À vau-vent
Au Sénégal, la République vacille. Depuis longtemps les signes d’affaiblissement s’accumulent. L’édifice, jadis solide, chancelle. Qui s’en émeut ? Si aucune voix ne s’élève pour alerter, le silence qui s’observe s’apparente à de l’indifférence.
Au Sénégal, la République vacille. Depuis longtemps les signes d’affaiblissement s’accumulent. L’édifice, jadis solide, chancelle. Qui s’en émeut ? Si aucune voix ne s’élève pour alerter, le silence qui s’observe s’apparente à de l’indifférence. Cette étrange attitude, aussi bouleversante que renversante, ouvre un large boulevard dans lequel s’engouffrent de non moins étranges personnages.
Le piètre spectacle peut dès lors commencer…Un tel vaudeville intrigue plus qu’il ne divertit. Il déjoue notre vigilance et dilue nos responsabilités en même temps qu’il s’attaque aux fondements de notre corps social. Tous ceux qui détiennent du pouvoir (ou qui aspirent à l’exercer) ne perdent pas de vue qu’ils gouvernent au détour d’un mandat conféré par le peuple souverain.
Au-delà des prismes partisans (lutte, passions et désirs), les républicains partagent l’idéal de construire une société qui fraternise sur fond d’une égalité synonyme d’absence d’arbitraire. La liberté s’y épanouit et la peur s’en éloigne.
Mais les brèves et répétitives apparitions de gens loufoques à côté du Président de la République inquiètent plus qu’ils ne rassurent. Dans un contexte préélectoral à forts enjeux la quête de suffrages peut justifier certaines opérations de charmes.
De là à s’afficher avec des éléments loufoques en rupture de ban, paraît quelque peu osé alors qu’une imposante frange de l’opinion goûte peu à leurs sinistres simagrées. Certes les signes importent en politique. En revanche la politique n’est pas que signes et signaux. Elle est aussi un réceptacle d’actes dont la solennité charrie l’exemplarité.
Avait-on besoin de « viraliser » des vidéos relevant au détail près ces rencontres d’un genre particulier ? A-t-on mesuré les risques de discrédit encourus par la diffusion des ces scènes indélicates ? Que rapportent ces images et autres rendez-vous en termes de gains politiques ? Quel intérêt y avait-il à le faire savoir en les rendant publics ? Bien évidemment ces questions peuvent demeurer sans réponse.
Toutefois, les desseins inavoués mais poursuivis par les artisans de ces rapprochements cachent un jeu malsain qui pourrait, in fine, être contreproductif. En clair, le Président de la République reste la clé de voûte de nos institutions. Il est au-dessus de la mêlée qui, comme son nom l’indique, rassemble tout et son contraire. Si bien que l’entourage présidentiel assure le rôle de filtre et peut, par moment, même ramer à contre courant en trouvant des « portes de sortie honorable ». Sous cet angle, il peut peu, s’il n’est pas aidé…
Les saltimbanques en mal de reconversion ne pouvaient-ils pas êtres reçus en audience par la palanquée de conseillers dont dispose le Chef de l’Etat ? D’ailleurs, à quoi servent-ils si ce n’est justement d’être des « conseillers de l’ombre » ! A moins qu’ils ne se suffisent d’être à l’ombre. Ce qui change les perspectives. En tout état de cause, ça se saurait par divers canaux à l’aide d’une panoplie de réseaux convergents au Palais. Ceci aurait pour effet de dissimuler la manœuvre sans « exposer » la personne du Président de la République, entendue au sens d’Institution.
Contexte électoral ou pas, la fonction s’exerce dans sa plénitude et transcende les conjonctures.
L’opportunité de défier le Président, de le challenger et de le contredire constitue un privilège qu’octroie et permet la démocratie. En toutes circonstances. Tout opposant jouit de ce prestige. Dès lors, sa conduite publique se doit d’être irréprochable pour s’attirer des faveurs. Naturellement, il conçoit sa démarche selon sa sensibilité, son feeling, son appétit de conquête, sa rage de vaincre, son habileté, sa souplesse ou sa radicalité.
Au plus fort de l’âge d’or de l’opposition sénégalaise, les « années de braise », Abdoulaye Wade, qui en était le Pape et la boussole, se permettait toutes les audaces mais cernait toujours les limites à ne pas dépasser. Sa radicalité était à géométrie variable. Il appréciait les contextes et posait des jalons avec un sens inné de la répartie qui désarçonnait le pouvoir ?
Il eut, à son actif, plusieurs initiatives : congrès, colloques internationaux, conférences publiques, interventions, analyses. Il menait sur un double front l’action et la réflexion. L’hostilité à son égard fut farouche. Son flair florentin l’aidait à démêler les circonstances, à identifier les acteurs et à donner le coup d’après qui désarticulait le camp adverse détenteur de tous les moyens pour le réduire au silence.
Chacune des grandes idées de Abdoulaye Wade était disséquée à l’interne, moulinée puis testée à une échelle réduite, sorte de laboratoire que constituait la fameuse Fondation Neuman d’alors avant d’être largement partagée. A lui seul, Wade était une Ecole de pensée (travailliste) qui a fait éclore des talents indiscutables. Sur une longue trajectoire, la tradition libérale s’est ancrée dans ce Sénégal plutôt conservateur, du moins rétif aux bouleversements pour finir par faire jeu égal face au socialisme dont la pâleur préfigurait le déclin inéluctable.
A plusieurs reprises, il apparaissait comme l’homme de la situation. Mais sa vive intelligence politique l’amenait à différer les « jalons » pour privilégier la maturation de ses projets, la construction d’alliances stratégiques et la formation politique d’hommes prêts pour le remplacement en cas d’arrivée victorieuse au pouvoir un jour.
Avec Wade, le temps long a une finalité politique qui jure d’avec l’empressement dont font montre la plupart des leaders d’aujourd’hui. Ils déconstruisent plus qu’ils n’échafaudent. Tout semble se jouer sur le temps court qui ne permet le recul, à fortiori l’anticipation alors que la complexité, lot de nos sociétés contemporaines, ne facilite guère la lucidité dans la prise de décision. Parce que tout est urgence. Et tout est priorité.
Tandis que les pressions se démultiplient parfois de manière fantaisiste au point de gangrener l’Etat par des surenchères intenables dans une République encore fragile.
En dépit de ce qui les divise, les acteurs de l’échiquier politique ont en commun la mission de sauvegarder la République, ses valeurs et ses acquis historiques. Nul d’entre eux n’a le droit d’ébranler l’édifice dont la solidité dépend du sens de la mesure de chacun et de tous. A l’évidence les ambitions s’expriment parce que la liberté acquise aujourd’hui est le fruit d’âpres luttes menées par les générations précédentes. Ne l’oublions pas.
De ce fait, à chaque cycle politique correspondent des conquêtes dont le cumul épaissit le parcours démocratique de notre pays qui ne pourrait en définitive que s’enorgueillir.