SOUFFRIR POUR RÉUSSIR ?
Ce "maître d'école" sanguinaire, sur les ondes d'une radio de la place déclarant sans sourciller : "pour que le Coran pénètre dans l'esprit de l'enfant, il faut qu'il saigne." Quelle infamie !
La décision du Président Macky Sall d'interdire l'errance des enfants vient une nouvelle fois, relancer le débat leurs droits, si souvent bafoués … par leurs propres géniteurs, leurs prescripteurs et les autorités publiques. Autant dire que les formes, les sources et les générateurs de violences faites aux enfants sont protéiformes. Aujourd'hui, le gouvernement lassé par le très épineux dossier de Karim Wade, ouvre un autre front pour drainer les attentions des Sénégalais vers une question plus sensible.
En effet, quel sujet peut-être aussi délicat que celui qui touche au substrat de leur existence, puisque le lien ombilical est établi entre mendicité et religion. Il y a en effet, une rupture sémantique entre la communication gouvernementale et l'entendement des populations. Quand officiellement, on prétend lutter contre le travail et la souffrance des enfants, une bonne partie de la société comprend guerre contre l'Islam et les daaras, un des leviers essentiels de socialisation, inséparable de la mendicité.
Vœux pieux de la rhétorique gouvernementale, effets de manche des ONG prétendument spécialisées en la matière, fausse empathie des entreprises sociales, qui tirent fruit et usufruit de ce filon si juteux du charity business hélas ! Ce sujet qui revient à la fréquence d'un marronnier donne de la résonance à toutes les formes d'émissions et plateaux radio-télé et permet de remplir des pages entières des tabloïds et autres magazines. Une belle occasion pour dépoussiérer les dossiers et enquêtes maintes fois servis à des publics intérieurement sidérés mais rendus indifférents par la routine, la récurrence du verbiage et l'inaction. Par acquis de conscience ! Une petite dose d'émotion et d'humanisme à la petite semaine peut en effet diffuser une certaine bonne conscience aux uns et aux autres pour que toutes ces hypocrisies se dédouanent de temps à autre.
La haine des pauvres
Il est vrai qu'à force de cohabiter avec cette misère morale, sociale et économique, somme toute crasse, des enfants dans la rue, on est presque tentés de les fuir, tels des damnés Sentiment d'impuissance, devant une maltraitance institutionnalisée, socialement acceptée et psycho-sociologiquement refoulée. En effet, derrière cette apparente solidarité ou générosité par les oboles jetées dans l'escarcelle du pauvre, il y certainement pour la plupart des gens, plus de de mépris que d'altruisme. Parce qu'incapable de mettre fin à cette violence faite à enfants, la société cherche les culpabiliser.
Nombreux sont ceux qui sont alors pris d'une folle envie d'exorciser cette teigneuse mauvaise conscience qui les hante dès que ces jeunes mendiants s'approchent d'eux pour implorer une pitance. Et comme pour refouler cet envahissant complexe, d'aucuns s'empressent de les rouer de questions sur leur niveau de connaissance du Coran. Et souvent pour les rallier et les humilier à la moindre hésitation. Comme si apprendre ou chercher à maîtriser les sourates du livre saint passait inéluctablement par la souffrance et devait justifier la violence.
Souffrir pour réussir ?
Certains le soutiennent ouvertement et mordicus, comme ce "maître d'école" sanguinaire, sur les ondes d'une radio de la place déclarant sans sourciller : "pour que le Coran pénètre dans l'esprit de l'enfant, il faut qu'il saigne." Quelle infamie !
La mendicité des enfants est alors perçue comme une forme d'incubation sociale, une sorte de rite d'étape par lequel, les jeunes pousses devraient passer pour s'armer contre les vicissitudes futures de la vie. Et comme pour se donner bonne conscience, ils citent à l'envi la réussite sociale de cadres, hommes d'affaires ou commerçants et autres tenanciers de l'informel sortis tout droit des fourches caudines des daaras. Ils occultent, cependant, toutes les autres victimes emportées dans leur tendre enfance par des sévices de tous ordres. Et tous les autres ex-talibés à jamais marqués par ces frustrations et maltraitance aussi handicapants les unes que les autres.
Jamais et en aucun cas, la souffrance seule ne pourrait servir de levier pour assurer une promotion sociale d'une personne humaine au nom d'un principe simple qu'il n'est pas nécessaire de souffrir pour réussir. On peut apprendre à braver les épreuves inhérentes aux parcours humains sans tomber dans les supplices. Aujourd'hui la technologie moderne vole au secours des apprenants. Des techniques modernes d'apprentissage du coran, permettent d'accéder au savoir sans subir les affres de la torture. Les moyens et lieux d'apprentissage du coran se sont démultipliés à un rythme exponentiel. Un programme de construction des daaras modernes est en chantier et commence à essaimer dans tous les zones du Sénégal. Il offre des conditions optimales d'accès aux connaissances du livre saint et des matières instrumentales pour une meilleure ouverture sur le monde.
La pression des conservateurs
Mais des conservateurs d'un autre âge tentent de s'opposer à la nouvelle loi sur l'enseignement de la langue arabe et l'intrusion des daaras modernes dans notre système scolaire. Le gouvernement avait reculé sous leur pression, pour des raisons purement politiciennes. Ce faisant, il laisse perpétuer un système inique qui maintient les enfants dans des conditions dignes de l'esclavage des temps modernes. Et pourtant les instruments juridiques pour sauver les enfants de la maltraitance existent. Dans la Stratégie Nationale de Protection de l'Enfant (SNPE) a été validée et est censée encadrer les droits des enfants. Elle a été adoptée depuis le conseil interministériel du 27 décembre 2013. Il constitue selon le verbatim officiel, "le cadre de référence pour mettre en place un système intégré de protection de l'enfant conforme aux standards internationaux et vise à promouvoir un changement de comportement favorable au respect des droits de l'enfant".
La SNPE se prévaut "d'offrir, à travers un système de protection intégré, un environnement politique, institutionnel et légal protecteur contre toutes formes de maltraitance, négligence, abus d'exploitations et violences que subissent les enfants." Elle s'inspire largement de convention internationale des droits de l'enfant en 2006 et la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Un comité national consultatif des droits de l'homme sur la protection des enfants a pignon sur rue. Il a déjà tracé toute la cartographie et l'analyse des systèmes de protection de l'enfance au Sénégal et cherche à harmoniser les interventions et les modes de communication en la matière.
De bons instruments juridiques. Et après ?
Avec de tels instruments que manque-t-il encore au Sénégal pour éradiquer ce fléau. La volonté politique ! On dénombre entre 50 000 et 80 000 enfants dans la rue au Sénégal, dont la majeure partie dans la seule région de Dakar. Peu importe d'où ils viennent ! De notre pays ou d'ailleurs ! Ce débat sur l'origine des enfants errants, mendiants ou travailleurs est insensé. Il s'agit dans tous les cas, d'enfants qui souffrent, de gamins de très bas âge abandonnés à eux-mêmes, taillables et corvéables à merci.
Il ne s'agit ni plus, ni moins que de jeunes êtres humains, non responsables de leurs malheurs, soumis aux pires intempéries, torturés, violés sans ménagement et qu'il est impératif de sortir de ce cycle infernal de la violence. Ces marginaux, retraités avant l'heure constituent une bonne partie des forces vives de nos pays et doivent être traités comme des humains.
L'acceptabilité sociale nécessaire
C'est en cela que la décision du Président Macky Sall est louable. Pourvu qu'il n'y revienne pas ce fut le cas avec la loi instituant les daaras. Et la fermeté avec laquelle, le vice-président des maîtres-coraniques a été traité quand il a proféré des menaces et des grivoiseries à son encontre, est à ce titre exemplaire. Le droit d'expression n'est le droit de stigmatisation. Cependant, le gouvernement a péché par empressement, dans la mise en œuvre de la mesure. Et une fois encore, sa communication s'est avérée défaillante. La lutte contre le travail des enfants est un impératif indiscutable. Le gouvernement ne s'est pas donné tous les moyens de la légitimité par une approche holiste.
En effet, tous les instruments juridiques, pour ce faire, existent. Les cadres organisationnels aussi. L'acceptabilité sociale n'est pas malheureusement pas totalement acquise. Plusieurs étapes ont été sautées.
Premièrement, il nous paraissait nécessaire de saisir l'opportunité du cadre du dialogue national, pour poser le débat dans une perspective d'inclusion. Pour un sujet aussi clivant mais si champêtre, le croisement des opinions et des approches méthodologiques est indispensable à la légitimation des solutions ;
Deuxièmement, il serait incontournable pour favoriser l'acceptabilité sociale, de mettre en place une stratégie nationale de marketing social, en deux phases. D'abord exploiter toutes les études et enquêtes socioéconomiques faites sur le travail des enfants (sous toutes ses formes), la mendicité (dans la variabilité des pratiques). Ensuite, au besoin lancer une étude nationale complémentaire par l'ADIE, ADEMAS et Enda entre autres, pour saisir toutes les nouvelles réalités de la mendicité et le travail des enfants. Ensuite concevoir, élaborer, mettre en œuvre une campagne nationale de Com, structure Communication pour le Changement de Comportement dans la perception de la mendicité et du travail des enfants. Un consensus national nous paraît incontournable.
Trois mesures essentielles
Troisièmement : mettre en place une Fondation nationale pour la réinsertion des enfants en situation de travail. Une telle structure serait financée par les fonds publics, privés, dons, subvention, mécénat, organisations de manifestations lucratives, ressources tirées de la RSE, mais aussi, et c'est fondamental, la mobilisation nationale de la ZAKKAT dont la communauté musulmane s'acquitte. Une telle approche ne peut prospérer sans dialogue national.
La démarche adoptée par le Ministère de la Femme, de la Famille et de l'enfance est hors-sol. C'est une stratégie de saupoudrage, irrationnelle et susceptible d'être accusée de partisane.
Quel est le critère de choix de ces familles et des chefs d'école coranique ? Est-ce que cette distribution d'argent et de victuaille ne va pas constituer d'appel d'air pour d'autres familles, moins infortunées, pour envoyer leurs enfants dans la rue et s'attirer des libéralités ?
Même si, 219 enfants ont été sécurisés, cela représente quoi au vu des milliers d'autres en errance. Pis, limiter l'action gouvernementale –même à titre expérimental- sur les talibés serait gravement occulter, les autres secteurs de souffrance : les jeunes enfants orpailleurs, les jeunes domestiques officiant dans les maisons, les jeunes vendeurs dans les axes routiers, les cireurs mineurs etc.
Dans une certaine mesure, on pourrait comprendre la complainte des maîtres coraniques qui voit dans ce ciblage une stigmatisation des daaras. Et hélas par grave extrapolation, une attaque contre l'islam ? Et pourtant, le gouvernement aurait pu saisir cette opportunité pour amplifier et donner plus de légitimité à sa politique sociale à travers, le PUDUC, le PUMA, la Bourse sociale de solidarité et cette louable lutte contre le travail des enfants. Il aurait pu ainsi trouver une belle occasion pour donner plus de cohérence à la stratégie de lutte contre la pauvreté en mettant à profit les leviers du PSE, à la faveur de l'inclusion.