VERS LA ROBOTISATION DU FOOTBALLEUR ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Je crains qu'à la longue, à force de data et d'intelligence artificielle, les joueurs ne se sentent sous surveillance constante, qu'ils perdent en liberté et en spontanéité
Je ne fais pas partie des détracteurs de l'arbitrage vidéo. Malgré ses imperfections, je trouve qu'il permet d'amoindrir les risques d'erreurs. Et, circonscrit aux seuls litiges concernant un but, un penalty, un carton rouge, il n'est pas si intempestif que d'aucuns le disent. Le gain en équité qu'il offre vaut bien les moments de flottement qui "cassent le rythme" que regrettent nombre de puristes.
En revanche, je suis plus perplexe sur l'autorisation lors de ce Mondial russe de statistiques en temps réel depuis le banc de touche. Cela permet au staff technique d'une équipe d'avoir le nombre de kilomètres courus par un joueur, la vitesse à laquelle il court, le nombre de fois où il traine longuement les pieds pour reprendre son souffle au lieu de faire le repli défensif etc. Je crains qu'à la longue, à force de data et d'intelligence artificielle, les joueurs ne se sentent sous surveillance constante, qu'ils perdent en liberté et en spontanéité.
En effet, bientôt peut-être, un entraîneur pourra, par exemple, dire à son joueur au bout d'une demi-heure de jeu : "Tu es censé courir X km/h et couvrir telle distance or depuis le début de match tu ne cours que Y km/h et tu couvres une distance moindre...". En mettant les chiffres au centre du jeu, le risque est de tout expliquer par eux et de remplacer les idées et inspirations de génie d'un coach par les résultats d'une combinaison de statistiques.
Et sachant que plus on circonscrirait la liberté du joueur aux chiffres qu'on lui collerait plus il perdrait en liberté et en imagination, nous assisterions à une forme de taylorisation du foot. Nous risquons au bout du compte de voir les joueurs perdre l'insouciance, la fantaisie, la confiance dans l'instinct qui font la beauté de ce sport.
Dans les années 90, Silvio Berlusconi, président du Milan AC, avait décidé de mettre des caméras de surveillance à Milanello, le centre d'entraînement du club. Il voulait voir si des joueurs ne trichaient pas aux entraînements. Zvonimir Boban, meneur de jeu d'exception et parmi les cadres de l'équipe, était monté au créneau pour demander que cessent ces méthodes intrusives et avait obtenu gain de cause. Avec l'innovation expérimentée lors de cette Coupe du monde, c'est la porte ouverte à ces méthodes intrusives et à la robotisation rampante des footballeurs.
Racine Assane Demba tiendra cette chronique sur SenePlus, le temps de la Coupe du monde de football en Russie. À l'improviste, il partagera ses avis, analyses, coups de cœur.