«CE QU’ADAMA GAYE M’A DIT MARDI DERNIER… »
Grand'Place avec Bara Diokhané, avocat et artiste
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Artiste, peintre et collectionneur, Bara Diokhané est l’initiateur de la galerie Wuruss. Appelez-le également maître, car avant d’être tout ce qu’on vient de citer, il est d’abord avocat. Mais sa passion pour les arts le poursuit partout, même au barreau. Il est surnommé, au début des années 1990, par le journaliste Adama Gaye, “avocat des artistes’’. Un sobriquet qui le poursuit jusqu’à ce jour, même s’il réclame sa casquette de défenseur des droits humains. Ila été, dans une autre vie, manager, conseiller juridique, ami et disons “porte d’entrée’’ de Youssou Ndour. Il acheminé avec l’homme pendant près de 10 ans. Comme lui-même le dit, son compagnonnage avec You est fait de hauts, de bas, de moments forts ou tendus. Ils ont connu ensemble toutes les émotions. Il vous les raconte ici, dans le Grand’Place d’«EnQuête».
Comment êtes-vous passé de la robe noire au pinceau ?
J’ai prêté serment pour devenir avocat très jeune. C’était en 1977. Je crois que j’étais le plus jeune de la promotion constituée de 7 avocats. On m’appelait d’ailleurs le ‘benjamin du barreau’’. J’étais le plus jeune avocat du Sénégal, à l’époque. Après un stage de 3 ans auprès de Me Doudou Ndoye, ancien ministre de la Justice, j’ai eu l’insigne honneur d’être nommé premier secrétaire de la conférence du stage. Elle était une cérémonie qui clôturait la fin des stages. Le barreau organisait, à cette occasion, une sorte de procès fictif où on choisissait ceux qui étaient supposés être les deux meilleurs avocats de leur promotion. Autour d’un sujet, on demandait à l’un de défendre une thèse et l’autre devait plaider la thèse contraire. Ce sont ces avocats qu’on appelait les secrétaires de la conférence du stage. C’est un titre très peu connu, mais très prestigieux mais à l’interne. Il permet de distinguer les majors des promotions. J’ai fait mes études de droit à l’université de Dakar. Après mon stage d’avocat, je me suis inscrit au barreau et, depuis 1980, je me suis installé à mon compte. Je me rappelle avoir commencé à acheter des œuvres d’art, dès que j’ai commencé à avoir un salaire, en tant que jeune avocat. J’ai toujours une pièce qui date de 1977, d’un artiste sénégalais qui s’appelle Momar Guèye.
Est-ce à ce moment que votre intérêt pour l’art est né ?
Mon intérêt pour l’art a débuté quand j’étais étudiant en droit à l’université. Sur mon chemin, puisque j’habitais le Plateau, il y avait l’Ecole des arts et le Village des arts sur la Corniche. Je passais donc devant en allant à l’université sur ma mobylette. Très tôt, j’ai eu des amis qui étaient élèves à l’Ecole des arts. J’y allais pour les voir et les regarder travailler. C’est comme ça qu’a commencé ma passion pour la collection d’art, c’est-à-dire par d’abord le contact personnel, le vécu avec des artistes de mon âge, de ma génération. Je peux citer parmi eux El Hadj Sy, Aly Samb qui est à Orléans, Moussa Tine. Petit à petit, je me suis fait d’autres amis.
Vous n’avez jamais été tenté, à l’époque, d’intégrer l’Ecole des arts ?
Non, non ! J’étais intéressé par ce que faisaient les artistes. Je fréquentais leurs studios. Des fois, on sortait ensemble. J’allais souvent au Village des arts. La création de ce village était une merveilleuse expérience de la société sénégalaise, artistique à Dakar. C’est une belle histoire qui a malheureusement mal finie. Je ne pense pas qu’il y ait, après un foisonnement pareil, un tel dynamisme culturel et artistique de manière permanente au Sénégal que ceux notés à l’époque. Je ne pense pas, par exemple, que le nouveau village que certains appellent “Campement chinois’’ ait pu remplacer vraiment l’ancien village des arts. Il était mieux placé. Il était en centre-ville, donc plus accessible et il s’y passait beaucoup de choses. Il était ouvert. Cela s’expliquait peut-être par le fait qu’entre 1975, 1976 et 1977, c’était la fin du parti unique. L’ancien village des arts a joué son rôle dans la libre expression. C’était un lieu de rencontres de beaucoup de gens. Tout le monde y venait. C’était un lieu très intellectuel, mais aussi dynamique où se tenaient des conférences, des projections de films, etc. Il n’y avait pas que la peinture. On y trouvait beaucoup de choses. Il y avait des performances dans la cour. Un jour, après une soirée avec Joe Ouakam et d’autres artistes, en rentrant vers 5 h du matin, Joe a insisté pour qu’on fasse un tour au village des arts. Je n’y trouvais pas d’inconvénients. Mais une fois sur place, il a commencé à réveiller les gens sur place en leur disant “Sortez, il y a ici un avocat aujourd’hui. Il est certes votre ami, mais il est maintenant un avocat. Venez échanger avec lui’’. D’un coup, je me suis retrouvé autour d’un groupe d’artistes. Il me demandait ce que le droit a prévu pour eux. J’improvisais. Cette conférence n’était pas préparée.
Vous avez été avocat de ces artistes, quand ils ont été chassés du village. Comment êtes-vous venu à leur secours ?
C’est quelques mois après cette conférence improvisée que les artistes sont venus me voir à mon cabinet pour me demander de les défendre, parce qu’ils ont été expulsés et brutalisé par le nouveau régime d’Abdou Diouf. C’était en février ou mars 1982, je crois. A l’époque, on a beaucoup parlé de “désenghorisation’’. Avec le recul, l’on se rend compte que c’était un passage très difficile pour les arts et les artistes. Il y a non seulement cette expulsion des artistes du village des arts, mais il y a eu aussi la démolition de l’Ecole des arts qui était en face. Plus tard, il y a la fermeture du Musée dynamique et tout cela, ce sont des symboles forts senghoriens. On a parlé de la chasse aux barons, en parlant de la “désenghorisation’’, mais on n’a pas parlé de cette “désenghorisation culturelle’’ qui a fait beaucoup de torts et ce jusqu’à présent. Pendant 30 ans, il ne s’est rien passé au Sénégal, avant que la biennale n’arrive. Il y avait de bon et du moins bon. Je pense que cette agression, après le départ de Senghor, contre les arts et la culture, n’était pas bien. Il y a même eu une dépréciation du poste de ministre de la Culture qui était très prestigieux, à l’époque. Maintenant, tous les trois mois, vous entendez la nomination d’un nouveau ministre. On a eu ici un ministre sous Senghor qui s’appelait Alioune Sène. Il pouvait être à la hauteur d’un André Malraux, quand il visitait le Sénégal. Il pouvait tenir la conversation avec lui sur différents sujets.
Mais qu’est-ce qui avait mené à l’expulsion des artistes du village des arts ?
On a dit qu’un jour, au village des arts, il y a eu une pièce de théâtre, une performance de Joe Ouakam et Seydina Insa Wade. Ce dernier avait composé une chanson sur la mort ou l’assassinat, comme disent certains, d’Omar Blondin Diop. Et pour feu le sculpteur Moustapha Dimé, c’était cela le déclic qui explique l’intervention des forces de l’ordre. Cette histoire, je l’ai lu dans une interview de Moustapha Dimé parue dans un livre publié à New York. Il faut savoir qu’à l’époque, Omar Blondin Diop était un sujet tabou dans ce pays-là. C’est extraordinaire qu’en 2013 ou 2014, qu’on ait pu organiser à l’université Cheikh Anta Diop un hommage à Omar Blondin Diop. J’y ai assisté ainsi qu’un autre à l’île de Gorée où on a même pu accrocher sa photo dans sa cellule. Mais dans les années 1980, les artistes qui abordaient cette histoire était censurée. Seydina avait fait une chanson qui n’a jamais été passée. Et c’est cette musique qui a été utilisée pour la performance théâtrale, en hommage à Omar Blondin Diop. Par ailleurs, il y a un tableau qui matérialise ce qui c’était passé au village des arts. Il a été réalisé par Kalidou Sy, ancien directeur de l’Ecole des arts. On y voyait des bottes de gendarmes massacrant des cultures. C’était un tableau assez illustratif.
Quelle suite a été donnée au dossier, quand il a atterri sur la table du juge ?
Quand on m’a constitué en tant qu’avocat, je me suis dit que la première chose à faire est de constater les dégâts, d’évaluer les dommages. Pour cela, il y a une procédure d’urgence qui s’appelle le référé où le juge ne tranche pas le fond. Il prend juste des mesures provisoires. Donc, j’ai demandé au juge, sur la base de constat que j’ai fait faire par des huissiers, de désigner un expert pour qu’on puisse savoir ce qui s’est passé avant de voir qui a tort et qui n’a pas tort. On a gagné cette première bataille, parce que le juge a pris une ordonnance. J’avais assigné l’Etat du Sénégal devant le tribunal. Le juge a désigné à l’époque un expert, M. Dubosc. Il était un vieux Français qui avait un cabinet d’experts comptables à Dakar. A l’époque, il y avait beaucoup de Français dans les professions libérales, même chez les avocats. Moi, à l’époque, quand j’ai prêté serment, les plus gros cabinets n’étaient pas sénégalais. Il y avait deux problèmes. M. Dubosc était un expert judiciaire comptable. Il n’était pas un expert en art. Il ne pouvait pas estimer à sa juste valeur un tableau déchiré ou une sculpture brisée. On avait un problème de compétences dans ce pays. Et je crois que cela nous manque toujours. Pourtant, cela fait partie du marché de l’art. L’expertise en art est une discipline. La deuxième difficulté était que M. Dubosc réclamait une avance pour commencer à faire son travail. Il demandait beaucoup d’argent. Je ne me rappelle plus de la somme, mais je sais qu’on n’avait pas la somme demandée. On avait prévu de faire des ventes pour réunir la somme, mais cela n’a pu se faire. Finalement, une suite n’a pas été donnée à cette histoire.
Au-delà de ce dossier, vous en avez défendu d’autres pour des artistes ?
Dans ma carrière d’avocat, j’ai représenté Ben Diogoye Bèye dans une affaire entre Ben et la Snpc. J’ai écrit un texte qui est sorti sur Seneplus que j’ai intitulé “Thiaroye 44/ Camp de Thiaroye’’. C’est l’histoire de deux films. J’avais représenté Ben Diogoye Bèye, auteur et réalisateur de “Thiaroye 44’’ contre la Société nationale de promotion cinématographique (Snpc) dont Ousmane Sembène était le Pca. Ce dernier avait soumis son projet de film “Camp de Thiaroye’’, alors que “Thiaroye 44’’ était en pré production. Sembène a fait suspendre le projet de Ben et la Snpc a produit et financé le projet de “Camp de Thiaroye’’ de Sembène avec tout l’argent de la Snpc. On a porté plainte contre la Snpc pour rupture abusive de contrat. Je n’ai pas attaqué Sembène, mais la société. Sembène a été nommé par décret présidentiel. Avant lui, il y avait le cinéaste Mahamma Johnson Traoré. C’est sous la direction de ce dernier que la Snpc avait sélectionné le film de Ben, de manière officielle, après les recommandations du comité de lecture. Johnson Traoré a été viré rapidement et inélégamment. Tout le staff de la Snpc a été changé et Ousmane Sembène a été installé comme Pca.
C’est là que les problèmes ont commencé. C’est un épisode malheureux à plusieurs points de vue. “Camp de Thiaroye’’ est le seul film que la Snpc a financé avant de fermer. Il est également le seul film de Sembène qu’il n’a pas réalisé seul. Son coréalisateur est Thierno Faty Sow sur ce projet-là dont on ne se rappelle même plus d’ailleurs. Il était plus jeune, de la génération de Ben. D’aucuns l’ont pris comme un faire-valoir. Cette histoire a beaucoup peiné Ben qui était sur une pente ascendante. Il venait de remporter un prix au Fespaco avec “Sey, Seyati’’. “Thiaroye 44’’ était son projet majeur, qu’il avait coécrit avec Boubacar Boris Diop. L’histoire était basée sur une pièce de théâtre de ce dernier nommée “Thiaroye, terre rouge’’. C’est cela l’histoire de “Thiaroye 44’’. Ben avait commencé son repérage et même a embauché des acteurs. Il y avait des Algériens qui devaient jouer les rôles de Blancs. Il y avait un accord de coproduction avec la Tunisie. Tout était en place avant que quelqu’un ne décide que ce film ne devait se faire. Au tribunal, il a été facile de montrer qu’il y avait rupture de contrat. On a gagné le procès deux fois. Le tribunal a condamné la Snpc une première fois, je crois que c’était en 1989, à payer à Ben 10 ou 15 millions de F Cfa. La Snpc a trouvé que ce n’était pas normal. Moi, de mon côté, je trouvais la somme insuffisante. Toutes les deux parties ont fait appel. En appel, on a eu 20 millions. Mais ce n’était que de l’argent. Vingt millions ne pouvaient pas réparer tous les dégâts, ni faire un film. C’est ainsi qu’est mortné “Thiaroye 44’’.
Pensez-vous vraiment que quelqu’un ne voulait pas que ce film soit fait ?
Quand on réfléchit sur les causes profondes, il faut peut-être remonter aux contenus des deux textes. Il faut voir les différences et ce qui dérange. Sur ce qui s’est passé à Thiaroye, les gens se posent encore des questions et doutent des chiffres officiels délivrés par la France sur le nombre de morts. Ben décrivait un massacre dans son film. Il y a une thèse qui parle de 300 personnes tuées à Thiaroye et une autre qui parle de 35 personnes. Dans le film de Sembène, c’est le chiffre de 35 qui est repris. C’est peut-être cela qui dérangeait.
Vous assumez cette casquette d’avocat des artistes, comme on vous a surnommé ?
Vous savez, c’est votre collègue Adama Gaye qui m’avait collé ce sobriquet. J’ai encore l’article qu’il avait fait sur moi en 1991, je crois, dans “Jeune Afrique économie’’. Il avait intitulé son texte “L’avocat des artistes’’. Je suis allé le voir à Rebeuss, avant-hier. J’en parle, parce que, malgré mon étiquette “avocat des artistes’’, j’étais et je reste un avocat des droits humains. J’y tiens vraiment. C’est aussi important, sinon plus important. C’est un travail de fond que j’ai fait dans ce pays et ailleurs. Quand je suis allé rendre visite à Adama Gaye, cela m’a rappelé toutes ces obligations. J’organisais des visites dans toutes les prisons du Sénégal. J’étais, à l’époque, président de l’Association des jeunes avocats sénégalais. Avant, j’ai été secrétaire général de la même association. Je suis fier de dire que cette association a été l’une des deux ou trois premières associations des droits humains dans ce pays, avant toutes celles dont on parle actuellement et qui font du bon travail. C’est Amnesty International qui existait et qui s’occupait de liberté d’opinions. Il y avait une Association sénégalaise d’études et de recherches juridiques et l’Association des jeunes avocats sénégalais. J’avais l’annuaire de toutes les organisations des droits humains du monde. Au Sénégal, il n’y avait que ces trois-là qui y étaient inscrites à une époque. Je ne savais pas qu’on était connu. On avait déjà été remarqué. Alors, après une tournée d’Amnesty International sur les droits humains avec Youssou Ndour, j’ai pensé à une tournée au Sénégal et autour des droits humains. C’est comme ça que j’ai visité toutes les prisons du Sénégal. Au début, on était un groupe de cinq avocats. Des fois, il y avait des obstacles liés à la langue, parce qu’on voulait faire des conférences publiques sur les droits humains. Dans chaque région, on essayait d’identifier le problème de droit humain qui y est le plus récurrent pour échanger avec les populations autour de ça. On avait commencé par Tambacounda et le problème identifié à l’époque là-bas était l’état civil. Cela suscitait de l’intérêt, et plus on avançait, plus le groupe grossissait. On parlait de nous à la radio. Au-delà des conférences publiques, quand on arrivait dans une région, toutes les personnes qui devaient être jugées au cours de notre séjour, on plaidait pour elles gratuitement. Chaque fois qu’on passait dans une région, on libérait 30 ou 40 personnes qui dormaient dans les prisons. On appelait cela “Le tour juridique du Sénégal’’. Donc, chaque mois, on allait dans une région. Cela a attiré l’attention de la Fondation Ford. Ils ont voulu voir ce que nous faisions sur le terrain et nous sommes allés avec eux à Saint-Louis où on a été bien accueilli par feu Me Babacar Sèye, ancien membre du Conseil constitutionnel. On avait mangé du bon “cëbu jën’’ là-bas chez lui. Et le gars de la Fondation Ford, quand il a vu notre programme avec, en sus, les cliniques juridiques, il était impressionné. Ce programme était un grand succès national et international. La Fondation Ford a voulu nous aider. On leur a dit que la meilleure manière serait de nous aider à reproduire la même expérience dans les pays voisins. Pour l’étape finale à Dakar, on a invité des avocats du Mali, du Togo, du Bénin, etc. La Fondation Ford avait donné 75 mille dollars à cet effet. On a donc organisé ici une semaine des Droits de l’homme. On a invité les autres avocats à venir dans les prisons avec nous et plaider gratuitement pour des détenus. Nos invités sont rentrés chez eux et ont créé la même chose. Nul ne peut mesurer cet impact. Toute cette période correspond aux transitions démocratiques en Afrique. Ce fut notre contribution. Je veux aussi rappeler qu’aux Usa, j’avais défendu 14 jeunes Sénégalais qui avaient réussi la prouesse de traverser l’Atlantique sur un catamaran, après 47 jours de voyage, et qui s’étaient retrouvés en prison dans l’Etat de New Jersey. Après leur avoir rendu visite en prison, j’avais fait circuler une pétition en leur faveur et organisé un mouvement de soutien et de pression qui avait abouti à leur libération et rapatriement.
En tant que défenseur des droits humains, que pensez-vous de ce qui se passe au Sénégal, avec ces séries d’arrestations jugées arbitraires par certains dont celle d’Adama Gaye ?
Je déplore totalement l’arrestation d’Adama Gaye. Il est d’abord un ami de longue date. Nos familles se connaissaient bien avant notre naissance. Nous sommes liés par des rapports familiaux anciens. Ensuite, comme un militant des droits humains, je pense qu’arrêter un journaliste, sur la base d’écrits parus sur Facebook, relève d’une frilosité démocratique. Le Sénégal, le monde, a dépassé ces choses. Ce qu'Adama Gaye a écrit n’est rien par rapport à ce que certains chefs d’Etat entendent. Ils n’ont même pas le temps de lire ça pour réagir. Il faut qu’on arrête ça. Le crime de lèse-majesté n’existe pas dans une démocratie majeure. Je ne souhaite à personne de mettre les pieds dans cet endroit. Même le pire des criminels mérite un minimum légal dû à sa dignité humaine et à sa présomption d’innocence. Il ne faut pas oublier que Rebeuss est une maison d’arrêt et non un camp pénal. En principe, ce sont des gens qui n’ont pas encore été jugés qu’on met là-bas. Imaginez que certains meurent avant d’être jugés. On a tous entendu parler des conditions de détention et vu ce qui s’est passé dernièrement.
Vous avez vu Adama Gaye, vous lui avez parlé. Comment se porte-t-il ?
Il se porte très bien. Il était étonné qu’on dise qu’il est malade. Pour lui, c’est de la manipulation. Il m’a dit : “Regarde-moi. Ai-je l’air de quelqu’un qui est malade ?’’ Il y a deux jours (l’entretien est réalisé jeudi), il était en super forme. Il avait bon esprit. Il ne sait pas d’où vient cette information. De la même façon, il dit qu’une partie de son post Facebook n’est pas de lui. Ça aussi, il me l’a dit. Il dit être l’auteur d’une partie et que l’autre a été rajoutée.
Comment avez-vous connu Youssou Ndour ?
Je suis une fois sorti dans le journal “Le Soleil’’ accompagné des membres du célèbre groupe américain Kool and the Gang. J’étais leur contact au Sénégal, parce que je les avais rencontrés à New York. J’ai commencé très tôt à voyager. J’allais aux Usa ou en Europe très souvent. Quand ils sont arrivés ici, je les ai accueillis et j’avais fait en sorte qu’ils rencontrent le président Abdou Diouf et accueillent la rédaction du “Soleil’’. Je suis sorti dans la presse avec Kool. Quelques semaines après, l’ancien manager de Youssou au Sénégal, Latyr Diouf, m’a appelé. Je ne connaissais pas Youssou. C’est Latyr qui m’a approché pour me dire qu’il aimerait bien travailler avec moi. A l’époque, Youssou était sur le point de signer son contrat de premier album international. Je pense qu’il cherchait quelqu’un qui connaissait un peu le milieu de la musique et qui parlait anglais. On lui avait envoyé un document de 44 pages, tout en anglais. On est allé après ensemble à Londres pour finaliser le contrat avec Virgin. J’ai rempli plein de rôles à ses côtés. J’étais son conseiller. Je parlais à la presse ou lui arrangeait des interviews. J’ouvrais des portes sur l’international. Je l’assistais à fond, parce qu’il le méritait. Quand je le connaissais, il était connu ici et un peu en France, mais n’était pas encore star planétaire. Et même ici, son public était restreint au Miami, Balafon et Thiossane. Il m’arrivait d’amener des copains libanais, français ou américains au Thiossane juste pour leur faire découvrir la musique de Youssou Ndour. Quand il venait à New York, j’appelais mes amis. Donc, je mettais des ponts. Avec Youssou Ndour, on a une longue histoire avec des moments forts, tendus, des hauts et des bas. Pendant presque 10 ans, on était vraiment très proche jusqu’à l’obtention de son disque d’or. On se voyait tous les jours. Nos femmes se connaissaient. Quand il n’était pas là, quand il y avait un problème dans la famille, c’est moi qu’on appelait. J’étais là pour tout le monde. Quand il a monté Saprom, je l’ai accompagné dans ses relations avec les impôts, les banques. Il y avait un autre expert-comptable qui l’assistait beaucoup. C’était Aziz Dièye.
Qu’est-ce qui s’est passé après et qui a fait que vous n’avez pas continué votre collaboration ?
Tout allait bien jusqu’en 1995. Quand j’ai vu l’effet du succès après le disque d’or, je voyais quelqu’un d’autre. J’étais de moins en moins dans le bain. Dieu a fait qu’en 1996, j’ai quitté le Sénégal. Je n’ai pas eu le temps de terminer cela. Je l’avais quand même présenté à un avocat américain qui comprenait bien les droits liés à la musique, qui comprenait parfaitement le français et qui vivait à New York. Après, j’ai vu qu’ils faisaient tout ensemble. Ils m’ont écarté. Je suis allé en Amérique et je n’ai plus entendu parler d’eux. Il y a eu des concerts de Youssou au New York que je découvrais en même temps que tout le monde. Mais cela ne me dérangeait pas. Je n’avais pas de regrets, même si je me disais que c’était inélégant de terminer une relation comme ça. On n’avait donc plus aucune relation jusqu’au jour où quelqu’un m’appelle pour me dire qu’il m’a vu dans un film. Il m’a dit que c’était un film sur Youssou Ndour. Je me suis dit “Aah non, il ne peut me faire ça. Lui qui m’a mis écarté de son business sans même faire le point ne serait-ce que pour dire je te dois quoi ?’’. Avec ce film, je me suis dit, c’est une bonne occasion de lui rappeler que je ne suis pas mort. Je n’avais pas envie d’être dans ce film. J’ai saisi le réalisateur, le producteur et le distributeur du film. Je n’ai pas saisi Youssou. J’ai envoyé une mise en demeure à tous ces gens-là. Je leur ai dit que j’habitais à New York et que je ne voulais pas être dans ce film. Le thème du film était vicieux. Il racontait une histoire qui, pour moi, ne tient pas debout. Il dépeint les Sénégalais sous un jour qui me dérange. Le documentaire dit que quand Youssou Ndour a sorti l’album “Egypte’’, tout le monde a crié au blasphème. On l’a opprimé, menacé, traité de tous les noms. Après, il gagne le Grammy Awards et revient accueilli en star chez lui. Dans le film, ils utilisent même les images de l’attentat du 11 septembre. Qu’estce que cela à avoir avec l’islam du Sénégal ? Je n’ai pas aimé cela en sus des problèmes éthiques que j’avais avec You à cause de notre compagnonnage. Ils ont pris des vidéos de scène de liesse qui dataient de plus longtemps. C’était après que Youssou a gagné le disque d’or. Quand j’ai saisi les gens qui s’occupaient du business du film, Youssou m’a appelé alors que je suis resté 8 ou 10 ans sans nouvelles de lui. La procédure, en Amérique, était très complexe. Mais je suis arrivé à avoir mon jour d’audience. Chaque partie était représentée par un avocat. En Amérique, le juge demande d’abord aux parties d’essayer de régler leur différend à l’amiable. Quand on est sorti pour cela, je leur ai dit que je voulais qu’on enlève toutes les parties du film dans lesquelles on me voyait. Ils m’ont dit oui, on peut le faire. Je leur dis : vous m’avez causé un tort, je demande une compensation de 3 millions de dollars. Ils m’ont dit que c’était impossible, que c’était un film avec un budget d’un million 500 mille dollars. Je ne voulais rien entendre. On a plaidé après devant le juge. C’était très émotionnel. Le juge a, après, désigné un autre médiateur. J’ai fait cela par principe.
Et cette histoire avec Kabou Guèye dans laquelle vous avez joué un rôle important ?
Ça, c’est quand je suis revenu à Dakar. Kabou Guèye a été la première personne à m’avoir contactée. Il m’a dit qu’il a été exploité, depuis 30 ans, et qu’on a abusé de ses droits. Youssou et Thomas Rome étaient derrière. J’ai joué un rôle de médiateur dans cette affaire. On n’est pas allé au tribunal et Youssou n’a pas pris d’avocat. Je me suis dit que Kabou est venu me voir, parce que j’avais porté plainte avec l’affaire du film. J’ai demandé à Kabou pourquoi il n’avait jamais réagi, alors qu’il savait qu’il était exploité. Il m’a dit que c’est parce que je n’étais pas là et qu’il n’avait pas confiance en moi Il avait des droits sur plusieurs albums. De fausses déclarations ont été faites sur les chansons à l’international. Aujourd’hui, je suis encore médiateur dans une affaire de droits opposant encore Youssou Ndour et un autre auteur. Il s’agit d’Habib Faye. Il est venu avant son décès à New York me voir et m’a dit estimer que ses droits ont subi le même sort que ceux de Kabou Guèye. Il m’a chargé de le défendre. Après sa mort, j’ai vu avec sa veuve qui souhaite que j’entame une médiation.
Parlons de votre carrière de peintre. Quand avez-vous commencé à peindre ?
Il y a deux dates intéressantes. J’ai commencé à peindre avec l’avènement du nouveau millénaire. A New York, il y a de grands magasins de fournitures de matériels pour artistes. J’allais dans l’un d’entre eux et j’achetais des choses pour des amis artistes du Sénégal. Il y en a un ou deux qui, après l’étape du village des arts, étaient déprimés. Ils ne voulaient plus peindre. A chaque fois que j’allais dans ce magasin, il leur achetait des choses. Il s’agit d’Ibou Diouf et de Seydou Barry. En l’an 2000, je voulais faire autre chose pour accompagner le nouveau millénaire. Je suis allé au magasin habituel et pour une fois, j’ai acheté pour moi. Quand j’ai fait cela, j’ai senti des choses extraordinaires, mystérieuses, intéressantes. Pendant au moins deux ans, je créais tous les jours quelque chose. Cela a étonné. Quand je me suis retrouvé à New York, j’avais trouvé beaucoup d’amis artistes. Ils ont vu ce que je faisais et l’ont trouvé intéressant. Il y en a un qui venait tous les jours voir ce que je faisais. Je peignais pour les nouvelles sensations que cela me procurait. Cela correspondait à une fin de cycle chez moi. Je venais de quitter les Nations Unies où j’ai travaillé comme conseiller juridique au siège du Pnud à New York. En 2003, il y a eu un ami musicien qui vient chez moi et y trouve une de mes pièces. Il me dit qu’il y a un festival de Charlie Parker Jazz Festival. Il me fait savoir qu’il y a une galerie qui organise à chaque édition une exposition. J’avais un tableau en hommage à Charlie Parker. Il a proposé le tableau et ce fut ma première exposition. L’essentiel de mes expositions s’est tenu à New York. Il y a une autre date qui marque mes débuts. Un jour, j’ai reçu un mail d’une dame qui s’appelle Fabienne Kâ. Elle m’a dit qu’on était dans la même classe au lycée Van Vo en seconde. Elle venait de France et nous a rejoints cette année. Elle me dit, dans son mail, que quand les garçons la fatiguaient, je la protégeais et que pour la consoler, je lui ai offert un dessin. Il est signé et daté 1973. Elle m’en a fait une copie qu’elle m’a envoyée. J’y ai reconnu mon écriture et ma signature. C’est une caricature qui représente le président Nixon avec une colombe blanche dans sa bouche en sang. C’était l’époque de la guerre du Vietnam. Alors que je disais que j’ai commencé en l’an 2000, elle me dit que c’était bien avant.
Vous peignez toujours ?
Oui, je peins toujours. Moins quand je suis à Dakar. Je ne sais pas pourquoi. Ici, je fais beaucoup d’esquisses. J’ai un carnet et quand je ne peins pas, je dessine. Des fois, je prends beaucoup de photos. Elles me servent après de base.
Vous avez des artistes préférés ?
Oui, beaucoup ! Il faut savoir qu’au Sénégal, il y a beaucoup de générations d’artistes.
Votre collection vaut combien aujourd’hui ?
Une collection n’a pas de prix. Elle vaut zéro en ce moment, parce qu’elle n’est pas sur le marché. Elle n’est pas chez un galeriste. Ma collection n’est pas à vendre. Si je voulais la vendre aujourd’hui, il n’y a pas un expert qui peut estimer la valeur de ces tableaux. J’ai la plus grande collection d’œuvres de Mor Faye et je le promeus depuis 25 ans. J’ai travaillé sur la question des problèmes de la culture très longtemps. J’avais même trouvé des financements de la Banque mondiale qu’ils ont mal utilisés, sans même me payer mes commissions. Cet argent devait servir à restructurer, développer les ressources culturelles du Sénégal. C’est un dossier que j’ai personnellement défendu devant un panel d’experts de la Banque mondiale. C’était entre 1995 et 1998. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, en 1998, une délégation de la Banque mondiale s’asseyait avec des gens du ministère de la Culture. La Banque mondiale ne traitait qu’avec le ministère de l’Economie. Quand Youssou Ndour a gagné son disque d’or, il m’a appelé pour qu’on aille ensemble chez le président Abdou Diouf qui devait le recevoir. En cours de route, il m’a dit que c’était moi qui devais prendre la parole. Il y avait lui, Habib Faye et le chef d’orchestre Pape Oumar Ngom, je crois. C’est là-bas que j’ai commencé à plaider pour les artistes et en disant au président toutes les chances que le Sénégal a, mais n’exploite pas. Je lui ai dit que Youssou a eu un disque d’or, mais le Sénégal n’en profitera pas parce que le producteur n’est pas sénégalais, etc. Je prends également le cas de Djibril Diop Mambety qui était sélectionné au festival de Cannes. Diouf m’a demandé de lui faire une note de tout cela. Je lui ai dit que je le ferai s’il me le demande officiellement. Plusieurs mois après, il m’a envoyé une lettre de mission. Son secrétaire m’a cherché une audience à la Banque mondiale où j’ai été reçu et je leur ai présenté un dossier. Je leur dis qu’on a la culture, mais on n’a pas une industrie derrière. Les gars étaient impressionnés. Ils sont venus au Sénégal. C’est de là qu’est venu le financement de la construction des centres culturels régionaux et bien d’autres choses. La Banque mondiale a donné 15 millions de dollars. Quand Wade est venu, je lui ai dit que j’ai bossé et je veux être payé. Il m’a demandé de le justifier. J’ai apporté toutes les preuves de cela. Mais ils ne m’ont pas payé.
Vous plaidez encore ?
La dernière affaire que j’ai eue, c’était ici, si je peux appeler cela ainsi. Je n’ai pas fait d’argumentation orale, mais c’était tout de même une affaire judiciaire. C’était pour le compte des habitants de la rue Mass Diokhané à Dakar-Plateau. C’était en 2014. Cette affaire me concernait directement parce que Mass Diokhané est mon père et mon cabinet était là-bas. Il était décidé de déguerpir le marché de Sandaga et la mairie de Dakar avait décidé d’envoyer les déguerpis dans un petit terrain de cette rue. J’ai recueilli des centaines de pétitions. J’ai fait faire des constats sur les lieux. J’ai utilisé une procédure qui je pense n’avait jamais été utilisée au Sénégal. C’est une disposition cachée dans la loi que beaucoup de gens ignorent. C’est grâce à cette dernière que j’ai pu obtenir gain de cause. C’est une jurisprudence. J’ai saisi la Cour suprême directement sans passer par le tribunal. Il fallait justifier cela. Il y a une disposition de la loi organique sur la Cour suprême où il est dit que lorsqu’un des droits fondamentaux risque d’être atteint de manière irréparable, on peut s’adresser à une section de la Cour suprême pour qu’elle désigne un expert. Ce qui a été fait afin d’évaluer l’impact social et environnement de l’installation sauvage de 400 marchands ambulants sur une rue d’à peine 200 m. J’ai mis en avant que la loi sur l’environnement exige que les lieux commerciaux doivent être à 500 m des habitations. Des avocats m’ont appelé après pour me demander comment j’ai fait, c’est quelle disposition j’ai évoquée. Ici, il y a un réel problème de lecture et d’exploitation des lois. Il y a une façon de lire les lois. On peut viser un article qui peut avoir des similitudes ou trouver son complément dans un autre article. J’ai gagné ce procès en 2014 et quand j’entends que c’est la Constitution de 2016 qui a établi le droit à l’environnement, je dis non.