SI LES LUMIÈRES DE LA CROISETTE POUVAIENT NOUS ÉCLAIRER
Il est vrai que c’est au Fespaco, au Maroc, à Berlin, à Cannes…que les professionnels sénégalais bénéficient de formidables tribunes, mais les ingrédients de la cuisine sénégalaise qui leur ont permis d’être là peuvent et doivent être mieux mis en valeur

La présence de Mati Diop au Festival international de Cannes, en compétition officielle avec son film Atlantique offre une nouvelle occasion exceptionnelle – une de plus – pour parler des avancées, succès, problèmes et promesses de progrès dans un secteur artistique dont la capacité symbolique (image du pays) et le potentiel économique doivent être sérieusement pris en compte dans les dimensions culturelles des politiques de développement.
Il y a d’abord des faits qu’il faut saluer et dont il faut se réjouir sans modération :
- un film présenté sous la bannière du Sénégal, c’est le résultat du travail d’un producteur, Oumar Sall, directeur de la structure Cinékap (deux fois Etalons d’or au Fespaco, Ours d’argent à Berlin, notamment), qui s’efforce à poser les bases d’un embryon d’industrie à développer, et à satisfaire les exigences d’une qualité de production répondant aux normes reconnues internationalement. Sur ce film, on a eu neuf mois de casting, 65 techniciens, plus de 700 mille euros dépensés dans l’économie (hôtel, cachets des comédiens et des techniciens, décors, logistiques diverse…). Oumar Sall est le symbole visible d’une nouvelle génération de producteurs qui osent et proposent des produits – dont on peut certainement discuter de la qualité – qui parlent aux Sénégalais qui s’intéressent à l’image et peuplent leur imaginaire ;
- de jeunes professionnels qui, depuis une quinzaine d’années maintenant insufflent une nouvelle dynamique au cinéma au Sénégal – Abdou Khadir Ndiaye, Fatou Touré, assistants de Mati Diop sur Atlantique, Fabacary Assymby Coly, son conseiller artistique, en sont des symboles visibles. Ils ont soif d’apprendre. Ils traient de divers sujets, travaillent en équipe, réalisent des films, s’améliorent, acquièrent la reconnaissance en gagnant des prix des prix.
En dépit donc de tous les discours restrictifs sur la ‘’nationalité’’ du film Atlantiqueet de ceux qui sont sélectionnés dans des festivals, des propos alarmistes sur l’expérience de tel ou tel réalisateur ou les compétences de fonctionnaires de la culture, il y a une mise en lumière d’une expertise d’un savoir-faire que, très souvent, des professionnels étrangers sollicitent pour leurs productions et tournages au Sénégal. Ils ne peuvent plus d’ailleurs faire sans la participation des techniciens sénégalais : Arona Camara, Demba Dièye, Pape Sarr, Amath Niane… En plus des comédiens confirmés et ceux qui émergent au fil des années et des productions.
Un tel constat impose une sérieuse réflexion sur les ‘’dividendes’’ d’une telle exposition médiatique. Les lumières de la Croisette ne doivent pas éblouir et faire oublier la dure réalité. Le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA), qui a permis, depuis 2014, un soutien à des projets, bat de l’aile aujourd’hui parce que sa mise en œuvre n’a pas été suivie d’une évaluation qui aurait permis d’en corriger les manquements. Elle aurait certainement permis de voir que l’on ne peut pas, avec seulement deux appels, résorber le gap que des années de léthargie n’ont cessé de creuser.
Tant que l’argent mis à disposition des professionnels ne dépassera pas le milliard de francs CFA, il faudra faire la politique de ses moyens en n’essayant pas de satisfaire, par pur saupoudrage, un grand nombre de porteurs de projets. Une autre difficulté est liée, elle, à la bureaucratie et aux procédures d’administration des crédits. Lorsque ceux-ci sont destinés à la culture, les considérations des fonctionnaires de la Direction du Budget relèguent le secteur loin derrière d’autres « priorités ».
Il est temps, en attendant la mise en place d’un Centre national de la cinématographie doté de l’autonomie budgétaire, que la volonté présidentielle de soutenir la culture – deux milliards de francs CFA inscrits pour le FOPICA au budget 2018 mais alloués à peine au dixième – soit comprise au ministère des Finances. C’est important parce que cela participe de la satisfaction d’un droit à l’expression d’une frange de la population qui a décidé de participer à l’édification du récit national par le biais de la culture qui n’est pas un appendice résiduel mais un élément important du développement économique et social. Il est vrai que c’est au Fespaco, au Maroc, à Berlin, au Canada, à Cannes…que les professionnels sénégalais bénéficient de formidables tribunes, mais les ingrédients de la cuisine sénégalaise qui leur ont permis d’être là peuvent et doivent être mieux mis en valeur.