SÉNÉGAL, UNE ÉMERGENCE IMMERGÉE ?
L’hivernage qui devrait être une période bénie et de réjouissances dans un pays sahélien comme le nôtre, est en phase de devenir une source supplémentaire d’inquiétude et de souffrance pour beaucoup de populations déjà éprouvées par les urgences du quotid
L ’hivernage, qui devrait être une période bénie et de réjouissances pour un pays sahélien comme le nôtre, est en phase de devenir une source supplémentaire d’inquiétude et de souffrance pour beaucoup de populations déjà éprouvées par les urgences de survie auxquelles elles doivent faire face de manière quasi quotidienne. La banlieue dakaroise, qui a connu une « urbanisation anarchique », vit les mêmes péripéties tous les ans, les inondations y sont récidivantes durant la saison des pluies.
L’HIVERNAGE, NOUVELLE SOURCE D’INQUIETUDE
On se rappelle de l’épisode catastrophique de 2012, qui occasionna de lourdes pertes immobilières, matérielles et en vies humaines. Les infrastructures publiques furent lourdement touchées : des écoles, des structures de santé, des réseaux d’approvisionnement d’électricité et d’eau potable. Cela entraina une rupture des services publics durant de nombreux jours. Cette situation désastreuse marqua un tournant dans la politique de gestion durable des risques d’inondations. Le gouvernement adopta le Programme Decennal de Gestion des risques d’Inondations (PDGI) dote d’un budget de plus de 700 milliards de FCFA. Le même parti politique étant au pouvoir depuis le lancement de ce programme, le problème de continuité dans la gestion se pose moins, pourrait-on penser ! Concrètement quel bilan peut-on tirer des réalisations imputables à ce colossal budget en une décennie ? Quelles améliorations ont été apportées à cette situation désastreuse ? Pendant l’hivernage 2020, la banlieue Dakaroise notamment Keur Massar restait toujours immergée. Les pluies diluviennes occasionnèrent de lourdes pertes matérielles et laissèrent un traumatisme psychologique à des familles vulnérables qui se sentent abandonnées à cet enfer qu’elles vivent tous les ans. Une enveloppe de 15 milliards est annoncée par le gouvernement pour solutionner le problème en un an. Au vu de ce qui s’y passe actuellement, force est de constater que la sortie de crise ne sera pas pour cette année, encore une fois.
QUEL BILAN TIRER DE CES DIFFERENTS INVESTISSEMENTS ?
Il y a obligation d’un audit technique et financier sur le dispositif de gestion et de prévention des inondations pour évaluer, l’efficacité et l’efficience de toutes les ressources humaines et financières spécialement mobilisées au cours de cette décennie. Où sont passés les fonds ? Ont-ils été utilisés de manière idoine pour résoudre spécifiquement ce problème crucial ? Peut-on parler de mauvaise gouvernance dans cette allocation de ressources ? Qui en sont les coupables ? Comment éviter l’enlisement et sortir les populations de cette galère ? Est-ce acceptable que dans un pays qui chante l’émergence à tout bout de champ, que des populations du fait du manque d’efficience de politiques d’assainissement et d’aménagement du territoire continuent à être sinistrées tous les ans par une pluviométrie abondante certes, mais loin de résulter d’un état de catastrophe naturelle ? Les effets du changement climatique sont plus ou moins connus depuis des années. L’extrême vulnérabilité de l’Afrique à ces changements climatiques : récurrence des sécheresses, érosion des sols, désertification et pluviométrie irrégulière, montée des eaux, sont des problèmes identifiés et on sait que leur ampleur pourrait s’intensifier d’année en année. Donc les états sont tenus d’ajuster leurs programmes et politiques publiques pour faire preuve de résilience climatique. Les solutions d’urgence ont déjà montré leur limite et l’on doit prendre conscience qu’elles n’apporteront aucune réponse durable dans le long terme. Habitués au colmatage de brèche, nous restons dans l’éternel recommencement. Il est urgent de changer de stratégie et d’éviter les solutions de bout de chaîne.
QUELLES SOLUTIONS PERENNES ?
Cette situation appelle à une réponse globale pour en finir avec cette politique publique de l’assainissement qui reste embryonnaire. Elle gagnerait à être transversale et inclusive pour adresser ces défis : 1- Urbanisation galopante et anarchique 2- Déficit d’investissement dans les infrastructures d’assainissement et d’aménagement du territoire, la planification et la priorisation des chantiers 3- Education et sensibilisation de la population pour l’impliquer davantage dans l’assainissement domestique et aussi dans le respect des infrastructures publiques d’assainissement notamment les canaux. 4- Fermeté à l’égard de tous les promoteurs immobiliers d’intégrer dans leurs programmes des VRD ( voiries et réseaux divers ) performants...
Même si les bassins de rétention des eaux pluviales sont une solution, il faudrait dans leur mise en œuvre proscrire les erreurs enregistrées avec la Zone de captage à Dakar. Cette infrastructure conçue à la base pour le drainage et la rétention des eaux de pluie et adresser le problème des inondations récurrentes à Dakar semble avoir été conçue en silo et non dans une vision holistique : gestion des eaux de pluies usées, salubrité, assainissement pour un meilleur cadre de vie et le bien-être des populations… Cet endroit est un tueur silencieux de toute la population vivant aux alentours car devenu un dépotoir d’immondices. L’infiltration de cette eau souillée dans la nappe phréatique, la prolifération des moustiques, autres bactéries et même des serpents posent un crucial problème sécuritaire et de santé publique. La région dakaroise a beaucoup perdu de sa végétation à cause d’un mauvais choix d’urbanisation qui a sacrifié les espaces verts. On sait pourtant que des arbres et arbustes sont des remparts contre l’humidité des sols car leurs racines absorbent l’eau. La bétonisation sans un réseau d’assainissement performant est aussi problématique car favorisant les inondations. Il est préconisé de minimiser le recours à des surfaces imperméables : asphalte, béton uni et de privilégier du béton drainant et les matériaux poreux par exemple (pavés perméables, copeaux de bois, gravier, nids d’abeille).
L’obstruction des canaux d’évacuation des eaux du fait des incivilités appelle aussi à une prise en charge de ce problème par une sensibilisation et conscientisation des populations. Inciter et encourager les études de sol ou étude géotechnique pour en connaître sa qualité et éviter ou prévenir ainsi les risques naturels qui peuvent affecter la construction : présence d’argile pouvant occasionner un phénomène de retrait-gonflement entraînant des fissures, risque d’inondation, remontée de nappes phréatiques.
Espérons que la ville nouvelle de Diamniadio ne perpétuera pas les mêmes erreurs que Dakar Quelles villes africaines de demain ? A la place des investissements de prestige comme le TER, on gagnerait à investir davantage dans l’assainissement qui reste un enjeu primordial, un prérequis important pour un développement économique concomitant au bien-être des populations au Sénégal. Bien au-delà de ces investissements nécessaires à l’amélioration de ces infrastructures de VRD (Voiries et Réseaux Divers) il convient de mesurer en parallèle les pertes occasionnées par leur défaillance. Le propos ici repose sur le coût d’opportunité. Prenons le temps d’apprécier à ses justes conséquences le désarroi et l’inconfort des populations sinistrées, les pertes économiques, le temps perdu dans les embouteillages, les risques pour la santé des populations et l’impact sur le bien-être des populations. Selon les différentes prévisions, la ville africaine connaîtra un boom démographique les prochaines décennies. Même si je pense que l’Afrique gagnerait à promouvoir un modèle d’urbanisation, basé sur de petites unités urbaines organisées autour de pôles d’attractivité, pour en finir avec les échecs patents de l’urbanisation en Afrique, il est opportun de s’inscrire dans une démarche prospective. La ville africaine de demain, devrait être construite en prenant mieux en compte les préoccupations des habitants en faisant converger différents domaines pour assurer le développement inclusif à long terme des sociétés sur les plans économique, social et environnemental. Ces différents domaines : logements et cadre de vie, eau, assainissement, gestion des déchets, accès à l’énergie, santé, transports, autres infrastructures devront être pensés, conçus et intégrés dans les plans d’urbanisation pour faire des villes africaines des endroits agréables à vivre pour tout l’ensemble de la population.
Cécile Thiakane est actrice du développement durable, experte en ODD 11 (villes et communautés durable)