SALE AIR DE MALAISES
EXCLUSIF SENEPLUS - Progressivement, on sent bien qu’un feu couve sous la cendre - Le malaise collectif est perceptible, à dose homéopathique - La destruction se substitue à la construction
La confiance et le respect mutuel ! Ce sont les deux valeurs manquantes, pour que la, classe politique et le monde du travail s’installent durablement dans la normalité démocratique et l’équilibre social. Le niveau de la conflictualité a atteint un tel degré dans le landerneau politique et l’espace social qu’ils s’apparentent à un champ clos de vives confrontations dans lequel, tous les coups semblent permis. Malgré une légère décélération du climat social due aux accords signés ou en voie de l’être, avec les organisations syndicales, les revendications sociales n’arrêtent pas de voir jour. Des signes annonciateurs de nouveaux bras de fer pointent en cascade. Quant à la classe politique, l’agenda parlementaire actuel oriente tout droit vers de nouvelles séquences de batailles politiques et de violences policières dont il est difficile de mesurer l’ampleur et l’amplitude des dégâts matériels et moraux.
Sans une volonté réelle de rétablir la confiance et le respect, entre les acteurs, fondements de la démocratie et de l’équilibre social, la perspective d’entrer dans un cycle de graves tensions, n’est pas à exclure. La prévalence de bras de fer semble s’installer dans l’écosystème politico-social. La virulence verbale se substitue à la logique argumentaire, le mépris au respect, la méfiance à la confiance, l’écoute au nihilisme, la tolérance à l’intégrisme, le particularisme au collectif, l’exclusion à l’inclusion, le mensonge à la recherche de la vérité, la destruction à la construction !
Chacune de ces séquences affiche ses tristes rengaines : non-respect des accords sanctionné par un déferlement de grèves aux effets dévastateurs. Aucun secteur ne semble pour l’heure épargné. Le malaise collectif est perceptible, à dose homéopathique. Il ne se manifeste certes, pour l’heure qu’en pointillés. Cependant, il pourrait, si, l’on n’y prend garde, épouser une allure plus canalisée à mesure que s’amoncellent les frustrations protéiformes non ou mal traitées par des réponses adéquates.
Ce sentiment de mal-être s’est jusqu’ici circonscrit en zones urbaines et périurbaines dans le secteur public. Progressivement, dans le secteur informel, les garagistes, artisans, petits commerciaux, ferrailleurs et autres places d’affaires précaires, manifestent leur désarroi après diverses opérations de déguerpissements musclées et mal accompagnées par une communication intelligente et une démarche participative efficace. Les graves dysfonctionnements constatés dans la campagne de commercialisation agricole arachidière insupportent le monde, en dépit de productions record et de conséquente subvention étatique sur toute la filière. Les lourdes créances aux structures de santé risquent d’hypothéquer la réussite de la Couverture Médicale Universelle. Les ménages pauvres et le monde rural restent pourtant les deux principaux bassins électoraux de la majorité. Ils sont aujourd’hui en proie au doute.
Les difficultés rencontrées dans le règlement de la dette intérieure, notamment, les montants faramineux dus aux entreprises des BTP (75 milliards), freinent la redistribution des richesses et la désagrégation de l’impact de la croissance économique de 7,2 % dans les ménages. Comment faire de sorte que l’inclusion sociale, dans une telle situation, ne soit synonyme de slogan creux ? Quid du sentiment largement partagé d’insécurité qui s’empare des esprits face aux rapts et assassinats d’enfants. Ces pratiques honteuses, dignes d’un autre âge déclinent une image dégradée et hideuse de notre société. Depuis la crise de 1989, après la sanglante crise sénégalo-mauritanienne, on s’imaginait que notre pays sortirait plus fort de ce choc post traumatique. Et qu’il allait solidement s’ancrer dans les valeurs humaines, altruistes et solidaires. Que peut-on penser d’une société, qui n’arrive plus à protéger les plus faibles pupilles, albinos, malades mentaux, jeunes filles et autres couches précaires, sinon qu’elle s’enlise dans la spirale dépressive du renoncement à son avenir immédiat et son futur lointain. Ce n’est pas l’indignation compulsive et collective, ni célérité avec laquelle, la police met la main sur les auteurs de ces ignobles crimes sacrificiels, qui feront oublier cette ignominie.
Notre société ne devrait-elle pas s’inventer d’autres valeurs au lieu de rester sur le piédestal d’un Sénégal béni des dieux, exempté providentiellement des pires dérives. Quel est ce Sénégal, qui pour s’informer sur ses péripéties sociales et politiques préfère consulter des oracles, organiser des offrandes, plutôt que d’analyser froidement l’origine et la cause des accidents mortels, de la dégradation des mœurs et de la violence inouïe contre les plus franges les plus faibles ! La seconde participation à la Coupe du Monde nous réserve un autre catalogue de dérives d’irrationalités ? Comme en 2002 ! Alors que notre préparation est déjà bancale ! Quid des Grands de lutte entre VIP qui donnent lieu à des orgies mystico-politiques des plus incroyables. Tout cela, dans une insouciante bonne humeur !
On aura beau dire que ce sombre tableau ainsi dépeint, ne reflète pas l’image idyllique du pays de la Téranga. Que la sortie fracassante du magistrat démissionnaire Ibrahima Hamidou Dème, signe d’un déficit de séparation des pouvoirs, l’inertie parlementaire tant décriée, ne remettent pas encore en cause la stabilité des institutions et notre socle social. Il n’empêche que le doute sur notre capacité à s’incruster dans les valeurs démocratiques et la rationalité sociale et économique est prégnant. La faute à la majorité gouvernementale, très peu portée à vers les ruptures promises ? A notre justice trop inféodée à l’exécutif ? A notre parlement peu enclin à voter des lois de contre pouvoirs, pour atténuer les effets d’un présidentialisme hégémonique et hypertrophié ? A une opposition infertile en programme, nihiliste et boycotteuse ? A une société civile timorée et équilibriste ? A une presse partisane et peu équidistante ? Que dire des forces religieuses « régimistes » et souvent accommodantes, pourtant attendues sur des fonctions plus valorisantes de régulation sociale ? Quel silence coupable sur le bradage du littoral, alors qu’ailleurs, il est un vrai levier économique, social, culturel et environnemental ?
Progressivement, on sent bien qu’un feu couve sous la cendre. La promesse d’une nouvelle séquence de M23, lors du probable vote de la loi sur les parrainages pourrait bien en être le révélateur. Cette disposition est inappropriée et contre-productive. Elle cristallise les frustrations et se présente comme une restriction des libertés politiques, alors qu’on attendait leur élargissement. Elle renforce la crainte que le Président Sall cherche à travers un forcing institutionnel, à écarter des adversaires politiques, alors qu’il vient d’aligner cinq victoires électorales et ne manque pas d’argumentaires pour faire face à ses concurrents dans un an lors de la présidentielle. Elle promeut hélas un ressentiment envers l’opportunité de dialogues nationaux ou sectoriels, sources d’équilibres socioculturels et de promotion économique
Les ingrédients d’une succession de séquences de violences s’installent, car la majorité risque d’avoir en face d’elle, une union sacrée de l’opposition, des non alignés et de la société civile. Un tel isolement est gros de danger pour elle, surtout, s’il se traduit en alliance électorale dès le premier tour. Doit-on oublier que Me Wade avait réussi le tour force de dresser contre lui ses treize concurrents du premier tour de 2012. Et la messe était dite déjà avant le second tour. La seule crainte qu’on doive élire encore des présidents sur la base d’indice de victimisation démontre à suffisance la faiblesse de notre leadership et la fragilité de nos institutions.
Un tel remake reste dans le domaine du possible. L’horizon politique s’assombrit pour la majorité. Le Président Sall peut-il encore continuer de ferme les yeux sur ces signes-avant coureurs. Même si Karim Wade et Khalifa Sall semblent hors course, la montée en flèche dans l’opinion du leader de Rewmi Idrissa Seck, le timide soutien des alliés de Bennoo Bokk minés par des crises byzantines, le relâchement des ténors APR, régulièrement battus dans les débats télévisés, associés aux revendications sociales récurrentes, peuvent bien affecter la lisibilité des arguments du candidat président.
Certes, le gouvernement s’est engagé, on l’espère résolument, dans le déminage du climat social. Après le SAES et le SAMES, des accords en vue avec les syndicats du primaire et du moyen secondaire peuvent contribuer à sauver l’école d’une catastrophique année blanche. Cette opération d’apaisement vaut encore plus dans la classe politique sur le pied de guerre. On peut s’imaginer que sans un déminage de l’espace politique, de gros risque de tensions convulsives planent sur notre pays. Or, il n’y a aucune raison que la bonne disposition d’esprit qui a prévalu au déminage social, ne vienne pas imprégner les acteurs politiques, en dépit de la différence de degré et de nature des enjeux. En acceptant de faire une concession sur le parrainage et la gestion du processus électoral, le Président Sall montrerait des signes de bienveillance dont il serait certainement le premier bénéficiaire. Et comme qui dirait, Monsieur le Président, un geste et un mot de votre part, et la paix sociale en rejaillira !