ABDOU FALL ASSENE SES VERITES
«Nous trouverons les mécanismes et les ressorts appropriés pour réaliser l'unité la plus large autour de notre candidat désigné»
Ancien ministre d’Etat et ministre (Santé et Prévention médicale, Culture et Communication, Porte-parole du gouvernement) sous le régime libéral du président Abdoulaye Wade, président à deux reprises du groupe parlementaire “Démocratie et Liberté” à l’Assemblée nationale dont il a été également vice-président, actuel président du mouvement «Alternative Citoyenne-Andu Nawle», Abdou Fall a assurément une riche carrière politique et demeure un des acteurs majeurs de ce landerneau. Rhétoricien réputé, l’ancien du Parti pour la libération du peuple (PLP), de la Convention démocratique et sociale (CDS), l’ex-maire des HLM et président, depuis 2020, du conseil d’administration de l’Agence pour les Investissements et Grands Travaux du Sénégal (APIX.SA) a bien voulu nous accorder un entretien à ce moment crucial où l’avenir de la démocratie et la paix sociale sont en équilibre précaire. Et dans l’interview qu’il nous a accordée, Abdou Fall revient sur le sens de la session d’urgence convoquée par l’Assemblée nationale notamment sur la révision de certaines dispositions du code électoral, du code de procédure pénale et la liquidation de la CREI au profit d’un Pool judiciaire financier (PJF). De la renonciation à une troisième candidature du président Macky Sall à la guerre des tranchées qu’elle a engendrée au sein de la mouvance présidentielle avec la multitude de candidats à la candidature, en passant par l’épineux cas Ousmane Sonko de Pastef dont la participation à l’élection présidentielle reste encore hypothétique et la recrudescence du phénomène de l’émigration clandestine, Abdou Fall, avec la verve qu’on lui connaît, donne sa lecture des événements. Entretien avec un Mohican de la vie politique nationale.
Le Témoin – M. Fall, l’Assemblée nationale a été convoquée la semaine dernière en session d’urgence pour statuer sur la révision de la loi sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) et la modification de certains articles du code électoral et du code de procédure pénale. Quel sens donnez-vous à ces révisions de certaines dispositions de ces lois ?
Abdou FALL - Ceci est la suite logique des recommandations et décisions issues du Dialogue national initié par le Président Macky Sall. Il s’agit de matérialiser les résultats des larges consensus du dialogue entre les organisations politiques et toutes les forces vives de la nation. Le débat législatif est lancé à l’Assemblée nationale. On attend les délibérations définitives des députés sur les différents points de révision pour avoir une idée précise sur les accords et leurs implications au plan politique. En tout cas, je me réjouis que le Dialogue national ait pu créer les conditions de consensus larges de nature à apaiser le climat politique, et conforter notre pacte républicain.
Pendant qu’il est question de la suppression de la CREI au profit d’un Pool judiciaire financier (PJF), le Sénégal est condamné par la Cour de cassation française à payer plus de 168 milliards de francs à Bibo Bourgi, l’une des victimes de la traque des biens mal acquis menée justement par la CREI. Cette CREI, avec les développements nés de l’affaire Bourgi, n’a-telle pas été plutôt un gouffre financier pour le Sénégal qu’une juridiction d’exception censée contribuer à la reddition des comptes ?
Sur ce sujet, je m’en tiens aux termes du communiqué publié par les services du ministère des Finances qui ramènent ces questions à leurs justes proportions et dans lequel il est indiqué notamment que l’Etat du Sénégal n’est soumis à aucune obligation de payer quoi que ce soit à qui que soit. Je trouve triste cette nouvelle tendance à dire tout le temps du mal de son propre pays.
Les cas d’éligibilité de Karim Wade et Khalifa SALL sont toujours en suspens surtout en ce qui concerne le deuxième nommé, toujours objet d’une radiation des listes électorales. Pensez-vous que les conclusions des travaux du Dialogue national puissent véritablement conduire à la réhabilitation de ces deux hommes pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 ?
Je vous dis attendre les délibérations des députés sur la révision des articles visés du code électoral et des conséquences possibles sur la légalité de certaines candidatures le moment venu. Il est, à mon avis, tout à fait souhaitable que les candidatures dont vous faites état soient validées dès lors que leur légalité est établie. Je pense que les conditions objectives sont réunies pour que ça se fasse.
Justement en revenant sur le Dialogue national que d’aucuns qualifient de «dialogue des dealers», ne pensez-vous pas que pour consolider nos acquis démocratiques et instaurer la paix sociale, à l’origine de son organisation, il fallait prendre en considération les préoccupations légitimes du peuple et faire cas de certaines absences en n’ayant pour point de mire que l’intérêt supérieur de la nation et non les intérêts de quelques acteurs qui ont répondu présents à ces assises ?
Que voulez-vous qu’on fasse avec des leaders de partis politiques qui prennent délibérément l’option de la défiance systématique des institutions du pays ? Pour qui, en clair, le dialogue politique c’est de la compromission politique. Attitude puérile et infantile consistant à dire : «dialoguer c’est se compromettre». Qui décident ainsi, en toute conséquence, de s’extraire objectivement du camp de la démocratie pour appeler à l’insurrection et au chaos. Je trouve curieux que vous fassiez abstraction de tout ça pour spéculer sans fin sur ce que vous appelez l’intérêt supérieur de la nation pendant que cette même nation prend le parti des discussions courtoises et de la démocratie contre le camp de la violence et du désordre en saluant le Dialogue national comme modalité de règlement pacifique des différends politiques. D’un côté vous-même n’avez cessé de dire et répéter qu’il fallait envisager un dialogue franc entre opposition et pouvoir pour lever tout obstacle possible à une démocratie apaisée dans notre pays. Surtout quand vous tous disiez que c’est cela qui correspond aux attentes populaires ... Le Président Macky Sall s’engage dans cette voie avec toutes les forces démocratiques et républicaines du pays pour parvenir à des consensus forts, et curieusement ce sont les mêmes qui se cherchent tous les arguments possibles et imaginables, y compris les plus farfelus, pour jeter le discrédit sur ces accords salués par l’écrasante majorité de nos compatriotes. Allez finalement savoir ce que veulent nos détracteurs... Ils donnent l’impression de ne plus savoir où ils en sont!
Après la renonciation du président de la République à une troisième candidature lourde de dangers, la coalition à laquelle vous appartenez est dans l’œil du cyclone. Comme une armée mexicaine, des sorties de défiances au chef sont enregistrées, les déclarations de candidatures à la candidature se multiplient, une guerre larvée oppose certains responsables de premier plan. N’assiste t-on pas à un climat de fin de règne ?
Nos mêmes détracteurs souhaitent de tout cœur qu’il en soit ainsi (rires)! C’est peut-être normal dans une démocratie. Je trouve pour ma part désolant que ce tournant majeur de notre trajectoire démocratique ne fasse pas encore suffisamment l’objet d’une lecture sérieuse qui permet d’en appréhender les vrais enjeux de fond. Le Président Macky Sall vient encore une fois de tirer le pays vers le haut en le classant définitivement dans les rangs des grandes démocraties de référence. Par son acte de portée historique du 3 juillet dernier, il clôt définitivement le faux débat sur le nombre de mandats en même temps qu’il ouvre pour la première fois dans notre pays la perspective du Président sortant non-candidat à sa réélection. Ce qui évacue la facilité du «dégagisme» et oblige à des débats de fond sur les offres politiques des différents candidats. Dans notre majorité, il est noté une avancée significative en matière de démocratie interne car c’est la première fois qu’une majorité se livre à un exercice d’élaboration de règles et procédures de sélection d’un candidat à une élection présidentielle...Et quoiqu’en disent nos détracteurs, cet exercice se mène dans la responsabilité sous la direction du Président Macky Sall, leader de l’Apr et de la coalition Bennoo. Je suis pour ma part convaincu que, passé ce cap des candidats à la candidature dans nos rangs, nous trouverons les mécanismes et les ressorts appropriés pour réaliser l’unité la plus large autour du candidat qui sera issu de nos procédures internes de délibérations sur une question aussi importante que délicate. Et, contrairement à ce que souhaitent certains, je suis de ceux qui croient que notre coalition trouvera les moyens de sortir renforcée de cet exercice innovant pour le choix de son candidat. Je ne crois pas aux primaires. On a vu les conséquences catastrophiques pour les grands partis traditionnels dans un pays comme la France. Je crois plutôt à la gestion co-responsable du parti et de Bennoo qui ont toujours su tirer grand profit du leadership fédérateur du Président Macky Sall.
Aujourd’hui, on assiste à une guerre des tranchées au sein du parti présidentiel entre les « légitimistes » ou combattants de la première heure regroupés derrière le président du CESE, Abdoulaye Daouda Diallo, d’une part, et « ralliés de la 25ème heure » dont le candidat est le Premier ministre, Amadou Bâ, d’autre part. Entre ces deux camps, quel est celui auquel appartient Abdou Fall?
Là vous êtes dans la caricature...(rires ) On gère actuellement un processus inédit et intéressant de choix d’un candidat dans le camp de la majorité. L’Apr comme Bennoo ont laissé le soin au Président Macky Sall, leader de la coalition, d’opérer le choix qui permet d’optimiser au mieux les chances de succès de notre candidat.
Il est normal dans ces circonstances que les ambitions s’expriment. Tout ce qui se dit entre «légitimistes» et «ralliés» ne correspond qu’à une vue de l’esprit. Que des affinités existent entre certains plus qu’avec d’autres est un phénomène tout à fait normal dans la vie des groupes et communautés humaines, sur le champ politique en particulier. Mais ceci est loin d’être structuré en camps ou blocs monolithiques, en clivages. Que certains éprouvent le besoin de dire leur préférence pour tel ou tel profil, c’est normal et dans l’ordre naturel des choses. Mais pour ce que j’en sais pour l’instant, personne parmi les candidats à la candidature ne remet en question le mandat donné au Président Macky Sall, leader de la coalition, d’opérer le choix définitif le moment venu. Je le dis souvent : «aucune échappée solitaire» ne peut être fructueuse. C’est pourquoi je suis de ceux qui optent pour une démarche réaliste avec un bon programme de gouvernement réactualisé, une équipe de relève pour battre campagne et gouverner ensemble, et enfin un candidat porte-drapeau de la majorité pour incarner le projet commun avec Bennoo et le Président Macky Sall. C’est sur cette ligne de rassemblement et d’unité sans faille que nous nous si tuons.
Pensez-vous qu’au vu des risques d’implosion qui guettent la majorité présidentielle en cas de choix du président de la République en faveur de l’un des candidats déclarés et au détriment des autres, Benno Bokk Yaakar puisse encore avoir des chances de conserver le pouvoir au soir du 25 février prochain ?
Permettez-moi d’avoir la candeur de croire que ces conjectures apocalyptiques ne verront pas le jour dans notre camp. Car je n’ai aucune raison de me croire plus lucide que les uns et les autres au point de penser qu’ils soient incapables de ne pas comprendre la vanité d’une telle option
Si on vous demandait de résumer le bilan du président Macky Sall en quelques phrases, que diriez-vous ?
Une grande ambition pour le Sénégal et l’Afrique. Une gouvernance inclusive. Une forte sensibilité sociale.
Le blocus autour du domicile de Ousmane SONKO, le patron de PASTEF, est levé depuis ce lundi matin après 55 jours de «séquestration», selon ses partisans et sans aucune autre forme d’explication de l’autorité. Va-t-on vers un dégel qui pourrait conduire à la participation de Ousmane Sonko à la prochaine élection présidentielle de 2024 ?
Permettez-moi de m’abstenir de tout commentaire sur un sujet sur lequel je ne suis à aucun niveau d’implication. D’autant que je me suis toujours abstenu de tout commentaire sur des questions qui relèvent de la justice et de la puissance publique.
Une participation de Ousmane Sonko à la présidentielle ne plomberait-elle pas davantage les chances de BBY tant sa popularité va crescendo ?
Nous sommes en politique. Je ne m’aventure jamais sur le terrain de la métaphysique. Au moment où on se parle, monsieur Ousmane Sonko fait face à des ennuis de justice sur des dossiers civils et politiques. Ce sont là des sujets suffisamment sérieux sur lesquels je ne peux me permettre de me laisser aller à des conjectures.
Si la situation restait en l’état et que les différents protagonistes campaient sur leurs positions respectives, notamment une élection sans Ousmane Sonko pour le pouvoir et pas d’élection sans Ousmane Sonko pour le Pastef, on irait vraisemblablement vers une situation chaotique qui pourrait conduire au report de la présidentielle de 2024. Envisagez-vous un tel scénario ?
Encore une fois, je ne suis pas dans la fiction. Je suis dans le réel. Et le réel, c’est le processus électoral qui poursuit normalement son cours. La priorité en ce qui me concerne, c’est d’aider autant que je peux à ce que notre camp sorte renforcé, uni et soudé autour du candidat qui sera en définitive désigné. Et que le slogan «Gagner ensemble et gouverner ensemble» reste le crédo de Bennoo.
On assiste de plus en plus à la recrudescence de l’émigration clandestine. Les jeunes ne semblent plus croire à un avenir meilleur sous nos cieux et partent par vagues au péril de leur vie. Dernier drame en date, le chavirement d’une pirogue de migrants à Ouakam avec son lot de morts. Comment expliquez-vous cette recrudescence après les efforts brandis par les pouvoirs publics pour trouver des emplois aux jeunes ? Est-ce un échec de nos politiques de jeunesse ?
Un vrai drame humain qui heurte nos consciences! D’autant que ces aventures débouchent, même pour ceux qui y survivent, à des sorts encore pires dans les pays d’émigration. La persistance du phénomène, malgré les efforts indiscutables réalisés par nos pays et ceux réalisés dans le cadre de la coopération internationale, européenne en particulier, tout cela montre que c’est là un problème de fond qui requiert une prise en charge particulière. On pourrait en faire un des grands thèmes de débats pour la prochaine campagne électorale. Les profondes mutations qui bouleversent nos sociétés et le monde entraînent des problématiques de type nouveau, notamment dans la jeunesse. Et aucun pays n’est épargné. Les pays riches comme ceux en développement. Il convient par conséquent de porter un regard de sérénité sur ce sujet. Nous consoler toutefois que l’émigration intra africaine représente plus de 90 % des destinations pour la jeunesse du continent. L’Afrique est en effet de loin la première destination des migrants africains. L’océan et le désert rendent certes ces aventures hautement spectaculaires. Cela dit, il n’en reste pas moins que des solutions fortes devront être trouvées. Elles seront toutefois collectives. C’est une Eurafrique consciente de ses responsabilités et mobilisée qui relèvera ce grand défi de notre époque. Il serait impertinent de faire de ce sujet un thème de débats politiciens. Les questions de jeunesse, dans le cadre des crises du monde contemporain, sont d’une profondeur et d’une ampleur qui appellent des solutions nécessairement complexes.