SURENCHÈRES SCOLAIRES
Dans d’écrasantes proportions, les revendications ont une saveur pécuniaire, rarement pédagogique. D’ailleurs, les aspects relatifs à la sauvegarde de l’école ne figurent sur les « cahiers de doléances » que pour y faire… bonne figure
Les vacances surviennent au moment où des pluies diluviennes s’abattent sur une bonne partie du pays. Si, malgré ce répit, l’angoisse (autrement dit, le stress) ne quitte toujours pas les parents d’élèves, les paysans, eux, retrouvent le sourire avec la générosité du ciel en espérant bien entendu des précipitations plus fréquentes et mieux réparties.
Le Sénégal, autrefois « quartier latin » d’Afrique même si le Bénin lui a disputé ce label avec de solides arguments, se heurte à la récurrence de la crise de son système éducatif. Jamais secteur n’a été autant chahuté au point de se demander si le Sénégal n’est pas entré dans l’âge de la régression pour reprendre une célèbre formule du politologue bulgare Ivan Krastev.
En effet, pendant longtemps, un engrenage incontrôlable s’était emparé de l’école sénégalaise, otage de rivalités indicibles et de prétentions sans prise sur le réel. Les paralysies partielles ou totales qui l’ont affectée (grèves ou années blanches) ne sont pas étrangères au discrédit de l’enseignement. Lequel, en vérité a toujours baigné dans un contexte d’agitation permanente. Pointé du doigt, le système scolaire, désespère les Sénégalais. Il n’est pour s’en convaincre que de voir l’état de dégradation de l’école publique (primaire, secondaire et … supérieur !) En écho, le privé semble constituer une réponse mais vite dissipée par l’impressionnant nombre d’établissements ayant pignon sur rue.
Cette frénésie d’ouvertures, loin de traduire des vocations de transmission de savoir et de connaissances, répond plutôt à un souci de gain facile masqué par un séduisant appât pédagogique, A ces difficultés, s’ajoute la complexité du tissu éducatif qui rend l’issue incertaine et hypothèque plus sérieusement l’avenir de l‘école sénégalaise.
Si les élèves batifolent, les enseignants, dans leur majorité, se montrent plus à l’aise avec l’argent. Ils observent certes les mots d’ordre de grève de leurs syndicats respectifs mais s’arrangent toujours pour ne pas sécher les cours à domicile dans les foyers nantis. En définitive, ils n’ont plus d’idées, ils bredouillent. Et l’école est face à elle-même. Alors que les pressions sociales tendent à inhiber les meilleures volontés.
Dans d’écrasantes proportions, les revendications ont une saveur pécuniaire, rarement pédagogique. D’ailleurs, les aspects relatifs à la sauvegarde de l’école ne figurent sur les « cahiers de doléances » que pour y faire… bonne figure et ainsi, atténuer les critiques et les observations indélicates. Il faut déchanter. Car, l’Etat a englouti des milliards, cédant aux pressions et aux surenchères sans résultats probants. Or, des crises cycliques jalonnent le chemin de l’école qui a cherché son salut dans un livre de recettes classiques.
Les ponctions budgétaires allouées aux corps d’enseignements ne résolvent rien des problèmes qui se posent. S’il suffisait d’éteindre les feux à coups de milliards, le Sénégal garderait toujours son surnom de « Quartier latin » d’Afrique.. C’est tout l’inverse qui se produit. Avec à la clé une sulfureuse réputation d’instabilité scolaire et de quantum horaire en-deçà des volumes standards au plan international.
Des esprits raisonnables, de plus en plus nombreux, considèrent que le déficit d’encadrement des enseignants est une des causes de dégradation ou de recul de l’école. Un déplacement du curseur. Une autre lecture de la situation se fait jour. Autrement dit, le désir de retrouver le goût du sérieux se fait sentir ici et là. Des compétences se reconstituent. Tout n’est pas perdu, devrait-on dire. Fort heureusement. Le secteur éducatif se remet en ordre de marche.
Le pédagogue Bouna Ndao, chercheur en sciences de l’éducation explique dans une brillante contribution que l’échec de l’élève, longtemps stigmatisé, « recouvre plusieurs réalités ». Selon lui cet échec scolaire est « multifactoriel », estimant que l’élève n’est plus responsable de son échec, « il en devient victime ». D’où une « responsabilité partagée » devant nécessiter une approche concertée de tous les acteurs pour lutter collectivement contre la « non-réussite de l’élève ».
Aux yeux de Bouna Ndao, citant un penseur de l’éducation, « l’école n’accueille pas des intelligences vierges, (…) mais des esprits que marque déjà l’héritage inégal d’une famille. Aucun autre facteur que l’origine sociale n’a une incidence aussi nette sur le cursus scolaire. Sans doute, revient-il plus que jamais à l’école, dans tous les pays du monde, d’être pour tous l’école de la réussite. »
Pour sa part, Kalidou Diallo, ancien ministre de l’Education sous Wade, souligne que l’efficacité pédagogique ne se « conquiert pas avec des slogans ». Il vante même les résultats et les succès académiques enregistrés dans les différents examens et concours organisés à l’échelle du pays. Il préconise cependant « un parcours d’aide » devant préparer l’élève à assumer ces choix de décision dans le futur. La nation n’en demande pas tant pour s’inviter dans le débat sur l’école sénégalaise.
Des voix autorisées tiennent pour acquis que les choses fonctionnent mieux convaincues que les inégalités se forgent dès le cycle primaire. La surenchère entretenue sape la valeur résiduelle de l’école dont le prestige s’étiole petitement. Il urge alors, selon des experts de l’éducation, de réduire les écarts pour sauver l’école et préserver ce haut lieu de création de l’esprit républicain et creuset de la citoyenneté sénégalaise.
La nécessité d’opérer un rééquilibrage s’impose donc. D’aucuns relèvent que les maux de l’école sénégalaise étaient confinés aux seuls cercles d’initiés et largement ignorés de l’opinion. Il y avait comme un abîme alors que l’éducation est une problématique transversale dès lors que l’école est immergée dans la vie sociale.
A mesure que de nouveaux acteurs « entrent en scène » dans la vie de l’école, l’offre d’éducation se consolide avec une clarification des modèles d’enseignement en rupture avec les recrutements massifs opérés en 1995 et à l’origine de la dégradation du mode de transmission des savoirs de base. L’insuffisance des inspecteurs d’académie est relevée comme un facteur décisif d’affaiblissement de l’enseignement.