VIOLENCE HANDICAPANTE OU MORTIFÈRE À REBEUSS, LA HONTE DE LA RÉPUBLIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Nos prisons ne sont plus des purgatoires où l’on amène l’individu fautif à la résipiscence mais des abreuvoirs de honte, des mouroirs où les détenus sortent trépassés, éclopés ou estropiés
Le vendredi 2 novembre 2018, devant les grilles du palais présidentiel, en plein jour, un homme d’une quarantaine d’années du nom de Cheikh Diop a décidé de s’immoler par le feu. N’eût été l’intervention d’un automobiliste qui a utilisé son extincteur pour éteindre le feu qui consumait le corps de cet ex-détenu de Rebeuss, ce dernier aurait rendu l’âme séance tenante. Mais cette mort qu’il cherchait à travers son geste suicidaire de désespoir survient deux jours plus tard à l’hôpital Principal où il était admis aux soins d’urgence. Ainsi Cheikh Diop, depuis qu’il a reçu cette injection handicapante d’un infirmier major de Rebeuss, venait de mettre fin à plusieurs mois de souffrance due à l’indifférence de l’Etat, qui, à travers son agent judiciaire Félix Antoine Diome, n’a jamais voulu se prononcer clairement sur l’indemnité afférente à son bras qui a été amputé.
C’est ici le lieu de fustiger les traitements dégradants et inhumains que subissent impunément et régulièrement les détenus de Rebeuss. Ce qui est incompréhensible, c’est le fait que l’infirmier incriminé, premier maillon de la chaine de faits qui ont abouti au passage à l’acte létal de Cheikh Diop ne soit pas entendu ni poursuivi. Dans une vidéo parue sur le site emedia.sn, Cheikh accuse le major Mamadou Ndiaye de lui avoir inoculé une substance qui a abouti l’amputation de son avant-bras droit.
L’agent de santé pénitentiaire n’est pas ce maton qui, très souvent, dans nos prisons, entretient des relations d’animosité voire d’hostilité avec les détenus. Comme le dit Evelyne Picherie, infirmière aux Unités de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) de Nantes, dans un document traitant du rôle de l’infirmier(ère) dans la trajectoire des soins pendant l’incarcération, « le personnel soignant doit savoir, lors des consultations, qu’il n’accueille jamais un individu en tant que détenu, mais en tant qu’être humain avec son vécu et ses difficultés ». Elle ajoute que « savoir écouter permet de mieux comprendre, de créer cette relation de confiance indispensable dans le soin, de signifier au patient qu’il peut être entendu, aidé, soigné et que la prison n’est plus ce lieu d’exclusion qu’il fut autrefois » avant de conclure que « soigner derrière les barreaux, c’est avant tout proposer la même qualité de soins qu’à l’extérieur, mais c’est aussi assurer le respect inhérent à la personne humaine ».
Malheureusement le respect de la dignité humaine des détenus a déserté les lieux détentions. Nos prisons ne sont plus des purgatoires où l’on amène l’individu fautif à résipiscence mais des souffroirs immondes, des abreuvoirs de honte et de dégoût, voire des mouroirs abjects où les détenus sortent trépassés, humiliés éclopés ou estropiés physiquement ou psychologiquement. Cheikh Diop est sorti de Rebeuss avec un bras amputé. Ibrahima Mbow est sorti le 20 septembre 2016 de Rebeuss dans une bière. Il a été abattu implacablement comme un chien à la suite d’un rassemblement de protestation que les matons de Rebeuss ont qualifié de mutinerie. Assane Diouf qu’on taxe d’insulteur public est aujourd’hui estropié. Les gardes pénitentiaires n’ont pas hésité à lui fracasser la jambe pour avoir voulu simplement rencontrer un codétenu du nom de Cheikh Mbacké Gadiaga. Le major qui est de loin la cause lointaine de la mort de Cheikh Diop, le maton qui abattu Ibrahima Mbow et les gardes qui ont fracassé la jambe d’Assane Diouf plastronnent dans la prison de Rebeuss sans être inquiétés alors que dans un Etat de droit de pareils actes auraient déclenché sans délai de poursuites judiciaires. A la suite de la soi-disant mutinerie de Rebeuss où Ibrahima Mbow a perdu la vie après avoir reçu une balle, le procureur de la République avait tenu une conférence de presse pour avouer honteusement l’échec de la justice et de la police sénégalaise pour n’être pas parvenues à identifier le tireur tueur de Rebeuss. Pourtant, des détenus libérés ont déclaré reconnaitre l’auteur de la mort d’Ibrahima Mbow mais pour le maître des poursuites, les déclarations d’anciens délinquants ne valent pas roupie de sansonnet.
La vraie justice devrait punir sans avilir si, du moins, l’on continue de penser qu’elle est rendue au nom d’une certaine conception de la personne humaine. Le rôle d’une administration judiciaire n’est pas de martyriser ni de tuer mais de corriger, d’assister et d’éduquer. C’est le triptyque de principes qu’on attribue au milieu carcéral. Mais dans nos prisons surpeuplées, les détenus souffrant le martyre, doivent porter stoïquement la croix de leur souffrance sans moufter. Faute de quoi, les conséquences risquent d’être néfastes dans les mitards.
Pour en revenir à Cheikh Diop, il faut dénoncer la responsabilité du personnel soignant de Rebeuss, de cette justice qui a refusé de reconnaitre la faute médicale de l’infirmier piqueur à l’origine de l’amputation de son bras. Après être débouté en première instance et en appel de ses demandes d’indemnisation par la justice qui n’a jamais voulu reconnaitre la culpabilité du major Mamadou Ndiaye, Cheikh Diop, après avoir déclaré dans une vidéo qu’il n’en pouvait plus, posait ipso facto le primum movens de son acte suicidaire qui interviendra quelques jours après.
La sédimentation de frustrations et de désespoir a poussé l’ancien détenu de Rebeuss rendu infirme à franchir le Rubicon. A travers son geste suicidaire, cet ancien émigré en Italie ne recherchait pas la mort, mais voulait mettre un terme à une souffrance profonde pour laquelle il ne voyait plus de solution. Ainsi, l’autodestruction était devenue pour lui la catharsis, voire la thérapie qui allait le libérer ou le guérir de toutes les injustices et souffrances que son Etat lui a infligées depuis cette injection létale jusqu’à cette matinée dominicale funeste où il a rendu le dernier soupir sur son lit d’hôpital. Mort dans des conditions atroces, justice doit lui être rendue et que ceux qui ont contribué à sa mort répondent devant la loi ! C’est un impératif catégorique de l’Etat de droit ! Mais ne risquons-nous pas de prêcher dans le désert si l’on sait que le Sénégal est une terre d’impunité où une certaine caste de politiciens (gens du pouvoir) et une certaine catégorie de fonctionnaires (magistrats, policiers, gendarmes, douaniers…) nanties d’une immunité étatique ne connaitront jamais l’enfer des cachots ?