ON SERA TOUJOURS BABA…
Baba Touré est mort samedi, à 59 ans, d'avoir trop aimé la vie. Il a été enterré dimanche à Pikine en grande pompe pour avoir eu trop de talent dans les pieds. C'était dans les années 70-80-90, aux “Navétanes”, à l’EJ Fatick, à la Jeanne d’Arc de Dakar ou avec l'équipe nationale de football du Sénégal. Un temps où ‘’les ballons étaient plus lourds’’, une époque où la “Vieille Dame” portait beau...
Le Sénégal ne pleure pas seulement un footballeur, mais un rêve incarné. On se couchait avec lui, le dimanche soir, en mimant sa démarche ‘’obligée’’ de danseur en godasses et on allait à l’école le matin en imitant son légendaire ‘’baisser de short’’…Nos jambes de môme traçaient dans les airs les trajectoires insensées de ses contrôles magiques, de ses passes fantasmagoriques, de ses coups-francs ou corners directs stratosphériques… On se rêvait Baba… Elégant, Epatant, Enivrant.
La vie a ainsi dit Adieu à une étoile fuyante dont le souffle de son génie balle au pied a jadis porté les rêves de grandeur de tout un peuple. Par un regard, un mot, une larme ou une pensée, le “Sénégal du foot”, (jaraafmen) y compris, l’a célébré en icône posthume d’une réconciliation nationale autour de son talent ébouriffant.
Baba Touré n’était pas un JA-man, il était le football. Un iconoclaste envoyé du jeu, messie libre et libertaire, dont chaque geste était religion auprès des ouailles de la Jeanne d’Arc. Une fine fleur qui s’est fanée dans d’autres jardins que celui de Demba Diop, un enfant de la balle qui a brûlé sa virtuosité et sa jeunesse sur des terrains de trop d’excès...
Gaucher légendaire, champion du ‘’trash talking’’, génie des effets spéciaux qui donnaient des trajectoires improbables à ses passes, Baba Touré était doté sur le pré d’une célérité, d’une agilité jambière organique et d’un sens de l’impro tels que son football à lui n’existait dans aucun manuel du jeu.
Une singularité stylistique et quelques mignardises gestuelles qui portaient l’esquisse de l’esthétisme global d’un garçon qui était plus artiste que footballeur. Parce que son toucher était insensé, parce que son jeu était irréel…Parce que l’insaisissable garçon était fait d’un bois à nul autre pareil…
On a grandi baba de Baba…De ce Mozart en culotte courte… ‘’Maradona avant l’heure, Messi avant Messi’’, s’est prosterné en substance l’immense Roger Mendy, son légendaire comparse des belles années bleu-blanc. Plus Maradona que Messi, sans doute. Parce que lui aussi a construit sa légende en ovni révolté, déchaîné de toutes contingences et des convenances systémiques, éveillé de ‘’sa’’ seule logique, éclairé par la sublime brillance de son talent insolent.
Il avait en lui cette ‘’folie’’ de grandeur, cette petite musique qui ne résonne que dans le cerveau du ‘’mec à part’’, cette sorte d’autisme de l’artiste inclassable. Une liberté de ton, de jeu et d’acte qui a sans doute coûté une meilleure carrière à l’ancien chouchou d’Issa Mboup ‘’Gutenberg’’, mais qui lui a concédé un statut hors-normes, une place à lui tout seul dans la conscience collective du football sénégalais.
On a retrouvé ‘’Baba, l’Unique’’, bien des années plus tard après sa retraite de footballeur, le visage cramoisi, les yeux cachés derrière des paupières trop lourdes. Quand lui-même ouvrait un peu trop facilement le parapluie des maraboutages pour se protéger des jugements, des regards et de la violence d’une société qui lui pardonnait à peine d’avoir vidé son trop-plein de génie sur les terrains glauques de ses faiblesses personnelles et de sa fragilité assumée.
Et ils n’étaient pas nombreux, parmi ceux qui versent aujourd’hui de grosses larmes de crocodile sur sa tombe, qui lui ont concédé une seconde chance. Ou qui n’ont pas détourné le regard quand il s’est rapproché, à la quête d’une dernière perche à saisir (1). Mais Baba Touré était un footballeur debout. Il est resté un homme debout.
Dimanche, une foule silencieuse a mis sous terre un footballeur. Mais elle n’a pas enseveli son histoire, ni sa légende. Baba Touré est immortel !