SEUGNE BI AK TOUBAB BI
Que retenir du séjour aux relents de mission commando de Macky dans la ville sainte ? Les khassaides de Serigne Touba qu’il a escamotés ? Les prières qu’il a sollicitées non pas pour le peuple mais pour sa réélection ?
«Un jour, une délégation d’hommes politiques, réclamant l’indépendance du Sénégal, est allée rendre visite à Serigne Fallou Mbacke à Touba. En costume cravate, pantalon patte d’éléphant, ils pleurèrent sur le sort des populations, vilipendèrent les Blancs et sollicitèrent les prières du marabout, alors khalife général des Mourides. Réputé pour son franc-parler qui ne désoblige personne, le deuxième Khalife des Mourides, sourire aux lèvres, leur demanda : Vous voulez que les Blancs partent pour que vous vous soyez nos blancs ? »
Le président Sall n’est pas parti à Touba fagoté tel un bureaucrate. Mais, il part pour ne pas oublier cette présente édition du grand magal de Touba qui pourrait être la dernière à laquelle il a assisté en tant que chef de l’Etat. Que retenir de son séjour, aux relents de mission commando, dans la cité religieuse ? Les khassaides de Serigne Touba qu’il a escamotés ? Le sable de la grande mosquée qu’il a souillé avec ses chaussures ? Le retour d’exil qu’il dit être parti célébrer ? Les prières qu’il a sollicitées non pas pour le peuple mais pour sa réélection ? L’ordre protocolaire qu’il a bafoué en saluant le Khalife des Mourides au nom de son épouse d’abord ensuite au nom du peuple sénégalais ? Son chef de sécurité qui perd un doigt dans une bagarre à la résidence Khadimou Rassoul ? Une longue liste non exhaustive pour quelqu’un qui espérait de Serigne Mountakha un "ndiguel" en faveur de sa réélection. Mais tout cela n’est rien comparé à ce que Macky Sall mijote.
« La liberté ne donne aucunement droit à un individu de s’enfermer dans sa chambre et d’insulter qui il veut. Nous avons la possibilité de lui mettre la main dessus. Nous disposons d’assez de moyens à l’image des pays développés pour l’identifier, l’arrêter et le traduire en justice. On ne peut pas laisser ces dérives perdurer. Ce n’est pas la vocation d’internet. Nous sommes engagés à anéantir la cybercriminalité. Le désordre ne peut pas s’installer au nom d’une prétendue liberté. La liberté des individus ne sera pas menacée. Je ne menace aucune liberté, mais nous ne pouvons pas laisser ces fauteurs de trouble dans le pays sans réagir. Il faut que la liberté se fasse dans le respect de la dignité des citoyens ». En quelques phrases, il dit tout et son contraire. Mais ce qui est en exergue dans son discours, c’est sa volonté manifeste de bâillonner les Sénégalais qu'il informe en même temps, qu’ils sont loin d’avoir les conditions de vie des populations des pays développés.
La surveillance dont Macky Sall fait l’éloge n’a pas débuté avec le magal de cette année. Deux jeunes sont en ce moment en train de croupir en prison pour avoir posté sur Facebook des commentaires. Etudiant à la Faculté des sciences et techniques de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Ousseynou Diop s’est vu passer les menottes quelques heures après la publication de son commentaire. Il a maintenant bouclé 3 ans de prison. Saer Kebe, quant à lui, a été alpagué à Mbour, à quelque 80 km de Dakar, en mai 2015. L’examen du baccalauréat qu’il préparait, c’est en prison qu’il en a entendu les échos de fraudes et de fuites. Pour la surveillance des réseaux sociaux, le contribuable en paie un lourd tribut. C’est de l’existant déjà très solide. Les Sénégalais sont écoutés, épiés quotidiennement à leurs frais. Ce que Macky Sall, qui louait la magie du clic face à la puissance du fric et du flic, cherche à dire sans réellement le prononcer, c’est l’étape supérieure. Une politique plus coercitive de tolérance zéro. A l’image de ce qui se passe en Chine ou en Corée du Nord.
Après avoir réussi à museler presque toute la presse classique, le leader de l’Alliance pour la république (APR) fait face à un organe émergent qui, contrairement à son plan, n’est pas corvéable à volonté. Pour quelqu’un qui cherche à gagner en 2019, la liberté des internautes est plus qu’encombrant, leurs moqueries plus qu’exaspérant. C’est ce Macky Sall traînant comme un boulet une impopularité, qui cherche à légitimer la restriction des libertés en se fondant notamment sur les Mourides.
« Ceux qui cherchent à ternir l’image du mouridisme n’ont qu’à assumer les conséquences de leurs actes parce qu’ils nous retrouveront sur leur chemin ». C’est cette partie de la déclaration du porte-parole du Khalife général que le régime entend exploiter pour mener sa politique. Des écervelés poétisant des insultes destinées aux guides religieux donnent l’occasion inespérée de traquer ceux qui s’en prennent au régime. Car, ceux qui insultent Ousmane Sonko et autres ne sont pas concernés. Combien de Sénégalais ont vu la caricature dont la publication sur WhatsApp a valu à Ouleyme Mane plusieurs mois de prison ? Quand c’est Macky Sall qui est montré dans une position indélicate, les services de l’Etat se débrouillent pour sortir le passage des réseaux sociaux et de la toile. Ce même dynamisme aurait mis les oreilles des Sénégalais loin de ces insanités. Mais, c’est tout le contraire. Il est en train de mettre exergue des scènes de pugilat ou des expéditions punitives pour permettre au pyromane de s’improviser pompier.
En voulant s’adosser à Touba pour mener cette politique, Macky Sall commet deux forfaitures. Lui qui estime que le grand magal commémore le retour en exil du fondateur du mouridisme confirme qu’il ne connait rien à cette confrérie. Une hérésie que Touba ne doit pas permettre au risque d’opérer un glissement remarquable. Départ ou retour, c’est perdre de vue les causes de cet exil. A Samba Laobé Penda Sangoulé N’diaye, roi du Djolof, Ahmad Ibn Muhammad Mbacke, le serviteur de Dieu avait dit : « aussi, je te recommande de toujours persévérer à assister les plus faibles, les pauvres et les nécessiteux, et de ne jamais tomber dans la tyrannie et l’injustice car « tout homme injuste le regrettera un jour » et « tout tyran assurera sa propre perte ».
Seugne Bi Ak Toubab Bi signifie : Le marabout et le blanc (l'homme politique, dans ce contexte)