USAIN QUI RIT, ISABELLE QUI PLEURE
Le sport à l'école instauré dès les premières années qui permettait de vulgariser la pratique sportive, de détecter et de suivre les talents à travers des compétitions interscolaires et nationales a été très tôt abandonné
Pourquoi la Jamaïque se couvre t-elle d'or encore alors que le Sénégal rentre encore bredouille de toute médaille, comme à chaque Olympiade depuis plus de cinquante ans ? Pourquoi Usain Bolt rit pendant qu'Isabelle Diédhiou pleure ?
La Jamaïque est pourtant un tout petit pays de seulement 10.991 Km2 de superficie soit moins de 6% de celle du notre, avec une population de moins de 3 millions d'habitants. Indépendant depuis seulement 1962 c'est tout comme le Sénégal un pays pauvre, sous développé dont les principales ressources proviennent également de l'agriculture, de l'exploitation des ressources naturelles (là bauxite) et du tourisme.
Si ce pays a le privilège d'être le berceau du Rastafarisme, d'avoir donné au monde le Reggae et d'avoir enfanté Bob Marley, il est confronté à de terribles catastrophes naturelles (typhons et pluies torrentielles) qui sont fréquentes dans les Caraïbes et connait l'un des taux de criminalité et de violence les plus élevés au monde, du fait surtout de l'omnipotence des narco trafiquants.
L'exemple de la Jamaïque démontre donc que l'indigence du sport sénégalais ne saurait être attribuée ni à la taille de notre pays ni à son niveau de développement économique et social.
"Plus que le poids, c'est plutôt la capacité du pays à investir dans le sport qui permet la performance…. Ce n'est pas le PIB qui permet le résultat …la démographie n'a rien de surdéterminant…° écrit d'ailleurs à ce propos, Pascal Boniface, un analyste français, auteur d'une étude sur les jeux Olympiques (JO Politique). S'investir dans le sport est devenu une nécessité pour tous les États du monde, petits et grands, riches et pauvres.
C'est en effet à travers le sport aussi, à travers les athlètes que chaque État se projette désormais au monde et se donne une place parmi les autres nations, conquiert respect, envie, sympathie ou empathie.
Les analystes du politique considèrent que le sport joue désormais un rôle essentiel dans la géopolitique contemporaine, en tant que composante décisive du "soft power", cet arsenal d'attributs permettant aux États de déployer pacifiquement leur influence à travers le monde.
C'est pourquoi organiser des jeux, tels les Jeux Olympiques ou les grandes compétitions internationales de football ou gagner des médailles lors de ces événements est devenu un enjeu majeur de politique internationale.
Une étude du Kings College London montre ainsi qu'à la suite des Jeux Olympiques de Londres en 2012 qui ont été suivi par la moitié de la population du globe soit plus de 3,5 milliards personnes, 35% des habitants des pays les plus importants stratégiquement pour la Grande Bretagne estiment que ce pays leur apparait désormais comme une destination attractive pour leurs études ou leurs investissements.
Aux Jeux de Rome en 1960, la France n'a gagné aucun titre et s'est classée 25ème, ramenant quand même quelques médailles d'argent et de bronze (dont celle d'un certain Abdoulaye Séye sur 100 mètres). Le Général De Gaulle vécut cela comme une humiliation.
"Si la France brille à l'étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs. Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif." C'est à partir de là que fut mise en place la politique sportive que vaut à la France de se hisser à Rio au 7ème des pays par le nombre de médailles.
A Cuba, c'est la politique sportive proclamée par Fidel Castro en 1961, pour exalter la Révolution et pour exister au plan international, face aux États Unis qui a fait de cette ile de onze millions d'habitants seulement, 40% plus petite que le Sénégal, l'un des tous premiers pays au monde au plan du sport. La défaite de nos athlètes signale en creux l'absence de telles ambitions politiques.
Quand le Vice président du Comité Olympique Sénégalais réfute le qualificatif "d'échec" de la participation de notre pays à Rio et estime que "le Sénégal est objectivement à sa place" et que le Secrétaire Général du Ministère en charge des Sports prétend illustrer "l'appui" de son département par les "bourses" attribuées à quelques athlètes, ils révèlent l'absence d'ambition de ce qui tient lieu de politique sportive de notre pays.
En fait, dans le domaine du sport comme dans d'autres, les gouvernements qui se sont succédé à la tête de ce pays ont toujours procédé par tâtonnement et improvisation. Le sport à l'école instauré dés les premières années qui permettait de vulgariser la pratique sportive, de détecter et de suivre les talents à travers des compétitions interscolaires et nationales a été très tôt abandonné. Les infrastructures sportives de niveau international se résument encore pour l'ensemble du pays à deux ou trois unités, toutes à Dakar.
Si la débâcle du sport sénégalais à Rio pouvait être ressentie par les responsables du sport de ce pays et d'abord par le Président de la République particulièrement comme le signe d'une indispensable et urgente nécessité de définir une véritable politique, elle aura servi à quelque chose.
On pourrait ainsi à travers une réflexion collective réunissant autour des autorités politiques, des sportifs, des spécialistes du sport et d'autres spécialistes, sans tenir compte des appartenances politiques, procéder à un diagnostic sans concession et définir un projet sur le long terme.
L'on convoquera aussi l'esprit de ces immenses athlètes qui ont posé les jalons du sport sénégalais et dont l'héritage n'a pas été préservé alors qu'ils ont contribué pourtant au prestige dont ce pays jouissait pendant les toutes premières années post indépendance. Abdou Séye, Papa Gallo Thiam, Habib Thiam, Raoul Diagne , Amadou Gakou sont de ceux là.
On bâtira ensuite un consensus national fort autour de ce projet de manière à lui assurer, quelque soit le régime en place, le soutien politique et les ressources requises. Ainsi, les enfants d'Isabelle reviendront des Jeux Olympiques couverts d'or et de gloire. Les Sénégalais arboreront alors un sourire conquérant face au monde.