ABDOUL JUGE MACKY
Relations avec le chef de l’Etat, situation économique, unité de l’opposition, rôle des religieux dans la vie publique…Abdoul Mbaye dit tout - ENTRETIEN
Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre engagement, en 2012, aux côtés de Macky Sall qui venait d’être élu président de la République ?
Notre compagnonnage n’a pas commencé en 2012, mais en 2011. J’ai toujours été éloigné de la politique au cours de ma carrière professionnelle. Mais, en 2011, j’ai cru, à tort ou à raison, qu’il y avait une montée des dangers et j’avais décidé de m’impliquer davantage, en essayant d’apporter un soutien au candidat que je considérais comme étant le meilleur, parmi ceux qui étaient en compétition. C’est dans ces conditions que j’avais décidé d’accompagner le candidat Macky Sall avec son programme ‘’Yonu Yokute’’, sans jamais demander quoi que ce soit en contrepartie.
Je lui faisais des notes régulières au cours de sa campagne pour proposer, orienter et corriger certaines imperfections. C’est même avec surprise que j’avais appris ma nomination comme Premier ministre, quand il a été élu. J’étais parti en mission juste après le deuxième tour. Le président m’avait vraiment surpris en me demandant, alors que je l’appelais pour le féliciter, quand j’allais revenir. Dans l’avion, je me suis dit qu’il voulait peut être me nommer ministre des Finances et j’avais déjà préparé ma réponse négative. Je lui aurais proposé de rester le conseiller que j’ai été pendant la campagne. Et quand je suis revenu, il m’a surpris en me proposant directement les fonctions de Premier ministre. Je pensais, en ce moment-là, que j’allais être en mesure d’influer sur le fonctionnement de l’Etat, celui de l’économie du Sénégal, dans le respect des orientations qu’il avait lui-même définies à travers le ‘’Yonu Yokute’’.
De son vivant, pensez-vous que votre père (Kéba Mbaye : magistrat, ancien président du Conseil constitutionnel) vous aurait accordé sa bénédiction, lui qui n’était souvent pas tendre avec les hommes politiques ?
(Il se redresse) Bon, il avait été observateur de la politique sénégalaise. Il a toujours refusé de faire de la politique. Je ne vous cache pas que j’ai beaucoup pensé à lui avant d’accepter cette fonction, mais il faut souligner qu’à l’époque c’était une fonction qu’on m’a proposée en tant que technocrate. Il n’était pas prévu que je devienne membre d’un parti. Je restais toujours convaincu que la politique n’était pas mon affaire. Lorsque j’ai décidé de la faire, je suis allé réinterroger un courrier que mon père m’avait adressé quand j’étais nommé, très jeune, Pdg de la Banque de l’habitat du Sénégal. Dans son avant-dernier paragraphe, j’ai retrouvé des lignes qui annonçaient peut-être mon entrée en politique. Il commençait par dire : ‘’Ne fais surtout pas de la politique, mais un jour viendra où tu pourras dire ce que tu voudras là où tu voudras.’’ J’ai considéré que c’était une manière de me dire qu’un jour viendra, tu pourras faire de la politique.
La séparation avec le président a été plus ou moins brutale. Avez-vous eu des regrets ?
Non ! La séparation n’a pas été brutale. Elle a même été amicale, parce que moi j’ai une conception un peu particulière de la fonction que j’occupais. Cette conception tient du fait que j’ai été mandataire social et dans les sociétés anonymes, le directeur général est révocable ad nutum. Le Conseil d’administration peut mettre un terme à ses fonctions à tout moment. C’est encore plus valable pour un poste de Pm qui est la fonction la plus précaire au monde. J’ai juste considéré que le chef de l’Etat avait de nouvelles perspectives et avait besoin d’un nouveau Premier ministre… C’est donc en de très bons termes que nous nous sommes séparés. Comme je l’ai dit dans mon ouvrage, je lui ai répété ce que je lui avais dit au moment de ma nomination : ‘’Vous pouvez mettre fin à mes fonctions demain, je vous serais reconnaissant de m’avoir choisi aujourd’hui.’’
Certains vous accusent pourtant d’être animé par un désir de vengeance ?
Non. Pas du tout. L’essentiel, pour moi, était d’occuper pleinement les fonctions qui m’étaient dévolues. J’ai voulu laisser un bon souvenir et je crois que c’est le cas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai écrit un ouvrage précisant tout ce que j’ai pu faire avec l’équipe gouvernementale qui m’avait accompagné, avec les fonctionnaires de mon cabinet. Et je n’ai pas entamé ma carrière politique tout de suite. Avant cet engagement, j’ai eu à créer un club de réflexion qui s’appelle Travail et vertu. Lequel club œuvrait pour les décideurs de ce pays, à commencer par le président de la République. J’ai donc continué à travailler pour le chef de l’Etat, parce que considérant qu’il n’était mu que par l’intérêt du Sénégal. C’est donc très réducteur de parler de vengeance. Et puis me venger de quoi ? Pour moi, c’est plutôt marrant. Encore une fois, mon engagement est le fruit d’une analyse lucide et logique. Je suis de ceux qui pensent que la politique doit cesser d’être ce qu’elle est, c’est-à-dire un moyen de s’enrichir au détriment du plus grand nombre. Je ne suis pas dans les débats de personne. Encore moins dans le ‘’ôte-toi je m’y mette’’. La politique doit être un sacerdoce au service des populations ; voilà le message que je m’efforce de porter aux Sénégalais.
Quel a été le déclic qui vous a poussé à entrer en contradiction avec Macky Sall ?
D’abord, je n’entre pas en contradiction avec une personne. J’ai considéré simplement que je peux apporter quelque chose à mon pays, en faisant de la politique. Par contre, je suis en opposition avec la coalition au pouvoir parce qu’ils sont sur une route que je n’accepte plus. J’avoue que ce qui a véritablement fait déborder le vase, c’est le renoncement au mandat de 5 ans en ayant recours à un référendum qui était inutile. Manifestement, c’était un reniement et, au même moment, des bruits insistants faisaient état d’un développement de la corruption. J’avais aussi remarqué que le traitement des contributions faites pour aider à la résolution de certains problèmes, comme par exemple la relance du tourisme, la lutte contre la mendicité des enfants, la recherche d’une productivité accrue, ainsi que l’amélioration de la production rizicole, me laissait fortement douter de la volonté du régime de vouloir le bien des Sénégalais.
Sur quoi vous fondez-vous pour dire qu’il y a des faits de corruption ?
Je commençais d’abord à avoir des informations sur le scandale Petrotim et Ovido Tender concernant le pétrole. Concernant le tourisme, je me suis rendu compte, sur le tard, qu’on avait choisi de sacrifier le redressement de l’activité touristique du Sénégal sous le prétexte d’un contrôle de sécurité en mettant en place un système de visas qui avait surtout aidé à enrichir un personnage sulfureux…
En tant que candidat à la prochaine présidentielle, pouvez-vous revenir sur les grands axes de votre programme ?
Nous considérons que le régime actuel se bat contre l’émergence du Sénégal. Il fait des choix qui sont dramatiques, qui ne sont même pas conformes à l’esprit du Pse qui repose sur un développement de l’agriculture, la recherche d’une croissance inclusive et qui donne la priorité à des secteurs comme l’agriculture, le tourisme… L’émergence doit également reposer sur une modification structurelle de notre économie. Elle suppose un renforcement de notre capital humain. Et sur tous ces chantiers, il y a absence de progrès ou échec.
Parlons d’abord de l’essentiel : ‘’la restructuration de l’économie’’ qui est totalement absente. On ne constate aucun effort visant à faire reposer l’économie du pays autrement que sur les secteurs primaire et tertiaire par un développement du secteur secondaire. Avez-vous vu plusieurs usines inaugurées depuis que le Pse est actif ? Non. Avez-vous vu un renforcement de l’agriculture, notamment par le développement de l’agro-industrie ? Non…
Le gouvernement tient un tout autre discours et parle même de production agricole record ?
Ce sont des chiffres mensongers. Ce qu’on constate, c’est que la faim et l’insécurité alimentaire se sont installées dans notre pays. Il n’y a pas non plus de renforcement du capital humain. Le système éducatif est en déliquescence. On voit des étudiants mal formés. L’Etat peine à payer leur scolarité dans les instituts privés. La construction de nouvelles universités prend du retard au moment où l’on dépense des sommes énormes dans des infrastructures de moindre importance. Ce régime nous a, en effet, entrainés dans de grands projets qui font fonctionner des entreprises appartenant à d’autres nations. Ce qui pose en amont le problème de la politique d’endettement avec les ponctions sur les recettes budgétaires au titre du service de la dette ; et en aval un transfert des bénéfices réalisés sur les chantiers ouverts par ces mêmes entreprises. Globalement, nous ne sommes pas en présence d’un régime qui recherche l’accélération d’une croissance inclusive.
Donc, sans remettre en cause les choix principaux du Pse parce qu’ils sont justes. Nous, nous décidons d’œuvrer différemment en inversant les priorités. Ces priorités, pour nous, c’est la lutte contre la faim. Il est totalement anormal que dans un pays ayant 58 ans d’indépendance, qu’on ait encore faim. C’est inadmissible. C’est cela la priorité et non la construction de stades ou de nouveaux palais présidentiels. Ensuite, il faut lutter contre l’extrême pauvreté. Pour ce faire, il faut créer de la résilience au niveau de la campagne. Pour ce qui est des villes, il faut lutter contre la pauvreté par le développement de l’artisanat, l’absence de mépris vis-à-vis de la toute petite entreprise du secteur informel. Parce que c’est là où se trouvent les Sénégalais qui travaillent, les Sénégalais qui souffrent, qui ont besoin d’être assistés, d’être aidés pour faire croitre leurs microentreprises. C’est donc une véritable résolution que nous proposons.
Vous parlez de développement du monde rural. Des programmes comme le Pudc et le Puma ne s’inscrivent-ils pas dans cette dynamique ?
Moi, je viens d’une tournée dans le monde rural. J’ai constaté que les paysans souffrent. Ensuite, le peu d’arachide qu’ils ont pu produire et vendre, on leur doit des arriérés. Ils n’ont en plus ni eau ni électricité. Les fameuses routes du Pudc, elles ont une peur extrême de la pluie. Il suffit qu’il pleuve pour qu’elles soient emportées. Pour ce qui est des forages soi-disant, il faut d’abord savoir qu’il y a une grosse contribution des populations et un tout petit investissement, genre réserve citerne pour les maisons de familles nombreuses qu’on présente comme forage pour tout un village. Il y a donc beaucoup de cinéma. Les populations sénégalaises souffrent profondément dans leur chair, dans le non accès aux services essentiels que sont l’eau, l’électricité, parfois même le téléphone dans certaines zones où ils utilisent le réseau d’autres pays frontaliers comme la Gambie.
Comment pouvez-vous expliquer tout ça dans un contexte où l’on a quand même enregistré une croissance durable, ces dernières années ?
C’est évidemment une grosse contradiction qui repose sur des statistiques erronées manipulées par le gouvernement. Cette croissance de 7,2 % n’existe pas. Et d’ailleurs, sur leurs propres chiffres avant réévaluation du Pib, le revenu en dollar du Sénégalais moyen n’avait pas évolué les quatre dernières années. Il y a donc mensonge manifeste, organisé autour des productions agricoles. On fait doubler la production céréalière en 2017. Ce qu’on ne voit nulle part. La preuve : il y a la faim constatée par l’Onu et acceptée par les autorités sénégalaises. Comment est-ce possible de parler de doublement de la production dans un contexte où les gens ont faim ? Ce n’est pas possible. On annonce 1 million 400 mille tonnes d’arachide pour 2017-2018, ce qui serait un record absolu, car on ne l’a jamais fait. En tant que banquier, cela aurait nécessité au minimum 250 milliards de francs Cfa, si l’on considère le prix qui a été fixé.
Or, on nous parle de 30 à 40 milliards mobilisés. Mais c’est du bidon. Il en est de même pour la campagne précédente où l’on nous parlait d’un million de tonnes. Au même moment, le directeur de la Sonacos se plaignait de ne pas atteindre son objectif qui consistait à collecter 250 000 tonnes. Il faut aussi savoir que la capacité totale de l’industrie huilière du Sénégal ne dépasse pas 500 mille tonnes ; et ce n’est que la capacité théorique. La capacité fonctionnelle serait à 350 000 t. Où passe donc le reste de l’arachide, puisque ce n’est pas exporté ? Cela ne peut pas être consommé. C’est un mensonge. L’autosuffisance en riz, même chose. Ils ont dû renoncer, l’année dernière, parce que c’était un message trop flagrant. Jusqu’en juin 2017, date butoir, ils continuaient de dire qu’ils vont atteindre l’objectif malgré les importations qui ne fléchissaient presque pas. C’est finalement le président de la République qui avait corrigé son ministre, en le reportant en fin 2018. Nous y sommes et les prémices, on ne les voit même pas.
A vous entendre, vous ne faites plus confiance aux fonctionnaires en charge d’élaborer ces statistiques ?
Ce que je sais, c’est que les chiffres sont faux. Ce qui est également sûr, c’est qu’on a assisté à une politisation extrême de l’Administration sénégalaise. On n’a jamais atteint un tel niveau de politisation. Aujourd’hui, même le moindre recrutement dans la Fonction publique est soumis à l’appartenance à l’Apr. Mais c’est une catastrophe. Ce qu’il y a de plus grave, c’est qu’on ne leur demande ni des compétences ni des résultats, mais des résultats électoraux. Même pour la collecte de parrains, on leur assigne des objectifs. Ce régime a mis à terre l’Administration et l’économie de notre pays.
Ces chiffres que vous contestez reçoivent souvent la caution par des institutions internationales et régionales. Diriez-vous que ces organisations sont complices du gouvernement ?
Ces institutions n’opèrent pas un contrôle effectif des chiffres. Elles peuvent simplement mettre en exergue les incohérences. Mais je puis vous dire, parce que j’y ai gardé des contacts, qu’elles en rigolent parfois. Quand on leur annonce des chiffres complètement anormaux, parfois ça fait rire aux éclats. Mais, quelque part, ça ne les gêne pas beaucoup. Tant que l’option gouvernementale principale consiste à privilégier tout ce qui est grands projets, tout ce qui est contribution au commerce international par de l’endettement extérieur. Dans une certaine mesure, la raison d’être de ces institutions de Breton Woods, c’est le fonctionnement de ce commerce international. Mais arrive un moment où ils sont obligés de faire des constats et ils l’ont fait récemment pour les finances publiques sénégalaises. Obligeant le ministre des Finances d’admettre ce que nous lui avons toujours signalé.
Certains projets sont aujourd’hui à l’arrêt, dénonce la Banque mondiale, pour absence de la contrepartie de l’Etat. Quelle lecture en faites-vous ?
Nous avons affaire à des spécialistes de la politique, incompétents, dès lors qu’il s’agit de gérer l’économie et les finances publiques. C’est la première fois d’ailleurs, depuis plusieurs années, qu’on ait un ministre des Finances politicien de premier plan. A partir de ce moment, on oublie tout le reste. La priorité, pour le gouvernement, c’est la politique, y compris les dépenses publiques, l’endettement… A mon avis, on est sur une pente et ça ne va pas s’arrêter tant que ce régime restera en place.
En quoi le changement de l’année de base a permis de donner une nouvelle santé aux statistiques économiques ?
Il faut relever que c’est une pratique assez courante. Cela a permis d’augmenter le Pib du Sénégal de 29,4 %. En langage plus clair, cela veut dire que, soudain, les Sénégalais sont devenus plus riches. Je ne sais pas si vous l’avez ressenti, mais moi non. Cela a permis au gouvernement de donner l’air d’un gouvernement qui respecte les ratios. C’est le cas du service de la dette, du taux d’endettement, des dépenses par rapport au Pib… Si on ne l’avait pas changé, on allait droit vers le mur. Cela donne donc en apparence une nouvelle virginité statistique en termes de critère qui permet de calculer la solvabilité d’un Etat.
Vous avez été aux législatives de 2017, mais vous n’avez pas réussi à obtenir ne serait-ce qu’un siège de député. N’est-ce pas un échec ?
Les élections sont intervenues six mois seulement après la naissance de notre parti. Deux choix étaient envisageables. Soit on n’y va pas parce qu’on est très jeune avec un parti pas suffisamment structuré… Soit on y va pour apprendre. Nous avons choisi la deuxième option. C’est vrai que ça aurait été un coup extraordinaire, mais le fait de ne pas en avoir n’est pas une fin en soi. On a appris comment former une coalition, comment participer à des élections. Nous avons tiré les leçons de cette participation et mieux nous armer pour le futur. Personnellement, il n’était même pas prévu pour moi d’aller siéger à l’Assemblée nationale. J’apportais mon image, mais il était prévu que je me désiste au profit de la deuxième personne.
La date limite pour la campagne de parrainage arrive à grands pas. Où en êtes-vous avec la collecte ?
On a mis en place tout un dispositif. Comme on le sait, c’est un système mis à dessein pour éliminer des candidats. La tâche a été rendue plus difficile par le recours à l’achat de conscience. Ils ont transformé la collecte en un marché de surenchère. Nous, nous avons le souci de faire valoir nos idées, d’attirer l’attention des populations sur ce que doit être la politique. C’est cela notre priorité. Mais on s’évertue à avoir le nombre de parrains. On pense que ce sera possible, mais on n’exclut pas non plus l’hypothèse inverse. En ce moment-là, il faudra à un moment donné envisager d’alternatives.
Pourquoi n’avez-vous pas choisi d’aller à ces joutes avec tous ceux qui prônent comme vous la rupture dans la gouvernance publique ?
L’option de se regrouper était une bonne stratégie pour des élections législatives. Ça ne l’est pas pour la présidentielle. Le chef de l’Etat qui est un manœuvrier hors-pair l’a parfaitement compris et c’est pourquoi on a eu autant de partis en compétition lors des législatives. C’est aussi pour la même raison qu’il veut restreindre au maximum le nombre de compétiteurs pour la présidentielle. Un regroupement à partir du premier tour joue en faveur du candidat de la majorité.
Mais dans cette perspective, est-ce que vous ne risquez pas d’être largués par les grands partis de l’opposition ?
Encore une fois, l’élection présidentielle est un moment important dans la vie d’un pays. Nous sommes un parti, il est donc normal qu’on participe à l’expression universelle des suffrages. Mais ce n’est pas notre priorité. Nous sommes porteurs de valeurs, nous sommes porteurs d’un message fort concernant la manière de faire la politique.
Nous souhaitons ainsi agir sur les mentalités, sur les consciences en étant conscient que ce n’est pas un combat facile qui peut se gagner en 1 an ou 2 ans. Par contre, on prépare déjà cette alliance future avec les partis avec lesquels nous partageons les mêmes valeurs. On se promet un soutien respectif, pas dans le sens d’un partage du pouvoir comme ce à quoi on a assisté jusque-là. Je suis président de la République. Toi, je te donne l’Assemblée nationale. Toi, je te crée un Haut conseil des collectivités territoriales… Nous ne sommes pas dans cette logique, mais dans une démarche programmatique où c’est l’intérêt du Sénégal qui va être mis en avant. Nous nous sommes dit : entendons-nous sur un programme minimum correspondant aux intérêts de notre pays.
Que reprochez-vous au gouvernement dans la gestion du pétrole et du gaz ?
Il y a eu des attributions de permis qui n’ont pas respecté la loi du Sénégal. Ce qui est extrêmement grave. Un permis a été octroyé sur la base des informations mensongères données par un ministre, sous la forme d’un rapport de présentation de décret. A la demande de qui ? Pourquoi les attributions diffèrent d’un opérateur à un autre ? Pourquoi accorder à une entreprise un privilège auquel les autres n’ont pas droit ? Comment on a fait pour choisir telle société et non telle autre ? Nous avons quand même le droit de savoir et j’ai adressé aux autorités une lettre allant dans ce sens. Publier les contrats seulement, c’est de la poudre aux yeux.
Concernant le dossier Petrotim, le gouvernement se défausse souvent sur l’ancien régime qui serait responsable de cette attribution ?
C’est un mensonge. Dans ce cas, le processus avait été stoppé, a donné lieu à une enquête de l’Inspection générale d’Etat. Des recommandations ont été faites, mais elles n’ont pas été respectées. C’est donc bidon comme argument. Si nous sommes élus, nous allons faire un audit approfondi de tout ce qui a été signé, parce que des décisions ont été prises en contradiction avec les intérêts du Sénégal. Il sera difficile, dans certains cas, de revenir sur les engagements sans prendre de gros risques. En fonction de ce qui pourra être révisé dans le sens des intérêts du Sénégal, on décidera de l’attitude à adopter.
Le ministère de l’Intérieur a récemment reçu l’opposition qui réclamait un audit complémentaire du fichier. N’est-ce pas preuve de bonne volonté ?
Vous savez, on réclame quelque chose depuis un an… Le régime est constamment dans la ruse. Ils laissent l’opposition jeter un regard sur un fichier sur lequel il n’est plus possible d’apporter des corrections. C’est minable, à mon avis.
Quel commentaire faites-vous de la décision de ne pas matérialiser les constats du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies dans l’affaire Karim Wade ?
A manipuler une partie de la justice pour obtenir des décisions politiques, on finit par porter atteinte à la crédibilité de l’ensemble du système judiciaire sénégalais. C’est malheureusement ce qui est arrivé. Et ce sont nos remarquables magistrats qui en font les frais. Cette perte de crédibilité s’est traduite par des condamnations par pratiquement toutes les juridictions et instances internationales. L’éthique et le comportement chevaleresque auraient recommandé de faire amende honorable pour l’image de notre pays, de notre justice. Dans un pays qui ne respecte pas la justice, il faut craindre des mouvements de révolte.
Pensez-vous que la traque des biens mal acquis a été dévoyée de son objet initial ?
C’est effectivement le cas. La traque doit exister. Elle ne doit jamais cesser. Dans notre programme, nous avons d’ailleurs promis de corser les sanctions en matière de crimes économiques. On ne se rend pas compte combien d’années de labeur d’un paysan on a volé quand quelqu’un dilapide des milliards. Il faut donc être très sévère avec ceux qui détournent l’argent du contribuable. Nous proposons même de rendre ces peines imprescriptibles. Par contre, il n’y aura pas de deux poids deux mesures. Il ne doit y avoir ni protection ni chantage comme c’est le cas actuellement.
De l’intérieur, comment vous avez vécu ce procès contre Karim Wade ?
Je n’étais plus aux affaires au moment du procès. Mais, personnellement, j’ai été dans une démarche consistant, compte tenu du contexte de l’époque, à privilégier une documentation très précise de ce qui s’était passé et de ce qu’on pouvait reprocher à une liste de personnes qui avaient été ciblées. Malheureusement, la démarche que j’avais proposée n’a pas été retenue.
Aujourd’hui, le président a évoqué une possibilité d’étudier une amnistie pour Karim Wade et Khalifa Sall. Comment l’avez-vous accueillie ?
Le principe est scandaleux. C’est incroyable que l’amnistie soit ainsi dévoyée. C’est la première fois que j’entends un chef d’Etat proposer l’amnistie avec en contrepartie un bénéfice direct. En clair, il leur dit : vous êtes des adversaires dangereux. Svp ne vous présentez pas contre moi. Si je passe, je vous amnistie. Cela veut dire tout simplement qu’il les a condamnés pour qu’ils ne puissent pas participer.
Pourquoi vous vous en prenez rarement à vos amis banquiers qui, pourtant, font également beaucoup souffrir les consommateurs ? Ce qui n’est pas sans contribuer au faible taux de bancarisation ?
C’est vous qui le dites, mais j’ai fait pas mal de propositions allant dans le sens d’un accroissement de la bancarisation au Sénégal... Personnellement, je considère qu’il y a trop de banques au Sénégal, même si cela peut vous paraitre contradictoire. Certains pensent que plus il y a de banques, plus on a un taux de bancarisation important.
Ma position a toujours été le contraire. Plus il y a de banques, plus les opérations sont éclatées, moins les banques gagnent de l’argent par le volume et plus elles cherchent à le faire par le coût de leurs services, le coût de leur crédits. Ce qui fait que l’on se retrouve dans un système d’opérations bancaires chères et on en exclut une grande partie de la population. En revanche, si on fait le choix d’une concentration importante du système, l’effet volume joue. Les marges peuvent être réduits et sur le coût des services et sur le coût du crédit. Et l’accès devient plus aisé, plus facile. Maintenant, le mal est fait et il n’existe aucune remise en cause de cette dispersion bancaire. Il faut le regretter parce que la tendance mondiale est à la concentration…
Il y a aussi les prélèvements illégaux de frais par les banques, malgré les directives de la Bceao. Qu’est-ce qui l’explique ?
S’il y a des pratiques illégales, il faut les dénoncer. Mais, encore une fois, avec leurs petits bilans, les banques, pour survivre, ont besoin de mettre les frais à certains niveaux. Il y a toutefois des frais qui ne se justifient pas. Il appartient aux associations de consommateurs de mener la lutte.
Votre point de vue sur l’intervention des religieux dans la sphère politique ?
Très sincèrement, ça me désole. La politique, ce n’est pas seulement être acteur. C’est aussi en parler. Le religieux doit être à équidistant pour pouvoir jouer son rôle d’arbitre lorsque les populations souffrent, lorsque nous sommes dans des situations qui heurtent la morale. Trop souvent, ils se laissent entrainer par les politiciens du pouvoir qui ont les moyens. Ils ne doivent pas se laissés entrainer dans des débats qui ne sont pas les leurs.