TAMBACOUNDA, LA PORTE DE L’AFRIQUE
Saint-Louis, usée, est notre passé. Dakar qui s’use est notre présent, mais notre avenir est à la périphérie, principalement à l’Est. Déconstruire la logique atlantiste consiste pour notre pays à plus regarder vers le continent que vers l’océan
Dans la sinistrose ambiante du corona, j’ai entrevu une éclaircie. Une lumière. Un immense espoir. J’ai écouté à la radio des jeunes de Tambacounda manifester pour avoir une université dans leur région.
C’est l’une des meilleures nouvelles qu’il m’a été donné d’entendre. «C’est un superbe lever de soleil», comme avait dit Hegel de la Révolution française. Un superbe lever du soleil qui naturellement nous vient de l’Est, comme le pensait Napoléon, qui disait : «toutes les gloires viennent d’orient, contrairement à l’Europe qui est une taupinière où tout s’use.» Toute chose étant égale par ailleurs, on peut dire la même chose pour le Sénégal. Dakar est devenue une «taupinière où tout s’use» et tout est usé, contrairement au Sénégal Oriental et ses terres neuves qui nous ouvrent les portes de l’Afrique.
Nous avons tous appris à l’école primaire que Dakar est la porte du continent. Justement, c’est la porte qui s’ouvre sur l’Atlantique et permettait l’exportation des richesses de la colonie vers la métropole. Il en est de même pour Saint-Louis, Rufisque et Gorée qui sont toutes des portes océanes. Des générations et des générations d’écoliers ont appris le mythe de Dakar porte du continent. Il va falloir déconstruire ce mythe et apprendre aux futures générations que Tambacounda est la véritable porte du continent, parce qu’elle est la porte qui s’ouvre sur l’Afrique, notamment le Mali, la Gambie, la Mauritanie et la Guinée, contrairement à Dakar qui s’ouvre sur le large. Entre le continent européen et le large, l’Angleterre a toujours choisi le large et le Brexit en est le dernier exemple.
Le Sénégal, contrairement à l’Angleterre, ne peut choisir le large et ne se détournera pas du continent pour deux raisons. Premièrement, nous ne sommes pas une île, et deuxièmement le choix du large était imposé par la colonisation. Saint-Louis, usée, est notre passé, Dakar qui s’use est notre présent, mais notre avenir est à la périphérie, principalement à l’Est.
Le Soleil de l’émergence se lèvera à l’Est, dans ce que Senghor qualifia intuitivement de «terres neuves». Naturellement, pour des raisons historiques et géographiques (colonisation) devenues économiques (mégalopole, port), le Sénégal ne peut pas se payer le luxe de tourner le dos au large, mais il est temps de déconstruire l’hégémonie atlantiste. Déconstruire cette logique atlantiste consiste pour notre pays à plus regarder vers le continent que vers l’océan.
Regarder plus vers le Mali, vers le Burkina et les Guinées, que vers la France ou les Etats-Unis. En tout cas au moins, le colon avait compris que même s’il était venu par le large, l’Est était la zone d’expansion naturelle du Sénégal, c’est-à-dire qu’on utilise Dakar et Saint-Louis pour prendre pied et avancer vers l’Est ; d’où le chemin de fer, le fameux Dakar-Niger, immortalisé par Sembene dans Les bouts de bois de Dieu.
Avec l’incapacité du Sénégal et du Mali à gérer le rail, il est pathétique et tragique sur ce point de constater que le colon était plus ambitieux que nos Etats, même 60 ans après les indépendances. Saint-Louis incarnant notre passé, Dakar notre présent, Tamba qui est notre avenir mérite d’avoir une des plus grandes universités d’Afrique de l’Ouest, car l’université du Sénégal oriental a forcément une vocation régionale.
Les jeunes de Tamba, en manifestant pour avoir une université, donnent une leçon aux jeunes qui avaient manifesté contre le couvre-feu pour avoir le droit d’être dans la rue au-delà de 23h pour palabrer et prendre du thé.