SÉNÉGAL, UNE GESTION SANITAIRE PROBLÉMATIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - Beaucoup de choses ne sont pas révélées à propos de cette crise. Certains attendent toujours les résultats des tests PCR dont les prélèvements remontent à plus de 15 jours. La question de l’oxygène reste d’actualité

#SilenceDuTemps - C’est à travers un post sur Facebook que l’ancien ministre Babacar Gaye s’interroge sur la fiabilité des chiffres relatifs à la Covid, donnés chaque jour par le ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS). Le responsable politique de Kaffrine évoquait le décès d’un proche des suites de complications liées à la Covid-19, un cas qui n’est pas isolé, mais qui est ‘’représentatif de la situation dramatique que vivent nos compatriotes qui n’ont pas l’opportunité de se faire tester’’. Il évoque aussi des cas positifs dans la maison familiale et qui ne sont pas mentionnés dans le communiqué du ministère de la Santé.
Dans le cadre de la gestion de la Covid-19 au Sénégal, tout le monde s’accorde au moins sur une chose : les statistiques journalières publiées dans les médias ne reflètent pas la réalité. Un fait confirmé par le nouveau directeur du Centre des Opérations d'Urgence sanitaire (COUS) sur Sud FM lors de l’émission Objection du 15 août 2021. Le Dr Alioune Badara Ly avait reconnu que le nombre de décès quotidiens déclarés était sous-estimé et que des décès au niveau communautaire échappaient à la comptabilité macabre qui ne concernait que les statistiques des Centres de traitement épidémique (CTE).
Depuis quelques semaines, il est constaté une baisse des cas positifs. Quelle est l’explication ? Des scientifiques vous diront que c’est dans l’ordre normal des choses lors d’une pandémie. C’est l’évolution classique des infections virales : une phase ascendante, un moment de pic, une phase de stabilisation et après une phase descendante.
Quant aux décès, ils restent toujours aigus même si on observe une légère baisse : une moyenne de 10 chaque jour. Un taux très élevé si on se réfère toujours aux chiffres journaliers publiés, et qui sont loin des moins de 2% admis dans le cadre de la Covid-19.
Du côté du MSAS, il est annoncé une évaluation des « déterminants globaux de ce que nous sommes en train de vivre en termes du recul de la vague ». Les autorités sanitaires ont aussi évoqué une plus grande mobilisation des populations pour faire reculer le virus et une plus grande adhésion en faveur de la vaccination. On peut se demander pourquoi elles s’arrogent la paternité de ce prétendu recul de propagation d’un virus qui échappe au monde entier et qui n’a pas encore livré tous ses secrets ?
À ce jour, et partout, trois stratégies permettent de limiter la propagation du virus : la vaccination, le maintien des gestes barrière et la surveillance.
À propos de la vaccination, il faut saluer la clairvoyance de guides religieux, khalifes généraux, appelant les Sénégalais à se faire vacciner. Il est en effet prouvé que le vaccin empêche le développement des cas graves, mais le risque de contracter le virus demeure. C’est pourquoi les mesures barrière consistant à éviter les rassemblements, le port systématique de masques et le lavage fréquent des mains à l’eau et au savon entre autres doivent être maintenues, surtout face à un virus mutant. Même si 1 million 167 mille 364 personnes ont été vaccinées sur l’étendue du territoire national à la date du 31 août 2021, cela ne peut en aucune manière avoir des effets sur la baisse des cas pour le moment. D’après les scientifiques, il faut une couverture d’au moins 60% pour espérer une immunité collective et donc le recul qui en serait lié, alors que nous sommes à moins de 2% de la population générale si l’on considère les personnes qui ont pris une seule dose, avec une campagne peu active et des ruptures et tensions fréquentes sur les vaccins. Quand dans certains pays le rappel par une troisième dose ARNm semble justifié même s’il n’existe pas encore de données. Le Sénégal se prépare-t-il à cette éventualité ?
Le respect des gestes barrière, notamment le port de masque n’est pas respecté. Pour preuve, 48 heures après la publication d’un communiqué du ministère de l’Intérieur rappelant que l'arrêté nº 17602 du 29 avril 2021 prescrivant le port obligatoire de masque de protection dans les lieux publics et privés est prorogé pour une durée de trois (3) mois à compter du 30 juillet 2021 sur l'ensemble du territoire national, et demandant une application stricte des mesures édictées dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus, 1 173 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint lesdits ordres. Les rassemblements de tout genre sans applications des mesures édictées continuent. Il en est de même en ce qui concerne le domaine du transport. L’hésitation vaccinale, le déni de la maladie et le fatalisme sont toujours constatés.
Notons que le climat estival joue un rôle non négligeable dans le ralentissement de la circulation du virus (avis du Conseil scientifique sénégalais du 6 juillet 2021).
Pourquoi alors crier encore victoire et annoncer que la situation est maîtrisée ? Les populations ne respectent plus les gestes barrière dès qu’une baisse de nombre de cas est annoncée. N’est-ce pas cela qui va introduire le doute chez les plus sceptiques si une 4e vague devait arriver ? Ne doit-on pas communiquer juste en disant la vérité aux populations comme l’avait préconisé le Khalife général des Tidianes ?
L’apparition en Afrique du Sud en mai 2021 d’un nouveau variant C 1.2 qui s'éloigne davantage de la souche originelle et déjà présent dans sept pays, sur les continents européen, africain, asiatique et océanique, est préoccupante et appelle à la précaution et donc à une surveillance accrue, mais surtout à la collecte et la diffusion d’informations de santé en temps voulu à des fins d'évaluation et d'une action de santé publique. Sur le plan de la gouvernance, la mise en place d’un comité scientifique suggéré par des experts à la place du CNGE pourrait aider à régler ces manquements. Les membres de ce comité scientifique surveilleraient, mais alerteraient aussi si nécessaire, services et autorités sanitaires, population, médias, partenaires. Ceci est d’une importance capitale puisque les résultats des analyses vont conduire à la prise de mesures correspondantes à la situation.
- Rupture des tests de dépistage : cause de la tendance baissière ? -
À la date du vendredi 20 août 2021, près de 3 000 tests ont été réalisés. Le nombre de tests réalisés varie entre 3 600 et 2 500 depuis quelque temps. Des chiffres isolés : aucune synthèse, quelle est la tendance, d’où viennent les contaminations, sur quelle base parler de tendance baissière ?
Pourquoi le MSAS ne fournit pas des données désagrégées et ne renseigne pas régulièrement et à temps sur le taux d’incidence qui est une base scientifique tangible permettant d’étudier la dynamique de l’épidémie et dire si elle progresse ou recule ?
La faible incidence de la Covid-19 en Afrique s’expliquerait en partie par les capacités insuffisantes de tests qui conduiraient à sous-estimer l’épidémie (Kambole & al., 2020).
Les autorités politiques et sanitaires ont peu explicité les motivations et les indicateurs qui orientaient leurs décisions en matière de stratégie de dépistage. Aucune information permettant de préciser les circonstances qui ont présidé à la décision de la passation d’un test n’est disponible[1].
La disponibilité des tests reste le problème majeur. La Coalition pour la Santé et l’Action Sociale (COSAS) a toujours recommandé ‘’l’augmentation du nombre de tests, par une décentralisation dans les laboratoires régionaux, en s’entourant de toutes les garanties de sécurité pour les techniciens de laboratoires’’.
Pire et coïncidant comme par hasard à « cette tendance baissière », nous apprenons au début du mois d’août qu’il y a une rupture des tests de dépistages rapides (TDR) et PCR dans au moins 7 régions médicales du pays ; fait sur lequel le ministère n’a jamais communiqué.
Beaucoup de choses n’ont pas été révélées dans la gestion de la pandémie au Sénégal. L’utilisation des fonds Force Covid a soulevé des vagues, tout comme le démantèlement prématuré des centres de traitement des épidémies (CTE). Ils sont nombreux les patients qui ont brandi des factures alors que la prise en charge est déclarée gratuite. Ils sont aussi nombreux les Sénégalais qui attendent toujours les résultats de leurs tests PCR dont les prélèvements datent de plusieurs semaines. Le débat sur la disponibilité en qualité et en quantité de l’oxygène est toujours d’actualité. Un reportage d’une chaîne étrangère au début du mois d’août 2021 a montré la rupture quasi-totale de ce produit précieux, indispensable pour la prise en charge des cas graves. Les cliniques qui en possédaient le facturaient à un tarif exorbitant, hors de portée de la grande majorité des patients. Une forte spéculation avait été observée, obligeant l’État à réquisitionner toute la production d’oxygène dans le pays, à prendre en charge l’approvisionnement en oxygène des structures privées qui ont des CTE et à commander 35 générateurs. Deux centrales à oxygène de 40 m3 viennent d’être réceptionnées (19 août) pour les hôpitaux Dalal jamm et Fann.
Au moment où une quatrième vague envahit certains pays, un rebond épidémique est à craindre avec les grands événements religieux qui se profilent ainsi que la rentrée prochaine des classes. Il faut collectivement anticiper en misant entre autres sur une bonne communication, massive, en direction des communautés, élément qui a été et demeure l’un des talons d’Achille de la riposte. Il faut aussi dès maintenant déterminer des protocoles et informer pour guider.
Sur la reprise des points journaliers, les avis divergent, même si le fait d’inviter des experts à parler des liens entre la Covid et leur spécialité peut avoir un impact sur certaines populations. Il faut une lecture scientifique des chiffres, une analyse de leurs limites, des probables biais. Il faut y aller vite, car chaque minute compte avec l’infodémie véhiculée par les réseaux sociaux. L’information doit être complète, c’est-à-dire non lacunaire. Elle doit aussi être fiable, c’est-à-dire non erronée. C’est cela la démarche scientifique et c’est aussi cela la communication.
Mame Lika Sidibé est archiviste diplômée de l’EBAD et journaliste diplômée du Cesti. Elle collabore régulièrement avec SenePlus. Elle est titulaire d’un master II Défense, Paix et Sécurité du Centre des Hautes Études de Défense et de Sécurité (CHEDS).
[1] Véronique Petit, Nelly Robin et Nelly Martin : « Spatialité et temporalité de l’épidémie de la Covid-19 au Sénégal. Le processus de production des données sanitaires au regard des discontinuités territoriales » https://doi.org/10.4000/rfst.1150