UNE INTRIGUE DE PLUS
Si dans un court ou moyen terme, la libération de Karim Wade se révélait comme une scandaleuse transaction politico-financière, alors, l'image présidentielle en prendrait un sacré coup
La libération de l'ancien ministre Karim Wade, n'en finit pas d'intriguer les Sénégalais. Abasourdis par cette tournure rocambolesque de la nuit du 24 au 25 juin, nos concitoyens, s'interrogent invariablement sur le sens qu'il faut donner à cet élargissement inédit dans l'histoire de notre pays. Ils étaient loin de s'imaginer qu'une fois gracié, Karim serait, pour ainsi dire exfiltré de la prison de Rebeuss, pour être parachuté à Doha, après un bref transit chez son compère Me Madické Niang, lui-même passager du Jet privée aux côtés du Procureur du Qatar.
Transbahuté au Golfe au milieu de la nuit, le fils de l'ancien président Wade, n'a même eu un mot de gratitude pour ses nombreux souteneurs, ses militants, les foyers religieux et la société civile. La voie épistolaire qu'il a empruntée pour les remercier, est trop formelle, pour susciter la même intensité emphatique que nombre de Sénégalais lui avait témoignée avant, pendant le procès, et sitôt après sa libération.
Derrière, leur mutisme, ils sont nombreux à ressentir une légitime frustration, devant cette froide et incroyable indifférence. Mais à la vérité, l'ancien pensionnaire de Rebeuss, avait-il les moyens de faire autrement ?
A-t-il consenti à son extirpation de Rebeuss ? En a t-il négocié le modus operandi ? Ou au contraire l'a-t-il subie ? Quelles garanties financières, politiques le Qatar a-t-il mises sur la table du président Macky Sall, pour obtenir ce que les chefs religieux sénégalais, une bonne partie de la société civile, d'autres hommes d'Etat africains, le Groupe de travail des Nations Unies, n'ont pu avoir, durant trois années d'infructueuses sollicitations ?
Quel l'argument prédominant a tant pesé sur la balance, pour déclencher le processus d'élargissement de Karim Wade ? Qu'est-ce qu'a fait ou promis de faire le Qatar pour que son poids dans la balance de la décision ait pu être plus décisif que ceux de la France, des Etats-Unis et de l'ONU rassemblés ?
Et pourquoi le Qatar, richissime monarchie pétrolière et dont les relations commerciales avec le Sénégal sont encore si malingres, a pu calmer le courroux du pouvoir, pour accueillir et héberger l'encombrant prisonnier ? Bien entendu, qu'en espère politiquement, le Président Sall ? Et last but le the least, quels sont l'état et la nature des relations entre Karim Wade et l'Emir, pour susciter tant d'énergie, dans l'unique dessein de tirer le précieux embastillé de ses geôles ? Mystère et boule de gomme serait-on tenté de dire, devant cette extraordinaire nébuleuse dont on ne cernera, peut-être jamais tous les contours.
On aurait multiplié à suffisance ces questionnements, qu'on ne ferait qu'amplifier le mystère de la libération de Karim. Serait-il alors superflu d'essayer de percer ces énigmes, parce que les imbrications sont complexes, les ramifications tentaculaires ? Démêler cet écheveau serait aussi spéléologique de remonter le fils d'Ariane. Dans cette d'affaire d'Etats, quelles pourraient être les interactions, forcément souterraines entre les présidents Aly Bongo du Gabon, Alassane Ouatara de la Côte d'Ivoire, le Roi du Maroc, l'Emir du Qatar, les forces sociales du Sénégal ?
Et pourtant force est de constater que ces interférences multipolaires ont généré la combinaison essentielle, qui a permis de décadenasser le cachot de Karim. Le mode opératoire utilisé pour le tirer de son univers carcéral rappelle singulièrement, celui utilisé, pour sécuriser un parrain de haute voltige. Et pourtant, pour le commun des Sénégalais, la chose relevait d'une simplicité proverbiale. En effet, il ne s'agissait pour eux que d'une grâce présidentielle, normalement attendue, et à l'issue de laquelle, le bénéficiaire rejoindrait ses pénates après quelques instants de forte émotion. Et rien de grave s'il regagnait à Versailles, ses enfants orphelins et ses parents en âge avancé. Et l'honneur serait sauf ! Sans frais !
Face à cette mystérieuse vacuité, épiloguer sur l'avenir politique de Karim Wade apparaît bien incongru. Après cet innommable épisode, Karim Wade est passé de victime d'un système politique à une inconfortable posture dans, ce qui apparaît comme une scabreuse manipulation. Le temps nous édifiera sur le rôle qu'il y aura joué. Alors que de lourdes contraintes pèsent sur lui en dépit de la grâce, Karim Wade pourra difficilement agiter le levier de la victimisation pour être un adversaire crédible face à un Macky Sall, pour l'heure en meilleure position.
En effet, le Président Sall, libérateur du plus célèbre prisonnier sénégalais, va probablement engranger l'estime et la reconnaissance des foyers religieux, pour avoir enfin fait preuve de magnanimité. Même si cette mansuétude (tardive) est très relative si l'on l'apprécie à l'aune de la nature inique de la CREI et du poids des consignes sur la conscience des juges durant tout le processus judiciaire de l'affaire Karim Wade.
A vrai dire, on en est qu'au début de l'histoire d'une affaire à rebondissements, à l'allure anthologique. Seule la révélation de ses obscurs desseins donnera les éclairages pour une meilleure appréciation de ses enjeux. Cependant, dans l'imagerie populaire sénégalaise, la tentation est forte de renvoyer dos à dos les protagonistes de cette ténébreuse occurrence. Karim Wade reste, en tout état de cause, politiquement handicapé par la lourde hypothèque sur ses droits civiques et politiques. Il est susceptible d'être soumis à la contrainte par corps s'il ne remboursait pas la bagatelle de 139 milliards. Son parti, le PDS est en lambeaux et ne voit son salut que dans sa dilution dans la majorité gouvernementale. En conséquence, ses perspectives politiques sont certainement plus sombres que jamais, s'il tentait de reprendre la main. Ce qui est moins sûr compte tenu de l'adversité ambiante qui l'attend à l'intérieur comme à l'extérieur de son parti, décapité, sans autorité, vidé de ses cadres, en instance de transhumance ou de ralliement.
Si dans un court ou moyen terme, la libération de Karim Wade se révélait comme une scandaleuse transaction politico-financière, alors, l'image présidentielle en prendrait un sacré coup. Et pour cette fois, il faudrait une véritable baraka à Macky Sall, pour s'en tirer à bon compte, comme ce fut le cas, après sa promesse non tenue de réduire son mandat.