13. Qu’à cela ne tienne, les autorités locales connaissent autant leurs terroirs que les autorités déconcentrées, bien que leurs sources respectives d’informations et de données soient distinctes. Au-delà des questions liées à la distribution de vivre, impliquer davantage les élus locaux serait tout à fait cohérent par rapport à la continuité de la vie démocratique qui ne doit aucunement être en arrêt. Au travers de la conjugaison entre déconcentration et décentralisation, il s’agit principalement d’activer les Services techniques décentralisées (STD), les forces de défense et de sécurité, de même que les professionnels du Secours (Sapeurs-pompiers, SAMU, privé) et de l’Assistance (Croix-Rouge, etc.). Au-delà de la coordination, le principal défi consiste dans le suivi et la rapidité de réaction face aux situations observées quotidiennement. Il est clair que nous assistons à un retour fort de l’État, cependant le contexte est davantage indiqué pour une gouvernance participative et responsable. L’implication et la qualité des engagements respectifs ne seront produiront de réels effets qu’à cette condition. Si l’on s’accorde sur le fait qu’il y a nuance entre résultat (aides effectivement distribuées !) et effets (problèmes effectivement pris en charge !) ; l’impact étant à différer.
- Les ONG humanitaires et/ou de développement ont, pour la plupart, suspendu leurs actions. Pourquoi ne pas les inviter à mettre l’accent sur les volets communications et mobilisations sociales qui sont déjà inscrits dans leurs projets aux fins de sensibiliser et de contribuer aux actions de veille et d’alerte qui peuvent et doivent également être menées dans les zones les plus éloignées. Si le personnel technique n’est plus présent, leurs référents locaux sont toujours en capacité active. Par ailleurs, il s’agit de partir du postulat selon lequel les populations se connaissent entre elles et, sur cette base, le contrôle social peut avoir plus de puissance coercitive qu’une loi ou un règlement. A côté des dynamiques de développement déjà en place, l’implication des chefs de quartiers et de villages et des guides religieux, l’implication des organisations de femmes, des organisations de jeunes peut favoriser une démultiplication de la surveillance, tant au niveau des frontières extérieures que par rapport aux mouvements « clandestins » internes.
Communication institutionnelle ou communication sociale
Cette implication des acteurs locaux amène par ailleurs à penser la communication sociale sous un angle qui la distingue mieux de la communication institutionnelle.
Concrètement, il s’agirait d’adapter la communication à la cible et, dans cette optique, mettre en œuvre une communication par les paires, entre autres approches. Pour illustration : le boutiquier parle aux boutiquiers à propos des dispositions et attitudes à adopter dans l’organisation-aménagement des espaces d’entrée et de sortie des clients, l’achalandage, l’évitement des contacts directs lors des échanges, les obligations de mesures-barrières de la part du client, les obligations de mesures-barrières de la part du boutiquer lui-même, entre autres. Le charretier s’adresse aux charretiers par rapport à la protection de soi et la responsabilité de non diffusion du virus. La femme parle aux femmes par rapport au regroupement de personnes (évènements, courses à effectuer, etc.). Le chef de ménage lambda s’adresse aux chefs de ménages par rapport à l’organisation et l’occupation de l’espace familial sans dénuer le sens de la vie sociale et domestique. Entre autres types d’illustrations.
Les formes comiques (sketches), les chansons, etc., jouent un rôle salutaire, certes. Toutefois, au risque de saturation pourrait s’ajouter un risque de banalisation du message parce que diluer par la fixation sur le « messager » bien connu dans un autre contexte mais peu crédible (voire soupçonné d’intéressement) dans le contexte du Covid-19.
L’exceptionnalité sénégalaise qui était jusqu’ici questionnée ou chantée relève, entre autres, de la réactivité des autorités politiques et sanitaires, avec singulièrement la limitation très vite opérée des entrées frontalières, ainsi que la mise en avant d’un discours d’alerte (mais qui devait et doit se limiter dans le temps pour ne pas générer des effets pervers par un caractère redondant et cérémoniel à tendance insipide). Mais, dès l’instant où le virus circule au sein des communautés, sa propagation ne peut être réalisée (ou éviter) que par les phénomènes de masse, en termes de regroupement des individus. Les marchés, les points de distribution (« Auchan », etc.) et d’achat (exemple du pain), les arrêts de bus en fin de journée, constituent aujourd’hui les principales niches de transmission du virus à une échelle exponentielle. S’il s’avère difficile de mettre en place des mesures de confinement, il reste tout de même dans l’ordre du possible de circonscrire les risques de regroupement dans les niches précitées. En mobilisant les énergies et en prêtant attention aux innovations suggérées par diverses catégories de Sénégalais, l’intelligence collective peut parvenir à adapter les dispositifs aux objectifs visés et partagés avec le public, à condition qu’il y ait un minimum de coercition. Cette coercition dont une des formes ne se manifeste que la nuit (au couvre-feu) doit nécessairement s’exprimer et être ressentie à tout moment, qu’elle soit visible ou pas. Il n’y a pas de contrôle social lorsque les individus foulent au pied la règle sociale. Cette transgression n’est possible que dans une société où le régulateur est absent. Or, un des constats les plus partagés, ici ou ailleurs, c’est que les citoyens ont besoin de l’État pour faire mieux faire société.
Toutefois, dans cette adresse au public, il y a aussi nécessité de revoir les concepts mobilisés. Comme dans le champ politique, les « éléments de langage » sont utiles autant pour parfaire la communication que pour favoriser l’évitement de certains écueils, surtout chez le non-communicant. Car, lorsque les concepts sont mobilisés (ici, on pourrait dire reproduits) sans prise de distance, cela peut induire des approches malencontreusement éloignées de leur finalité. Cette précaution épistémologique, c’est comme le doute, en matière de foi : il est nécessaire pour visiter sa foi ; plus encore chez le croyant qui désire nourrir sa foi et le pratiquant qui se doit de la traduire en acte. Dans le contexte du Covid-19 et de la communication mise en exergue, la notion de distanciation sociale connaît un emploi non questionné, au regard de nos contextes africains où les rapports sociaux connaissent un niveau d’interactions fondées sur le collectif plutôt que sur l’individuation des perspectives. La tendance observée consiste à évoquer la distanciation sociale pour figurer une distanciation physique. La distanciation physique n’est pas la distanciation sociale. La distanciation sociale intègre la distanciation physique, tout comme elle intègre le confinement. Pour saisir la gradation vers la distanciation sociale, notons que le confinement consiste d’abord dans une forme de retrait physique par rapport à un espace (géographique) déterminé, avec une idée de cloisonnement symbolique ou effectivement matérialisé. Il procède de la distanciation physique choisie ou imposée. Mais, par induction, le confinement va au-delà du retrait physique pour revêtir une forme de renoncement (ou interdiction) à entrer en interaction avec l’ailleurs (pas nécessairement autrui). Pour opérer ce renoncement, l’individu doit en saisir les motifs (pourquoi doit-on se retirer ?) et en partager l’intérêt (pourquoi ce mode et pas un autre ?) et les enjeux (à quoi est-ce qu’on peut s’attendre par la suite ? Quel est le bénéfice partagé au niveau global ?). Ce faisant, l’individu organisera d’autant mieux ce retrait pour continuer à s’accomplir sous une autre forme et, certainement, dans un périmètre (de déploiement) beaucoup moins important et qu’il sera appelé à partager, au risque d’exiger de sa part (suivant son statut dans ce périmètre) de nouvelles sociabilités et, consciemment ou pas, un nouveau mode de gouvernance de soi.
C’est en cela que les dispositifs d’aide, d’assistance et de régulation des rapports à l’environnement familial, social et professionnel – le cas échéant – doivent offrir des réponses urgentes et adaptées, en même temps que des perspectives réalistes qui prennent en considération la crise économique et sociale qui résultera des décisions politiques de l’heure.