VICTIME DE RACISME, LE SENEGALAIS BATTLING SIKKI TUÉ PAR BALLES A NEW-YORK
Coin d’histoire - Premier champion du monde de boxe d’origine africaine
Louis Mbarick Fall est né le 16 septembre 1897 à Saint-Louis. C’était un fils du populeux quartier de Guet-Ndar qui a été remarqué pour sa carrure athlétique par une touriste hollandaise qui visitait notre pays. Cette dame, Lillian Antje, présentée comme une danseuse professionnelle de cabaret, avait été impressionnée par les talents du jeune Mbarick Fall qui, du haut d’un pont, plongeait au plus profond du fleuve afin de récupérer les pièces de monnaie lancées par les touristes et ramenait toujours une pièce entre ses dents. Elle s’arrangera pour l’amener en Europe, d’abord parce qu’elle en était amoureuse mais aussi et surtout parce qu’elle savait qu’avec sa silhouette athlétique et les performances sportives qu’il pourrait accomplir, Mbarick Fall ferait sensation.
C’est un journaliste hollandais, Albert Stol, qui sera parmi les premiers auteurs à écrire un livre sur le boxeur sénégalais, ouvrage traduit en plusieurs langues et qui sera porté au cinéma. Albert Stoll a connu une femme en Hollande, qui lui racontait que sa tante, qui avait fait un séjour en Afrique, a été mariée avec un Sénégalais. Elle avait des photos du jeune saint-louisien en carrosse avec sa tante dans les rues d’Amsterdam et quelques lettres que cette dernière échangeait avec des proches. Albert Stoll a donc fait le voyage à Saint-Louis avant de passer plusieurs années au Sénégal comme correspondant d’une Ong hollandaise qui faisait partie des bailleurs de fonds de l’une de ses correspondantes au Sénégal. Outre les articles de journaux qui relatent la carrière de Battling Sikki, c’est surtout le livre d’Albert Stoll qui a retracé la vie et la carrière de celui que les Européens appelaient Louis Mbarick Fall avant que sa victoire historique sur le champion du monde des poids moyens, le Français Georges Carpentier, ne le rende célèbre dans le monde entier.
Le combat avait été arrangé entre les managers des deux boxeurs. Pour ce combat, Carpentier, qui devait conserver son prestige contre un boxeur sans renommée, devait gagner sans risque. Les deux managers décident donc que Battling Siki devait se coucher au quatrième round et donc laisser Carpentier gagner par KO. Mais un événement inattendu se produisit pendant la rencontre. Car, mis dans la confidence de l’arrangement entre les deux managers, Battling Siki a raconté plus tard ce qui l’avait motivé. «Le jour du match, j’étais très indécis et avais presque envie de faire le jeu qui avait été convenu entre Hellers et Descamps [son manager et celui de Carpentier, ndlr].»
Tiraillé entre son amour-propre et la perspective d’un argent facile, Battling Siki raconte avoir oscillé entre soumission et révolte sur le ring, au point de se faire copieusement insulter par son manager, alarmé de voir son boxeur ne pas respecter le scénario prévu. Finalement, il décide de se battre : « Avant la reprise du sixième round, Carpentier s’est porté sur ma chaise et m’a frappé alors que j’étais encore assis. Voyant cela, je suis parti comme un fou et j’ai cherché à le descendre.»
Les arbitres tenteront de remettre en cause la victoire de Louis Mbarick Fall qu’ils accusent d’avoir donné un coup bas ou un croc-enjambe à son adversaire. Le public, tout acquis à la cause de Battling Sikki, proteste bruyamment et les arbitres sont obligés de se plier. Battling est déclaré vainqueur. C’est plus tard seulement qu’il expliquera le « deal » entre les deux managers. Commence alors pour Battling une carrière prodigieuse.
Un journal français de l’époque relate les faits ainsi : « Rétrospectivement, on est forcé de s’interroger : Battling Siki a-t-il payé d’une suspension le fait de ne pas avoir respecté le deal passé entre son entourage et celui de Carpentier avant le combat ? »
Le cas Siki devient une histoire politique. A l’Assemblée nationale française, le député Blaise Diagne, également originaire du Sénégal, prend la défense du boxeur : « C’est pour n’avoir pas obéi aux directives de ceux qui, en organisant des spectacles truqués, enlèvent son argent au public que ce garçon qui, saisi par le sentiment de sa force, n’a pas voulu s’étaler à la quatrième reprise devant Carpentier a été condamné en France à crever de faim.» La fédération réintègre Siki, mais il est définitivement indésirable en France.
Battling Siki remet en jeu son titre face à Mike McTigue en Irlande. Il sera déclaré vaincu après 20 rounds âprement disputés, ce qui fit dire qu’il perdit à cause d’un arbitrage « à domicile ». Par la suite, il perd ses titres de champion d’Europe et de France par disqualification contre Émile Morelle. Mais il gagne encore deux autres combats par KO, puis part aux États-Unis où il perd deux combats successifs en novembre et décembre 1923. Il perdra l’un de ses derniers combats en 1925 par KO technique contre Paul Berlenbach. Mais, aux Etats-Unis, il mène une vie dissolue.
Noctambule, il fréquente les boîtes de nuit, se saoule tous les soirs et se bagarre souvent à cause de son mauvais caractère. Il ne supportait pas les insultes racistes ou l’injustice et ses poings lui servaient comme arme pour régler ses problèmes. De plus, il avait plusieurs ennemis chez les Noirs américains car il s’habillait avec faste, se promenait avec un petit léopard et avait épousé deux femmes blanches. Le gamin qui plongeait dans les eaux de Saint-Louis pour remonter les pièces jetées par les blancs eut le tort de sortir du rôle du pittoresque Africain qu’on lui avait assigné. « Il aimait les femmes blanches, les voitures blanches, les chiens blancs, le jazz et le champagne. C’était trop d’insolence et de nargue», a écrit un journaliste à propos de celui que la presse française surnommait « le championzé ».
Lui répondait : « Beaucoup de journalistes ont écrit que j’avais un style issu de la jungle, que j’étais un chimpanzé à qui on avait appris à porter des gants. Ce genre de commentaires me font mal. J’ai toujours vécu dans de grandes villes. Je n’ai jamais vu la jungle.» Battling Siki a été tué par deux balles dans le dos à New-York le 15 décembre 1925 et il a été enterré dans une fosse commune. En 1993, à l’initiative de Jose Sulaimán, président du World Boxing Council (l’un des organismes qui régit la boxe), sa dépouille fut rapatriée à Saint-Louis où notre éminent compatriote repose désormais à Thiaka Ndiaye.