UN AN APRÈS L’IRRUPTION DU COVID
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – Durant 66 jours j’ai « décortiqué » l’actualité sous tous les angles, en y puisant l’inspiration mais toujours avec au cœur, ce virus que je n’ai jamais pu nommer autrement que par C.
J 1 – mardi 24 mars 2020
« Ce matin après avoir gentiment demandé à papi Viou d'aller faire un tour... ailleurs, je me suis mise à faire un peu de ménage. Odile, la gouvernante, ne vient plus qu'un jour sur deux.
Et après avoir fait mon lit, je me suis lancée dans le ménage de notre Salle De Bains (SDB). Me voilà à 4 pattes, question de protéger mon gentil et fragile dos, autour de la cuvette des WC.
… Tiens papi Viou est arrivé tel un pêcheur lébou, les bras chargés. Mais où donc vais-je mettre toute cette pêche ? Je n'ai pas eu l'idée de dire tout haut et surtout que j’ai plus beaucoup de sacs congélation… ? Alors système D ! D'abord j’ai fait comme ma poissonnière. J’ai donc coupé la queue dépassant et pour fermer hermétiquement. J’ai pris le gros rouleau de scotch, celui qui sert à faire les Tupperware remplis de "tiep'u wekh à la Modou", prêt à voyager…
… En allant me laver à la SDB j'ai fortement éternué et plusieurs fois et Viou était au téléphone, son interlocuteur s'est inquiété de qui éternuait comme çà, avec tout ce que cela veut dire par les temps qui courent.
… Bon Viou n'a toujours pas vu de changement dans la SDB et j’attends avec impatience ce petit moment si agréable de me servir un petit verre de punch à la vanille que j'ai fait il y a des années sans jamais y toucher... Il est délicieux mais trop doux à mon goût, j'y ai rajouté un excellent rhum de Cuba…
À la santé de corona aytcha !
Et voilà que pendant 66 jours, je me suis astreinte à un exercice d’écriture au quotidien, fort passionnant mais totalement inconnu. Durant 66 jours je m’y suis accrochée, je me suis concentrée sur les rythmes socialisants de mon environnement, des fois ignorés, ou même méconnus ; gestes qu’en temps normal on ne prend pas le temps de faire, regardant avec un intérêt nouveau depuis les différents points de vue, dedans et au-delà de l’appartement et par nécessité regardant aussi au plus profond de moi !
Je me suis forcée à dire, décrire les choses que je voyais, que j’entendais, que je ressentais dans cette période bien particulière, qui transformait apparemment mon attention décuplée.
J’ai eu des fois des doutes, des pannes de la feuille blanche en pensant avec respect à ceux dont c’est le métier au quotidien.
J’ai été fidèle dans mes récits et un jour ma fifille, Aicha de Bamako, qui recevait mes chroniques m’a demandé si je n’inventais pas un peu ou même beaucoup ! Là, elle m’a donné une idée et au beau milieu de ces chroniques véridiques je me suis improvisée « romancière ».
Durant 66 jours j’ai « décortiqué » l’actualité sous tous les angles, en y puisant l’inspiration mais toujours avec au cœur, ce virus que je n’ai jamais pu nommer autrement que par C.
Et au bout de 66 jours, je me suis dé-confinée à ma manière. Mais qui l’eût cru ? moi qui ne pensais n’être capable que de concevoir les espaces, les articuler, les conjuguer …
70 pages, 37 795 mots me renseigne l’ordinateur ! Il me fallait donc conclure.
La chronique 66, la dernière, reste très différente des précédentes. J’ai pris un grand plaisir alors à revenir en images et en pensées sur ces moments, à signaler des oublis, faire des aveux … comme un au-revoir ?
Faire un clin d’œil à certains fidèles lecteurs, comme par hasard deux Charles : celui de Dakar me reprochant de ne pas illustrer mes propos, au contraire du Charles de Praïa les préférant sans illustration, pour laisser son fantasme naviguer aisément.
Revenir sur des oublis de taille comme l’anniversaire de la mort de notre frère, Omar Blondin Diop, dans la J 49 du 11 mai où je ne m’étais souvenu que de Bob.
Des aveux … Ah, la J 65, que j’ai signée d’un nom d’artiste, Reyane de Ligné, impossible de l’illustrer car pure imagination !
Je me suis lâchée et d’un bout à l’autre … rien de vrai. Ni de près ni de loin.
J’ai pris un plaisir inouï à partir d’un fait réel, en l’occurrence la disparition du griot électrique, Mory Kanté, à broder cette avant-dernière chronique.
Qui aurai cru que cet état planétaire difficilement définissable allait durer si longtemps ? Un an ! Et surtout, est-ce même terminé en ce mois de mars 2021 ?
Mais en fait, que s’est-il passé durant tous ces jours où C. nous a piégés, tourmentés, baladés, emmerdés, car impossible de socialiser au début et pour certains, toujours et encore, tant tout était si flou !
Combien d’entre-nous sont partis, emportés par C. ? L’étau semblant se resserrer autour de nous, et aujourd’hui encore !
Cruel mois de janvier 2021 emportant trop de nos proches comme la cascade d’un sort qui s’acharne.
Les enfants nous ayant fortement recommandé de nous éloigner de Dakar, nous éloigné du C., question de limiter les risques, nous sommes allés avec un plaisir… raisonné voire mitigé, à la Somone.
Ce même janvier, et malgré mes gestes que je croyais barrière, C. m’aura rattrapée.
Contaminée, piégée, angoissée, avec la peur au ventre d’en contaminer d’autres.
Je n’avais aucun signe de la maladie et je n’avais jamais autant écouté mon corps, just in case …
Ce séjour où je me suis réfugiée avec mon chevalier servant, a été heureusement ponctué par un grand élan de fraternité venu de tout bord.
D’abord un médecin urgentiste compétent, disponible à souhait, m’a quotidiennement soignée, orientée, conseillée, encouragée, écoutée, et à distance… bref, tout pour guérir bien et vite !
J’ai également pris la juste mesure du plateau technique médical de Saly/Somone, celui-ci n’ayant pas grand-chose à envier à celui de Dakar finalement, et par conséquent tout pour nous convaincre que la retraite là-bas, c’est un bon choix … Mieux, le service médical municipal dakarois en charge de mon dossier m’a tous les jours appelée pour s’inquiéter de mon état, me conseiller et m’encourager, jusqu’au jour où les tests sont arrivés négatifs. J’étais « bleuffée » …, preuve que tout n’est pas catastrophique dans le pays.
Je n’aurais jamais mangé aussi bien équilibré grâce aux petits et grands plats qui nous arrivaient, dans un ballet très bien orchestré par les sœurs, filles, et amis vadrouilleurs.
Je n’aurais jamais bu autant de jus de fruits venus directement du « verger vadrouilleur » de Ngaparou, et livrant dans de grands sacs d’exquises mandarines, celles-ci pressées avec une détermination quotidienne par mon « amoureux de Peynet », comme nous a surnommé la grande sœur.
Paniers, glacières, Tupperwares … que je voyais arriver du haut de la mezzanine, je m’étais interdite l’accès à la cuisine, question de ne point laisser traîner sur une poignée de porte de frigo ou encore un interrupteur ce sournois virus C.
Un délice au quotidien.
Tous les soirs, je montais dans ma chambre, d’où C. avait chassé papi Viou, lui s’étant installé au niveau inférieur durant tous ces jours-là. J’ai retrouvé la joie de me vautrer dans le grand lit souvent en désordre, mon désordre dans lequel je posais çà et là mes objets que je voulais à portée de main.
Dites-moi, qui n’a pas joui de pareil plaisir ?
En tout cas moi je me régalais, et à la fin d’une journée finalement jamais comme les autres, en criant « je monte dans mes appartements », j’allais retrouver avec un plaisir à peine voilé mon nouvel espace dans lequel j’avais aussi installé une table de travail.
Viou a géré tous les repas, comme un chef, au début en me demandant ceci-cela que je lui criai depuis assez loin ; puis il a pris ses marques, sûrement agacé par une certaine rigueur qui ne lui allait plus, et n’en faisant ensuite plus qu’à sa tête.
J’ai sincèrement pris grand plaisir à me faire servir.
Mais bon, personne ne s’y trompait, Viou a été décrété « le réchauffeur n° 1 » par les vadrouilleuses.
Alors oui, comment ne pas dire et redire, famille, amis je vous aime !
Nous faisions quotidiennement de longues balades, sur cette si belle baie pratiquement vide, la Somone d’un côté, Ngaparou de l’autre, en fonction de la marée, et souvent les seuls et avec nos masques.
5 à 6 km parfois plus, parfois deux fois par jour.
Prendre du soleil me conseillait-on pour capturer cette vitamine D.
Sans avoir hélas succombé à la tentation de plonger, la mer nous semblant un peu fraîche, mais les jambes dans l’eau jusqu’aux cuisses quand cela était possible…
Pourtant, jamais la Somone ne m’aura paru aussi contraignante ! Quelle ironie,
30 jours durant…
Et puis la raison voudrait que la vie reprenne son cours, elle nous convainc de faire attention. Alors on cherche comment, par quelle voie revenir à la normale ?
Le prochain anniversaire sera les 70 ans de ceux de la famille/amis nés en 51, février pour les premiers !
« On fête, on ne fête pas ? Et on sera combien, et où … ? »
Les échanges fusent !
Finalement … on fête et en plein air, donc la Somone s’impose, la pression des plus jeunes l’emporte prétextant que 70 ans quand même …
On est 12 adultes, le double de ce qui semble être la règle mais au bout du compte une très belle fête. Et comme à l’accoutumée à la Somone cela dure tout le week-end, tant qu’à faire …
Ailleurs on fête aussi d’autres 70 ans mais à 4. Chacun met le curseur là où il veut, là où il peut …
Comment, quand et où, le tournant va-t-il se faire ?
Les arrêtés sortis samedi 20 mars 2021 au Sénégal relatifs à la levée des différentes mesures de suspension prises il y a quelques mois donnent l’impression que « l’affaire-là est derrière nous », et sonnent comme la fin de la partie !
Les boîtes de nuit, restaurants, etc. ce week-end ont refusé du monde, semble-t-il ! Sans réelles mesures barrières appliquées.
Ici, au pays on est trop fort ! Nous avons eu un ministre du Ciel et de la Terre, aujourd’hui un président attrape-virus, et ce sera bientôt l’attrape-rêves, qui sait ?
J’ai du mal à comprendre. Comment du jour au lendemain on passe d’un état de crise, de confinement dans la tête, à celui de vie normale, de dé-confiné totalement ?
La vaccination, que j’ai faite la semaine dernière va-t-elle apporter des réponses ? Wait and see !
Je garde masque sur le nez, gel dans le sac, je dépose encore mes chaussures à l’entrée de l’appartement même si je suis bien la seule à le faire. J’ai enlevé depuis longtemps le circuit à suivre dans le hall de l’entrée et tracé lors de mes excès du début j’en conviens.
J’étreins même certains amis que je n’ai pas vus depuis longtemps, avec masque bien vissé sur le nez.
Comme quoi moi aussi j’ai levé des mesures ! Mais je continue d’écouter mon corps…
Devrais-je reprendre ce rigoureux travail d’écriture au quotidien, que j’ai partagé, parfois imposé ?
Cela me paraît ardu …, et je me questionne à peine, mais qui sait ?
Et surtout quels enseignements en tirer, je pense bien entendu à cette vie imposée par le C.
Ne dit-on pas que, après tout, le monde d’aujourd’hui devra être différent de celui d’avant !
Annie Jouga est architecte, ancienne élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle est administratrice.