S’IL FAUT EN ARRIVER À HUER LES JUGES…
Le Procureur général a prêté le flanc en faisant montre d’une certaine légèreté - Il n’était pas obligé de s’aventurer à commenter une décision de justice dont il n’avait pas encore connaissance
C’est peut-être une stratégie d’avocats que de chercher à opposer les magistrats en deux camps : le camp des justes et celui des méchants. Le Premier président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji, s’est fait insulter et huer par un public encouragé par des avocats du prévenu Khalifa Sall.
A l’opposé, le Procureur général, Lansana Diabé, s’est fait applaudir et féliciter par le même public et les mêmes avocats. On peut deviner que le pauvre procureur Diabé a été bien malheureux de cette situation ; il ne saurait chercher ou se féliciter de ce quart d’heure de gloire.
Le Procureur général devrait véritablement être gêné de passer pour un héros qui aurait fait montre de courage et d’indépendance en prenant de la sorte le contrepied de la chancellerie.
Le malaise chez Lansana Diabé serait encore plus cruel que les comptes rendus d’audience faits par certains médias et même les déclarations de satisfaction exprimées par des avocats ou des hommes politiques sonnent bien en porte-à-faux avec les propos et le sens ou la portée du réquisitoire du Procureur général près la Cour d’appel.
On a fait dire à Lansana Diabé ce qu’il n’a jamais dit, à savoir que «l’Etat du Sénégal devait tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao pour libérer d’office Khalifa Sall». Bien au contraire, le réquisitoire de Lansana Diabé s’est attelé à montrer que la portée de l’arrêt de la Cour de la Cedeao n’était nullement de faire libérer Khalifa Sall et que la Cour de justice de la Cedeao s’était bien gardée de faire une quelconque injonction en ce sens. La Cour de la Cedeao l’aurait-elle fait que lui, représentant de l’Etat, se ferait fort de s’exécuter.
Et Lansana Diabé a poursuivi en précisant que la jurisprudence Mamadou Tandja, en vertu de laquelle l’ancien Président du Niger avait été d’office élargi de prison suite à une décision de la même Cour de la Cedeao, était que ladite décision emportait une disposition d’injonction à l’endroit de l’Etat du Niger. Au demeurant, un avocat présent à l’audience fera remarquer que Lansana Diabé a pu plaider, mais n’a même pas fait de réquisition. Il a quelque part fait dans «le clairobscur», comme l’avait d’ailleurs relevé le journal Le Quotidien dans son édition du jeudi 12 juillet 2018. On peut considérer que, vu sous cet angle, il a manqué à son devoir, car le propre du procureur est de requérir. Il est donc à regretter que les médias aient eu à faire des comptes rendus biaisés.
Cela pose la lancinante question de la qualification des chroniqueurs judiciaires qui n’appréhendent pas toujours bien le sens et le contenu des propos tenus devant la barre des juridictions. Cette situation de carence des chroniqueurs judiciaires est, il faut le dire, telle que des autorités judiciaires interpellent souvent les responsables des rédactions de journaux pour trouver des moyens de mieux «former» les journalistes en poste au Palais de justice sur les questions judiciaires.
On constatera que les médias internationaux qui avaient par exemple couvert le même procès ont fait des comptes rendus différents de ceux trouvés dans les journaux nationaux sénégalais. Allez chercher l’erreur ! C’est dire que les journalistes avaient aussi fait l’objet d’influence ou de manipulations. Ils ont sans doute été emportés par l’euphorie d’un public, instrumentalisé ou abusé par des avocats qui applaudissaient les propos du Procureur général. Il faut cependant dire que ce n’est pas une première.
Des avocats font dire n’importe quoi aux journalistes sans pour autant que ces derniers ne retiennent jamais la leçon. Déjà dans l’affaire Karim Wade, plus d’une fois, les mêmes avocats évoquaient des dispositions de décisions judiciaires prises par des juridictions internationales qui s’avéreront être de l’intox. Aussi, dans cette affaire Khalifa Sall, les mêmes avocats s’étaient empressés de se féliciter de l’arrêt de la Cedeao dont ils n’avaient pas encore la teneur et les médias avaient été embarqués dans ces hérésies. On se rendra compte après coup, quand le fameux arrêt de la Cour de justice de la Cedeao a été rendu public, qu’en vérité, les avocats de Khalifa Sall vendaient du vent au public.
LE PROCUREUR GENERAL DOIT SE MORDRE LES DOIGTS
Le Procureur général a prêté le flanc en faisant montre d’une certaine légèreté. En effet, il n’était pas obligé de s’aventurer à commenter une décision de justice dont il n’avait pas encore connaissance. D’autant que son collègue, Président de la Cour, Demba Kandji, lui avait déjà balisé la voie quand il rétorqua aux avocats qu’il ne saurait discuter d’une décision de justice dont la teneur complète n’était pas versée dans le dossier qu’il avait à juger. L’opinion publique a été manipulée et les médias se sont prêtés à ce jeu par ignorance, naïveté ou on ne sait quoi encore. Cette situation doit interpeller les acteurs judiciaires. En chahutant la Cour et en usant de procédés déloyaux, les avocats participent à discréditer les institutions judiciaires. On se demande bien ce qu’ils pourraient gagner dans un tel exercice.
Le Premier président de la Cour d’appel de Dakar a bien eu raison de saisir le Conseil de l’Ordre des avocats. Il y a des comportements inexcusables devant le prétoire du fait d’auxiliaires de justice et n’importe quel justiciable qui se serait rendu coupable de faits similaires aurait été durement puni. Il apparaît facile de vilipender les magistrats, sachant qu’ils ne pourront pas répondre et seront obligés d’encaisser stoïquement les procès d’intention les plus diaboliques.
Les coups portés à la crédibilité des institutions judiciaires sont souvent, et au premier chef, du fait même des acteurs de la justice. Ils donnent ainsi le bâton pour se faire battre. Un avocat n’a pas le droit de chercher à émouvoir l’opinion publique ou à verser dans un jeu politicien, au point de vilipender les magistrats de la sorte. Les règles professionnelles régissant la profession d‘avocat l’interdisent. Il est donc de la responsabilité des autorités en charge de ces questions de prendre leurs responsabilités. Elles font montre d’une frilosité inacceptable pour ne pas faire sanctionner les dérives. Par exemple, on se demande encore comment l’Etat a pu laisser faire qu’un magistrat, Ibrahima Dème, pour ne pas le nommer, puisse adresser une lettre de démission dans laquelle il insulte l’institution judiciaire et tous ses collègues. M. Dème a été sans équivoque.
Selon lui, la Magistrature est couchée et assujettie et il ne pourrait plus supporter une telle situation et donc a décidé de démissionner. En d’autres termes, tous les magistrats qui ne feraient pas comme lui sont «soumis». Une telle missive devait mériter un autre traitement. La forme de la démission est importante. Ce magistrat devait être traduit en Conseil de discipline et radié du corps de la Magistrature et ne devait pas être autorisé à partir de la Magistrature de son propre chef, avec la gloriole d’avoir posé un acte héroïque.
On se demande encore comment l’Union des magistrats sénégalais (Ums) a pu avaler une telle couleuvre sans broncher. D’autres corps de l’Etat ont su réagir opportunément, comme l’Armée nationale, concernant par exemple le cas du capitaine Mamadou Dièye ou même les services des Impôts et domaines concernant Ousmane Sonko. Le laisser-faire, pour ne pas dire le laxisme, a libre cours au sein de la haute Administration publique. C’est sans doute un vœu pieux du Président Macky Sall qui continue d’appeler les hauts fonctionnaires à leurs devoirs et obligations de réserve.
Le juge Dème a montré son amertume de n’avoir pas été suivi par ses collègues magistrats dans ses incartades récurrentes du temps où il représentait ses pairs au Conseil supérieur de la magistrature. Il finira par leur donner raison en montrant qu’il nourrissait un discours et un dessein politiques qui sont justement en porte-à-faux avec le sacerdoce de la Magistrature.
KHALIFA SALL A PERDU LA MERE DES BATAILLES
Nul ne saurait préjuger de la décision de la Cour d’appel de Dakar qui devra rendre son verdict à son audience prochaine du 18 juillet 2018, sur la demande de liberté provisoire introduite par Khalifa Sall. Il n’en demeure pas moins qu’on ne peut pas ne pas souligner que l’arrêt de la Cour de la Cedeao, qui est maintenant à la disposition du public, ne demande pas une mise en liberté de Khalifa Sall. La décision de la Cour de justice constate simplement que les droits de Khalifa Sall avaient été violés durant la période comprise entre le 14 août 2017, jour de l’officialisation de son élection comme député, et le 25 novembre 2017, jour de la levée effective et formelle de son immunité parlementaire.
En conséquence, la Cour a considéré la détention durant cette période comme arbitraire et condamné l’Etat du Sénégal à le réparer en payant à Khalifa Sall et à ses co-inculpés un dédommagement à hauteur de 35 millions de francs Cfa.
On se rappelle que la même juridiction avait posé une jurisprudence similaire dans l’affaire Karim Wade. Elle estimait que sa détention pour la période postérieure à la fin de la durée du premier mandat de dépôt qui était décerné contre lui, à savoir 6 mois, c’est-à-dire la durée de la phase d’instruction judiciaire fixée par la loi instituant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), constituait une détention arbitraire et l’Etat du Sénégal avait été condamné à payer à Karim Wade 50 millions de francs Cfa. L’autre aspect de la décision de la Cour de la Cedeao et qui constitue une victoire pour Khalifa Sall porte sur la violation de la présomption d’innocence.
En effet, la Cour a estimé que la conférence de presse du procureur de la République de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, pour évoquer certains aspects de ce dossier judiciaire, était constitutive d’une violation de la présomption d’innocence. Aussi, la haute juridiction a relevé l’absence d’assistance de Khalifa Sall par ses avocats durant la phase d’enquête préliminaire. Elle a également estimé que le fait que le Doyen des juges d’instruction du Tribunal de Dakar ait décidé de clore l’information judiciaire en renvoyant les personnes mises en cause devant le Tribunal correctionnel, alors que les délais de recours contre certains actes de la procédure couraient encore, est constitutif d’un motif valable qui enlève une certaine équité au traitement de cette affaire.
La Cour de la Cedeao a néanmoins estimé que de telles violations ne sont pas substantielles au point d’impacter l’issue ou le bien-fondé de la procédure en cause.
Par contre et c’est là où les avocats de Khalifa Sall ont perdu la mère des batailles, c’est que la Cour de la Cedeao a refusé d’accéder à leur requête consistant à ordonner la mise en liberté d’office, comme cela avait était le cas encore une fois dans l’affaire Mamadou Tandja du Niger, qui était détenu après avoir été renversé par un coup d’Etat militaire conduit par Salou Djibo en février 2010. Aussi, la Cour a estimé que les droits politiques de Khalifa Sall n’ont nullement été violés et qu’en outre, elle ne saurait se substituer aux juridictions nationales pour annuler une instance judiciaire. Au surplus, elle s’interdit tout droit de regard sur le bien-fondé de l’action judiciaire ouverte au Sénégal contre Khalifa Sall et consorts.
C’est le lieu de relever une fois de plus l’empressement des organisations et autres personnalités de la société civile sénégalaise qui considèrent qu’il faut toujours se prononcer à l’encontre des positions des autorités publiques.
Cette société civile ne peut pas, toujours et systématiquement, avoir la posture de ne se prononcer que contre l’Etat, l’accabler et refuser de jeter un regard objectif sur les actes que pose ce même Etat.
Ne serait-il pas juste et objectif que les responsables de la société civile se demandent, un seul instant, si dans ce dossier judiciaire les actes posés et reconnus par Khalifa Sall et ses co-prévenus dans la gestion de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar ne sont pas constitutifs d’infractions pénales ?
Doit-on fermer les yeux sur des infractions reconnues par leurs auteurs, du fait simplement que ces derniers sont des hommes politiques susceptibles d’être des challengers ou seraient à même de remporter une élection ?
Le fait que les sondages et autres mesures d’opinions donnaient François Fillon probable vainqueur de la dernière élection présidentielle en France n’avait pas empêché les juges français d’ouvrir une information judiciaire contre lui et de procéder à tous les actes de procédure nécessaires.