UNION AFRICAINE, DEUX MONDES À PART !
Qui, à Nouakchott, osera soulever le couvercle sur la question Sahraouie ? Qui parlera du retour en force des mandats inconstitutionnels ? Qui dira halte aux chefs d’Etat anti-démocratiques, tel Sassou-Nguesso, se nourrissant de médiations en Libye ?
C’est l’histoire d’un rêve féérique devenu un monstrueux cauchemar. À ma gauche, des peuples dont la vie n’est rythmée que par la peur du quotidien, la pauvreté, les violences urbaines, les dislocations sociétales, l’incertitude alimentaire, le feu des extrémismes, notamment religieux, la résurgence des pandémies transfrontalières, le chômage, les déficits d’infrastructures physiques ou sociales et les restrictions sur les libertés.
À ma droite, des dirigeants, publics au sommet des États, de connivence avec des acolytes privés, tous dans une tour d’ivoire, piaillant sans discontinuer sur des thèmes certes porteurs mais défraîchis à force d’être trahis. Sans qu’ils ne s’en rendent compte, ils ont fini, à travers toute l’Afrique, de massacrer les idéaux de l’intégration africaine, du progrès social ou du redressement économique et démocratique.
Désabusés, les peuples se laissent aller à vau-l’eau tandis que les autres, leaders étêtés, nagent dans leur univers onirique, emportés par leurs verbiages et leurs trahisons…
Au milieu, une grande idée gît par terre, anémiée, plus fabrication conceptuelle que réalité tangible, encore moins symbole d’une Afrique renaissante qu’elle devait impulser, par sa propre mise à jour…
Qui donc croit encore en la capacité de l’union africaine (UA), l’instance de coopération panafricaine, à insuffler espoir et joie de vivre sur un continent où, comme jamais avant, le décalage n’a été aussi criard entre les tenants d’un rêve éveillé, d’un Agenda théorique dit Agenda 2063, et ceux, unifiant tous ses peuples, autour de la quête d’un minimum vital…
L’Afrique officielle, optimiste et sûre d’elle-même, se donne rendez-vous à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, pour y tenir l’une de ses nombreuses réunions statutaires. Flonflons et tambours y seront déployés aux côtés des marques de souverainetés nationales.
Chefs d’Etat et de gouvernement, partenaires extérieurs de tout niveau et acabit, hommes d’affaires et acteurs des médias ou de la société civile tenteront, pour ne rien rater à l’événement, de gruger les chambres d’hôtel dans un pays encore à l’état enfantin dans son processus de développement.
De loin, désintéressés, les peuples africains, sourcils froncés, ne guetteront qu’avec détachement les péripéties de cette rencontre. Faute d’avoir le ventre plein, sans espoir ni avenir à la vue des comportements dans leurs pays et ceux des dirigeants qui en ont la charge, pourquoi ajouteraient-ils à leurs tourments ? Ils savent que rien de sérieux ne sortira de ce sommet de l’union africaine.
Les plus critiques n’hésitent pas à penser qu’il est plus destiné à servir de rampe pour le reniement de l’hôte de l’événement, le Général Abdel Aziz, à son terme, à violer les limites constitutionnelles lui interdisant un troisième mandat présidentiel. Allègrement, se fera-t-il le plaisir de s’installer sur la plateforme à lui offerte par la présence de ses pairs, sitôt qu’ils lui auront tourné le dos. De cette légitimité obtenue, accordée dans l’irresponsabilité totale, sans réfléchir, qui pourra empêcher le pouvoiriste des céans de se proclamer, de facto, président indéboulonnable. À vie ! À moins que les généraux qui font de leur pays une dictature n’aient une autre idée ? À coup sûr, les mauritaniens n’auront que leurs yeux pour pleurer. À la suite des Rwandais, Congolais, Togolais, Ivoiriens, où les populations de la Guinée-Conakry, territoires ou la notion de 3ème mandat n’est plus taboue. Avant de ne plus l’être ailleurs.
Comme donc en Mauritanie ? Quid, par ailleurs, des noirs de ce pays encore plombé dans ses pratiques esclavagistes? On peut d’avance parier que ce sujet qui fâche ne sera pas sur les tablettes du sommet.
Pourquoi déranger l’hôte ? Pourquoi lui rappeler ses dérapages relativement au respect des préceptes démocratiques? ou encore évoquer même discrètement ceux relatifs au respects des droits humains on ne peut plus malmenés sur les terres arides de son pays balayées par les rigueurs de l’harmattan et ceux d’un soleil impitoyable ?
En acceptant de tenir ici leurs assises annuelles, les dirigeants du continent prouvent à quel point leur cynisme est raffiné. Les peuples africains ne s’y trompent pas, qui ont heureusement la chance de regarder ailleurs. Vers le lointain horizon où trône un certain Vladimir Poutine, ce Tsar des temps modernes, qui, lui, ne cache pas son aversion pour le pluralisme démocratique. Au moins, sa clarté en la matière est, si l’on ose dire, la preuve qu’il en a.
Ca tombe bien: les facéties et exploits des footballeurs du monde entier, symptomatiques d’une géopolitique du ballon rond, ne signent pas seulement le réveil Russe. Ils justifient que l’Afrique, désespérée, concentre son attention loin des prévisibles préconisations de ce que, plus à tort qu’à raison, on appelle un Sommet africain.
Par ses indécisions et omissions, son incapacité à produire les livrables inscrits sur ses plans et programmes, comment l’Ua peut-elle encore retenir les cœurs et esprits qu’elle était supposée requinquer ?
Il en est ainsi depuis sa création en 2002. Déjà pâle copie du modèle européen, jusque dans son acronyme et ses instances de gouvernance, ses politiques et postures, l’UA n’est jamais parvenue à ce jour à être ni une voix crédible s’exprimant au nom du continent ni une force effective dans la recherche de solutions aux défis africains. Au plus, reste t-elle ce pitoyable syndicat de chefs d’état naguère raillé par le défunt président Tanzanien, Mwalimu Julius Nyerere. Le pire, c’est que sa philippique lancée, voici plus de trois décennies, à la devancière de l’UA, feue l’Organisation de l’unité africaine (OUA), est plus percutant que jamais.
Elle va comme un gant à une institution dont la naissance au début de ce siècle et ses diverses réunions ont toujours été présentées comme l’expression d’une nouvelle Afrique. Dans les faits, rien n’en montre les effets une fois le vernis verbal évacué !
Par les torrents de discours, répercutés aux quatre coins du monde et d’abord du continent, ses fondateurs n’ont eu de cesse de s’évertuer à faire accroîre qu’était enfin advenu le temps, longtemps différé, de l’Afrique, ultime frontière du développement, terre d’espoir pour ses peuples et le reste d’un monde en panne de poches de croissance.
Pourquoi alors rien de cette illusion magique, mirifique, ne se donne à voir ?
La vérité est que l’UA est née sur de multiples méprises pour ne pas dire mensonges. Et dont les derniers sont projetés par les reniements partout dans la lutte contre la corruption et la promotion de la démocratie concrète, et, pis encore, par les fausses promesses contenues dans le soit-disant Agenda2063, loin de pouvoir faire taire les armes d’ici 2020 ; la zone économique de libre échange continentale (l’horrible sigle, Zleca) qui n’est rien d’autre qu’une reprise de la Communauté économique africaine (CEA), lancée, elle, en fanfare en 1991, à Abuja, avant son enterrement en cours de route…
Tout ce qu’il y a de remarquable dans l’UA, c’est son ingéniosité à enrober sa réthorique. C’est promis: elle imposera un prélèvement sur les recettes éligibles d’importation pour financer comme une grande ses activités, en oubliant de rappeler qu’elle ne fait que reprendre une solution initiée de longue date par la Cedeao sans que son sort ne s’améliore; elle se dote de mécanismes de paix sans convaincre le reste du monde à mettre des billes qui font défaut ni démontrer sa capacité à mettre en œuvre ses stratégies sur papier, remarquables, mais inopérantes contre les forces asymétriques dans les multiples zones crisogenes, du Mali à la Somalie ! Aucune des politiques sectorielles, en commençant par les 10 pour cent des budgets extatiques à consacrer à l’agriculture, n’est devenue une réalité.
L’UA, disons-le, reste un vaste moulin à paroles, si bien que on a l’impression de ne plus y discuter des questions essentielles: qui, à Nouakchott, osera soulever le couvercle sur la question Sahraouie; qui parlera du retour en force des mandats inconstitutionnels ; qui évoquera la démission fracassante d’un membre du comité de lutte contre la corruption au sein de l’organisation; qui dira halte aux chefs d’Etat anti-démocratiques, comme le Congolais Sassou-Nguesso, se nourrissant de médiations en…Libye ; qui suscitera un débat sur les forces interlopes, maconniques, neocoloniales, impérialistes et autres qui sont de plus en plus les lieux d’impulsion des pouvoirs etatiques ou continentaux ?
Engoncés dans leurs volontés de grandeur, les dirigeants africains que l’on verra en Mauritanie apparaîtront pour ce qu’ils sont: dépassés par le vrombissement d’un monde porté par une irrésistible techtonique des plaques numériques, révolution intenable, et par la montée en puissance de nouvelles disruptions en déphasage avec leurs copinages et réthoriques désuets.
Aucun peuple ne sera là pour le leur dire. On les laissera se convaincre d’être sur le droit chemin. Hors des rails de la vraie histoire en marche ! René Dumont n’avait pas tort : aujourd’hui, plus qu’hier, l’Afrique reste mal partie…et reste désormais écartelée entre dirigeants dans les nuages et peuples rêvant, en silence, d’un grand soir. Qui rêve encore d’un rising scénario ? Il ne se fera pas par la ruse et la duplicité.