SORTIR DE L’IMPASSE AU PLUS VITE
L’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr n’est que l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière. Malheureusement, le président Macky Sall et ses alliés refusent de faire face à la réalité
Le Sénégal indépendant a connu son lot de crises, de 1962 à 2011, en passant par Mai 68 et 1988, pour ne citer que les moments les plus difficiles. Mais les violences qui secouent notre pays depuis le 3 mars sont sans précédent. Elles sont l’expression d’une crise multiforme et profonde dont il convient de prendre la juste mesure.
L’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr n’est que l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière. Malheureusement, le Président Macky Sall et ses alliés refusent de faire face à la réalité. Au lieu de reconnaitre la profondeur de la crise et leurs propres responsabilités, ils cherchent des boucs émissaires parmi des terroristes qui n’existent que dans leur imagination, des ennemis extérieurs du Sénégal qu’ils se gardent bien de nommer, une société civile dont ils minimisaient l’influence politique hier et qui s’avère subitement capable de mobiliser des centaines de milliers de Sénégalais à travers le territoire national. C’est insulter l’intelligence des Sénégalais que de vouloir nous faire croire que les jeunes et moins jeunes qui ont envahi les rues de nos cités, du nord au sud, de l’est à l’ouest, seraient des marionnettes à la merci d’une main invisible qui veut du mal à notre pays.
La vérité est que ces révoltés sont des citoyens qui aiment leur pays mais auxquels l’Etat a tourné le dos. Ils n’ont pas besoin d’être convaincus de la réalité de la corruption qui gangrène le gouvernement du Sénégal, des inégalités économiques et sociales criardes, d’une justice aux ordres, d’un parlement en rupture de ban avec le peuple qu’il est pourtant supposé représenter, parce que ce sont là des réalités qu’ils vivent quotidiennement dans leur chair et qui ont fini de faire du désespoir leur pain quotidien.
D’ailleurs, pour tout observateur lucide, les cibles des violences déplorables qui ont marqué les manifestations de ces derniers jours offrent la clé pour comprendre la colère légitime de ces Sénégalais. Les attaques contre les symboles de l’Etat comme les maisons de justice, les mairies et les forces de sécurité montrent la rupture du contrat social qui lie le gouvernement aux citoyens et qui est au centre de la légitimité de l’Etat de droit.
L’assaut contre les intérêts français comme les magasins Auchan, les stations Total, l’autoroute gérée par Eiffage etc. ne traduit pas un sentiment xénophobe contre la France (à ce que je sache jusqu’à présent aucun citoyen français n’a été attaqué). Il signifie un rejet du capitalisme néo-libéral incarné par la mainmise des entreprises françaises sur l’économie du Sénégal et qui sert les intérêts exclusifs de la France, au détriment de ceux du peuple sénégalais.
Les attaques regrettables contre la presse soupçonnée de soutenir le gouvernement et des maisons de certains membres du parti au pouvoir, sont l’expression d’un ras-le-bol contre une oligarchie arrogante devenue sourde et aveugle face aux souffrances du peuple. Mais tout n’est pas encore perdu. Notre pays a une profonde culture démocratique et il a en lui les ressources pour surmonter la crise. Cependant, la balle est dans le camp du Président Macky Sall. Il a le devoir de se réconcilier avec le peuple sénégalais qui lui a tout donné.
Et la voie lui est tout indiquée. Il lui suffit de retourner au programme qui lui avait valu la confiance des millions de Sénégalais qui l’avaient élu quatrième président du Sénégal.
1- Il doit “mettre la patrie avant le parti” comme il l’avait promis. Cela signifie renoncer à briguer un troisième mandat et s’engager à organiser en 2024 des élections libres et transparentes, et passer le témoin à son successeur démocratiquement élu.
2- “Instaurer une gestion sobre et vertueuse”. Cela signifie dissoudre immédiatement son cabinet pléthorique et toutes les institutions inutiles et budgétivores (Cese, Hcct etc.) qui n’ont été créées que pour caser des alliés politiques, et utiliser les ressources économisées pour alléger les souffrances du peuple.
3- “Ne protéger personne.” Cela veut dire mettre fin au système judiciaire à deux vitesses au service exclusif des puissants, renoncer à l’ingérence de l’exécutif dans l’exercice du pouvoir judiciaire, et poursuivre devant les tribunaux tous les prédateurs épinglés dans les rapports des corps de contrôle de l’Etat et de l’Ofnac.
4-Renégocier tous les contrats léonins signés avec des entreprises étrangères pour prendre en compte les intérêts du pays. Président Macky Sall, vous avez un rendez-vous avec l’histoire, ne le ratez pas.
Vous pouvez aider le Sénégal à dépasser cette impasse politique qui constitue la plus grosse menace à la stabilité de l’Etat sénégalais postcolonial, ou vous pouvez conduire le pays vers le chaos. Il n’y a pas une troisième alternative.
Cheikh Anta Babou est rofesseur d’histoire University of Pennsylvania Usa